Le 28 décembre 1999 une tempête traverse la France et tout particulièrement le Limousin. En cette nuit mémorable, c’est l’équivalent de dix années de récolte forestière qui est mis à bas. Un véritable choc pour les forestiers. Pourtant, sur le temps long, ce n’aura été qu’un épisode dans l’histoire de la forêt du Plateau... Au-delà de cette tempête dévastatrice, regardons ce qui a changé, du point de vue du forestier, sur le Plateau depuis 30 ans.
Le Plateau de Millevaches entre deux cultures forestières
De nouvelles manières de planter
Notre forêt résineuse est avant tout une forêt de plantation. Nous ne plantons pratiquement plus sans préparation du sol, d’autant que nous sommes la plupart du temps dans la deuxième, voire la troisième génération de résineux, ce qui pose le problème des rémanents. La technique la plus employée depuis 30 ans est le dessouchage par pelle mécanique suivi de la mise en andains. Technique que nos professionnels maîtrisent bien mais qui est critiquée car le sol est mis à nu pendant un an ou deux (mais les adventices poussent vite sur notre Montagne au climat à tendance océanique) et à cause de la laideur des andains qui, pourtant, deviennent très vite un refuge pour la biodiversité.
Cette technique est de plus en plus remplacée par la création de potets (trous dans le sol) effectué par une mini pelle qui tasse moins le sol. Actuellement la moitié des plantations serait effectuée avec cette méthode qui remue peu le sol, ne favorise pas la pousse des adventices, élimine les andains, mais empêche tout débroussaillage mécanique par girobroyeur. La CFBL (Coopérative forestière Bourgogne Limousin, fortement implantée sur la Montagne) a même lancé la plantation mécanique.
Les mutations ne s’arrêtent pas là. Les souches, les branches deviennent une matière première qui peut permettre de fabriquer des plaquettes forestières pour chaufferie ou différentes sortes de pellets.
La révolution de l’exploitation forestière
Nous sommes passés en un peu plus de 50 ans des passe-partout (nous étions le pays de scieurs de long) à la quasi-généralisation de l’abattage mécanique. Notre forêt résineuse se prête bien aux abatteuses qui sont de plus en plus perfectionnées, fiables, informatisées. Elles se sont imposées surtout au moment des tempêtes, offrant aux opérateurs la sécurité et un confort de travail incomparables à ceux des bûcherons à la tronçonneuse qui ont vu leur travail se réduire aux très gros arbres de bordure et aux feuillus, d’autant que les prix du façonnage n’augmentent plus depuis longtemps.
Après les tempêtes de 1999, des engins sont venus en renfort de toute l’Europe, tout comme les machines du Limousin sont parties en Allemagne puis dans les Landes après la tempête de 2009. Le débardage a lui aussi suivi. Nous avons connu le chargement à la main des camions et même des wagons de chemin de fer ! Les bois sont de plus en plus façonnés dans la coupe, en longueur désirée par les scieries. Les bois sortis en grande longueur par les débusqueurs sont moins employés sauf pour les gros bois qui actuellement ont du mal à trouver preneur. Cette mutation de l’exploitation est spectaculaire.
La révolution du sciage
Les scieries deviennent de moins en moins nombreuses et se concentrent à la périphérie du Plateau. La scierie Farges reprise par le groupe Piveteau (de taille européenne) a construit un ensemble à Egletons qui est parmi les plus importants de France alliant une scierie industrielle à la deuxième transformation et à la valorisation des sous-produits par la fabrication de pellets et d’électricité. Nous trouvons des ensembles importants à Bourganeuf et Sauviat-sur-Vige. Les scieries de Meymac et de Felletin ont été reprises par le groupe charentais Destampes spécialisé dans la palette. Le territoire conserve quelques scieries de proximité qu’il est opportun d’aider. Ces mutations donnent l’impression que notre Montagne ne sera plus qu’une réserve de matière première au service de la périphérie d’autant que les travailleurs de la forêt s’installent le plus souvent dans les petites villes autour du Plateau et que la propriété forestière à tendance à devenir de plus en plus urbaine. La forêt paysanne chère à Marius Vazeilles ne s’est pas réalisée...
