“Le 6 février avait toujours été pour moi celui de l’année 1934, où les ligues fascisantes avaient menacé une république d’ailleurs passablement déliquescente et bien loin de mes aspirations, provoquant par contrecoup, deux ans après, la victoire du Front populaire. Depuis 1998, le 6 février est le jour où, à cinq heures du soir, j’ai fermé les yeux de Marcela Delpastre. On peut se souvenir d’un tel geste, d’un tel jour, d’un tel événement.“ Ainsi parle Jan dau Melhau, poète, conteur et éditeur occitan (IPNS n°43). La dame de Germont que la France entière a découvert un jour dans une émission d’Apostrophes où elle était venue présenter le premier volume de ses mémoires, était une poétesse qui maniait la langue occitane avec brio, lisait Baudelaire avec délectation, s’occupait entretemps de ses vaches et de son jardin, recueillait les traditions du pays dans le Bestiari lemosin et Lo Libre de l’erba e daus aubres. Comme l’écrit Jan dau Melhau : “S’il est un grand auteur en Limousin et dépassant tous les autres, troubadours du maître temps, roman compris, si on doit retenir un nom à offrir en cadeau limousin au reste de l’humanité, c’est le sien.“ Marcela est morte. Mais la langue qu’elle a longtemps si bien servie, qu’est-elle devenue ?
L’occitan aura dins la montanha ?
Novembre 1997. J’étais encore employé dans un bureau d’études muséographiques en Limagne et je commençais à déprimer fortement. La platitude du pays et la betterave sucrière ne m’ont jamais fait vibrer. Le mal du pays, propre à beaucoup de Limousins, devenant de plus en plus fort, j’ai eu l’idée de revenir aux sources dans le but d’œuvrer pour la langue et la culture occitanes. Un appel téléphonique à une élue me confirma que la Région ne donnait rien pour l’occitan car personne n’en faisait la demande: pas tombé dans l’oreille du sourd que je suis devenu depuis.
La mòrt de la Marcela
Fin janvier 1998, toute la tribu (nous venions d’avoir notre deuxième petit) pose ses bagages chez mes parents à Peyrelevade. Nous étions arrivés depuis une semaine et apprenons par les infos régionales le décès de Marcela Delpastre. J’allai aux obsèques à l’église de Chamberet. Temps intense d’émotion et de recueillement. Une dizaine de jours plus tard je me rendis chez Jan dau Melhau, la personne qui, pour moi, était la mieux placée pour écouter mon propos et en avoir un regard critique. Après le repas nous sommes allés à Germont, chez la Marcelle : nouvelles émotions dans la froidure d’une maison vide mais tellement chargée de vie passée. Jan me proposa de m’aider à entreprendre les démarches pour rencontrer les bonnes personnes et les institutions. L’aventure de l’Institut d’Etudes Occitanes du Limousin (IEO) allait reprendre et je savais que j’avais l’appui de mes paires. L’association embauchera ses deux premiers salariés en juillet 1999.
Benvenguda a Genciòus
En septembre 2002, le syndicat mixte de Millevaches en Limousin organise une fête des associations du territoire dans le bourg de Gentioux. L’IEO investit l’ancien café-épicerie Couturas, qui revivra le temps de cette journée. Nous avions sollicité la commune de Gentioux pour la mise en place de panneaux de signalisation en occitan à l’entrée du bourg. Le maire de l’époque, Pierre Simons, probablement en mémoire de son prédécesseur Pierre Desroziers, vieux militant occitaniste, accepte d’acheter deux panneaux d’entrées “Genciòus“. À ce jour ce sont encore les seuls du département de la Creuse qui est dans son ensemble en terres occitanes.
Memòria de l’aiga
En 2007, nous apprenons par la Direction Régionale aux Affaires Culturelles l’existence du Plan Loire Grandeur Nature, plan de prévention des crues de la Loire et de son bassin versant. Au milieu de toutes ces possibilités financières une petite ligne budgétaire dédiée à la culture émerge. Nous décidons de déposer un dossier de demande de financement pour la réalisation d’une étude ethnolinguistique occitane sur l’eau, les milieux naturels humides et l’usage de l’eau en Montagne limousine, ainsi que la mise en place de spectacles de contes autour de l’eau. Le projet nous permet d’entreprendre nos pérégrinations sur les 28 communes des communautés de communes du Plateau de Gentioux et de Bugeat-Sornac-Millevaches au cœur. Plus d’une centaine de personnes enquêtées, de belles rencontres et aussi des découvertes sur des sujets rarement étudiés : l’irrigation, l’exploitation traditionnelle de la tourbe, les moulins, des flopées de dictons météorologiques, et la mise en place d’une douzaine de spectacles de ce qui deviendra “Contes e dires de l’aiga“. Les enquêtes donneront lieu à l’édition de Memòria de l’aiga chez l’éditeur Doublevébé Récup.
Terras comunas
Décembre 2017 : sortie sur les écrans de France 3 Limousin-Poitou-Charentes du film documentaire Terras comunas -Memòria de las lutas comunistas dins la Montanha lemosina/ Terres communes – mémoire des luttes communistes en Montagne limousine, produit et réalisé par l’IEO Lemosin. Un 52 minutes qui évoque 150 ans de luttes sociales et d’événements marquants dans la Montagne limousine, autour du portrait de l’ancien maire communiste de Tarnac, Jean Plazanet. Un film documentaire en occitan et en français.
L’occitan aura dins la montanha ?
Aujourd’hui qu’en est-il de l’occitan sur la montagne ? La langue comme partout ailleurs dans l’espace occitan est en train de disparaître, dans certaines communes elle a déjà disparu. Les populations autochtones connaissent de moins en moins la langue et la culture qui va avec, ceux qui la parlent ne s’en servent presque plus. Bien sûr, il y a toujours des surprises (comme cette petite de 8 ans de Nedde qui comprenait bien la langue et parlait de temps en temps avec sa mémé, que nous avons rencontrée il y a deux ans), mais j’ai souvenir d’une journée d’enquête avec Jean-Fançois Vignaud, où nous n’avions pas trouvé un seul locuteur dans une commune. Le grand silence… et une grande déprime. Nous n’avons guère d’espoir d’un renouveau de la langue même si elle n’a plus l’image d’une langue de paysans bouseux et arriérés et n’effraie plus. Par ignorance on n’en a plus honte (quoique…), bien que l’Education Nationale en Limousin ait jusque récemment fait blocage, tout particulièrement en Creuse, pour des interventions dans les écoles. Une nouvelle convention cadre pour le développement et la structuration de l’enseignement contribuant à la transmission de l’occitan dans les académies de Bordeaux, Limoges, Montpellier, Poitiers et Toulouse a pourtant été signée le 26 janvier 2017 à Toulouse. Cette convention non quantifiée sera-t-elle suivie d’effet et d’un rééquilibrage vers notre nord bien en retard ? A segre...
Et dire que dans les années 1970 se tenaient à Féniers des fêtes occitanes …
Jean-Marie Caunet
Paysan à La Nouaille et salarié de l’Institut d’Etudes Occitanes du Limousin.