Deux appels de copains le même jour de janvier 2017 ! C’est que dans le bourg d’Eymoutiers à quelques mètres du nœud central, Orange nous propose du “VDSL“ super puissant. Thomas, graphiste pour la télévision avait besoin de télécharger un fichier vidéo HD excessivement lourd et Cindy, cueilleuse de plantes médicinales, un dossier de subvention agricole. Impossible depuis Saint-Martin-Château et Ste-Anne. Si, avec son programme Dorsal, la Région Limousin a supprimé les zones blanches, ce n’est pas pour autant qu’on peut implanter sa start up dans n’importe quel village du Plateau.
En matière numérique, le plateau a même été précurseur puisqu’en 1996 naît à Felletin le premier cyber espace rural, Cyber en Marche, avec l’idée de sensibiliser aux toutes “nouvelles technologies de l’information et de la communication“. En 1999, Ma Télé, télévision associative, se joint au projet et l’ensemble devient Ma télé multimédi@ : “les gens venaient découvrir à quoi servait un ordinateur, s’initier au reportage“ se souvient David Daroussin, alors salarié. L’association devient ensuite une cyberbase, label de la Caisse des dépôts qui finançait la médiation numérique : on y venait envoyer ses premiers e-mails et jouer en réseau avec les copains.
...dédié au travail (bureaux des associations Contes en Creuse et Emile a une vache) et à la convivialité (bar, brasserie), dans un esprit de partage de projets (événements culturels, boutique avec des produits locaux), connecté (ordinateur puis wifi en accès libre) et ouvert à tous. L’association Ctrl-A y installe en 2007 un espace multimédia au premier étage : 12 ordinateurs et un animateur à la disposition des habitants, qui venaient “lire leurs mails, chatter en ligne, jouer en réseau ou taper leurs CV“ comme le racontait Grégory Séval, alors salarié, dans un article de presse.
Créé en 2006, Cesam-Oxalis a permis à nombre d’entre eux d’adopter un statut d’entrepreneur-salarié et de rejoindre un réseau. Mais beaucoup ont eu envie de partager aussi des bureaux. Sur ce territoire où tant d’habitants se rassemblent pour lancer des projets collectifs et autogérés, la culture tiers-lieux, basée sur l’horizontalité, le collaboratif, le DIY et l’open source, a trouvé le terreau idéal pour se développer. Aux cafés culturels, centres sociaux, ludothèques, garages, menuiseries et atelier de sérigraphie associatifs, ressourceries et jardins partagés s’ajoutent désormais des coworkings (bureaux partagés), des fablabs (laboratoire de fabrication numérique) et des makerspaces (ateliers de fabrication avec des machines partagées, pour le travail du bois, de l’électronique, du métal).
Cet espace de coworking rassemble des travailleurs indépendants (bureaux d’études, cinéma, massage), et des associations (Pivoine, Constance Social Club…), connectés à un internet vraiment haut débit grâce à l’arrivée de la fibre sur la commune. A L’Atelier, l’espace multimédia de Ctrl-A a fermé, mais l’ostéopathe de Peyrat-le-château vient y faire des consultations (hybrides on a dit !) et le wifi ouvert attire des coworkers. A Gentioux, La Renouée a ouvert en 2016. Elle rassemble l’épicerie associative La Bascule, des travailleurs indépendants, cartographes, consultants et autres entrepreneurs d’Oxalis, ainsi qu’un cabinet de naturopathie. La même année, Lab’rousse, un fablab, s’est installé à Croze, et propose des ateliers de fabrication/réparation en lien avec la ressourcerie felletinoise Court-Circuit. A Eymoutiers, 2017 devrait voir l’ouverture d’un coworking créé par la nouvelle association Mille Cow, avec un espace fablab porté par la ressourcerie Le Monde Allant Vers.
Certains termes, notamment anglicistes, ont une connotation “branchée“ ou urbaine dans laquelle certains ne se reconnaissent pas. D’autres revendiquent au contraire leur utilisation pour pouvoir communiquer avec d’autres ailleurs, faire réseau, et défendent le message politique qu’ils véhiculent. Un désaccord mineur au regard des enjeux qui se posent à eux, à commencer par la problématique de l’inclusion numérique. En effet, l’État accélère la “dématérialisation“ des démarches. Finie la paperasse, mais quid de tous ceux qui n’ont pas les moyens de se payer internet ou un équipement pour naviguer ? Qui ont un débit préhistorique ? Qui ne savent pas se servir d’un ordinateur ? “Pour plein de gens, l’administratif en ligne, c’est l’angoisse“ constate Quentin Paternoster, de La Renouée.
...résume Damien Clochard, de Mille Cow à Eymoutiers. Moins fréquentées, les cyberbases ont cessé d’être financées en 2014. Alors pour aider les gens dans leurs démarches administratives (Cpam, Pôle emploi, Caf, Impôts, etc.) sur internet, l’État a lancé les “Maisons de services au public“, adossées aux bureaux de Poste, où les agents seraient formés pour accompagner les personnes. Une réponse qui pose plein de questions dans la mesure où La Poste est un groupe privé, où les démarches administratives nécessitent d’entrer dans l’intimité des personnes. Une réponse insuffisante pour beaucoup.
A La Renouée, plusieurs postes sont en accès libre. “Les gens qui n’ont pas internet chez eux, par choix ou par manque de moyens ou d’accès, viennent imprimer un document, consulter leurs mails ou aller sur le Bon Coin“ explique Quentin. A Taf, la clé wifi est ouverte aux gens de passage : “il faut pour le moment emmener son ordinateur mais le projet d’agrandissement en cours prévoit un poste en accès libre pour ceux qui se sont pas équipés“ précise Marion Michau, qui y a son bureau. Même chose dans le projet d’Eymoutiers. Toutefois, s’il y a toujours quelqu’un disponible pour filer un coup de main, la vocation des tiers-lieux n’est pas aujourd’hui la médiation numérique, surtout celle qui vise à remplacer les services publics fermés.
De plus, à l’heure où les politiques d’accueil disparaissent, et avec elles des structures comme De fil en réseaux, quid de l’accueil sur le territoire ? Les tiers-lieux n’ont-ils pas également un rôle à jouer pour orienter les nouveaux habitants et offrir un premier espace de socialisation ? Autres enjeux des tiers-lieux : sensibiliser et créer des alternatives aux “Gafam“ (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) qui préparent un monde où technologie rime avec surveillance maxi. Les associations locales Ctrl-A et Ilico, qui oeuvrent en faveur des logiciels libres et des solutions numériques qui préservent la vie privée, sont une ressource sur laquelle s’appuyer. Voilà de quoi donner du grain à moudre au réseau des tiers-lieux du Plateau qui est en train de se structurer !