Le problème de la forêt feuillue
Dans son immense majorité, c’est une forêt spontanée, la plupart du temps peu travaillée, mais, contrairement aux idées reçues nées de coupes spectaculaires, elle est en progression sur le Parc naturel régional (PNR) et en Limousin. La forêt feuillue sur la Montagne ne doit pas être traitée comme un tout homogène, nos sols variant en quelques mètres, les poches de gelées étant nombreuses et les différences d’altitude entraînant des potentiels totalement différents. Le gros problème est la valorisation de cette forêt qui suppose un tri important et de trouver des scieries spécialisées. Malgré ces handicaps, sa sylviculture progresse, même à des altitudes élevées.
Une autre voie est-elle possible ?
De nouvelles pistes sont explorées mais elles ne peuvent être généralisées car, en matière forestière, la prudence s’impose. La régénération naturelle est une technique que les forestiers maîtrisent mais elle suppose des semenciers de qualité comme dans la forêt de La Villedieu. Les plantations mélangées sont expérimentées par le PNR mais elles pourront à terme poser des problèmes de valorisation car l’unité de vente est le chargement d’un semi-remorque (aux environs de 50 stères) et empêche un tri des produits. La forêt irrégulière préconisée par certains suppose une maîtrise et une présence des forestiers importante et s’adapte mal aux petites structures. La micro-mécanisation (petits porteurs, abatteuse montée sur tracteur, scie mobile, remorque forestière avec petite grue) rendra peut-être possible sa généralisation. Ces nouvelles techniques supposent également une formation des forestiers. C’est l’espérance du groupement forestier du plateau de Millevaches pour qui un propriétaire forestier compétent travaille et donne du travail, et contribue ainsi à faire vivre la Montagne.
Ces techniques entraînent des surcoûts que ne peuvent guère supporter nos bois qui se vendent médiocrement et avec une décote par rapport aux régions de l’Est et de l’Allemagne. Les gros bois (de plus de 3 m3) trouvent difficilement preneur. Le prix du douglas est en forte baisse depuis plusieurs années surtout pour les arbres branchus. La seule solution est d’améliorer notre qualité et de produire des arbres avec le moins de nœuds possibles.
Deux cultures forestières
Nous sommes entre deux cultures forestières. Une qui ressemble à celle des Landes (mais avec des essences de meilleure qualité et plus valorisantes). Une autre qui commence par endroit à naître, qui s’apparente à celle de l’Est (Jura), moins artificielle, mais qui suppose des arbres de qualité. Une synthèse est sûrement possible, les deux modèles peuvent cohabiter. L’essentiel est de travailler convenablement, mais il ne faut jamais oublier que le plateau de Millevaches est un espace ouvert aux vents de l’extérieur. Nous resterons longtemps entre ces deux modèles.
Christian Beynel
Géographe de formation et de métier, Christian Beynel est l’auteur d’une thèse sur la forêt du Plateau (Forêt et société de la Montagne limousine, Presses universitaires de Limoges, 1998). Mais c’est aussi un forestier passionné qui préfère, maintenant qu’il est à la retraite, prendre sa tronçonneuse plutôt que de rester devant son ordinateur. Engagé dans les organismes forestiers régionaux, il est président du groupement forestier du plateau de Millevaches, et habite à Saint-Merd-les-Oussinnes.
- La forêt contestée
Certains forestiers du Plateau ont été fort critiqués ces dernières années par des habitants ou des élus du Plateau qui ont mis la forêt en débat sur la place publique. Un “rapport sur l’état de nos forêts“ qui condamne le modèle de la forêt industrielle, l’association Nature sur un Plateau qui interpelle les propriétaires et organise à Nedde en 2014 les Rencontres du réseau pour les alternatives forestières, la commune de Saint-Martin-Château qui prend un arrêté réglementant le passage des grumiers dévastateurs pour ses routes, des tags “Ni bidasses, ni douglas“, une fronde médiatique contre le piteux label PEFC... La question de la forêt est devenue sujet de débat, bien en dehors du cercle des forestiers. Pour en savoir plus, reportez-vous au numéro hors série d’IPNS de septembre 2014, toujours disponible !