Marie-Claire : Ce n’est pas vraiment une surprise mais on le vit mal quand même. Officiellement la région s’est engagée pour soutenir les circuits courts en demandant à la Safer de préempter des terres pour les producteurs comme nous (voir encadré). Ce refus montre qu’il y a un fossé entre le discours officiel de “Limousin Terre d’accueil” et la réalité des décisions politiques. La région ne soutient pas vraiment les installations en circuit court. Quand on parle de notre projet, tout le monde est d’accord pour nous soutenir. Mais quand une opportunité concrète se présente, il y a toujours des barrières. Pour Longechaud, la Safer nous a expliqué que l’acquéreur initial souhaite étendre sa propre exploitation pour y installer son fils. Mais ce fils n’a que 15 ans !
Florent : Nous on voulait s’installer avec d’autres jeunes agriculteurs. Avec 60 hectares, on pouvait installer 2 fermes complémentaires et 4 emplois en tout. Mais la Safer n’est pas intéressée par les petits agriculteurs. A fortiori s’ils ne sont pas “du pays”.
F : On a commencé dans le Sud-Est, dans les Alpes. Mais là-bas c’est un territoire difficile. Il y a une très grosse pression de la part des gros éleveurs. C’est un entre-soi quasiment mafieux.
MC : C’est un peu par hasard. On recherchait un territoire vivant, avec des projets alternatifs et une certaine qualité de vie. On voulait un lieu accueillant pour élever nos enfants.
F : On est arrivé ici et on a trouvé des friches, des zones délaissées pour nos bêtes, on y a fait ce qu’on aime faire, ce qu’on a appris, du sylvo-pastoralisme.
F : Actuellement on a une soixantaine de brebis, cinq vaches laitières et une quarantaine de chèvres.
Pour l’été ce n’est pas un problème nous avons largement assez de pâturages, des landes sèches et tourbières essentiellement, sur lesquelles nous avons fini, parce que ça n’intéresse personne, par obtenir quelques locations nous permettant d’accéder à un statut après trois ans depuis la création du cheptel.
Par contre nous n’avons aucune prairie pour les vaches laitières ni pour le foin.
Du coup on est obligé d’acheter le foin et nos frais ont explosé depuis 2 ans, parce que la sécheresse a entraîné de la spéculation. Nous l’avons payé cette année 275 euros la tonne. Et comme on a peu de terres déclarées, on a peu d’aides, pas de terre, pas de statut, pas de primes...
MC : Non. Nous préférerions être locataires car pour tout dire nous voyons la propriété comme l’origine de bien des problèmes. Mais pour exister, avoir un statut, déclarer des terres à la PAC ou être crédibles aux yeux des institutions agricoles dans la présentation d’un projet d’installation, les accords oraux de pâturage ne suffisent pas, il faut des baux ou être propriétaire.
Ne pas avoir de “véritable” siège d’exploitation et toujours dépendre des autres, ça nous rend vulnérables. Nous ne sommes jamais chez nous, nous devons toujours nous justifier et faire nos preuves pour pouvoir espérer pâturer l’année suivante. Pour beaucoup on est un peu comme des “squatteurs”, car nous pratiquons l’itinérance dans nos pâturages. Pourtant on travaille avec le CREN Limousin (Conservatoire régional des espaces naturels), on cherche des zones de pâturage sur le plan cadastral, on contacte les propriétaires... On n’a jamais eu aucun refus, aucun retrait.
F : La forêt prend une place énorme ! En quelques décennies, la forêt est passée de 12% à 45% du territoire. Pendant ce temps, la proportion de tourbières et prairies n’a presque pas changé, donc la forêt avance surtout sur les zones de landes sèches. Aujourd’hui, il est très difficile de trouver des parcours pour les troupeaux. Les pâturages sont de plus en plus morcelés. Le problème c’est que pour un propriétaire terrien, il est plus facile de planter des arbres. C’est moins de soucis que d’installer un fermier !
F : Non, on n’est pas contre la forêt. On demande juste une approche concertée du territoire. Que les propriétaires et les bergers puissent discuter ensemble avant de planter. Par exemple dans certains cas, il vaut mieux ne pas boiser une parcelle pour laisser un passage aux troupeaux. En retour, ces troupeaux entretiendront les landes aux alentours.
F : La situation parait bloquée. D’un côté on nous dit qu’il faut plus de production locale et bio. De l’autre c’est toujours les gros exploitants qui ont la terre, tout simplement parce que ce sont eux qui votent à la Safer.
MC : Les gens ne voient pas à quel point c’est difficile de s’installer quand on est en dehors des transmissions familiales. Au niveau institutionnel, personne ne veut comprendre notre urgence ! Encore un été sans foin et on ne sera obligé d’arrêter et/ou de partir.
MC : Heureusement, on a des clients, des amis et une vraie reconnaissance de notre travail. On a aussi eu des soutiens financiers qui nous ont permis d’acheter à temps le foin de cet hiver. La foncière Terre de Liens a soutenu le projet de la ferme du Bois Lacombe et suit notre recherche de terrain et nos avancées. Et nous poursuivons notre travail en partenariat avec le CREN.
F : Pour nous, je sais pas trop ce qui peut nous aider. On a du mal à avoir l’info sur les terres disponibles. Les exploitants sans repreneur ne croient plus en l’installation et préfèrent voir leur ferme partir à l’agrandissement plutôt que d’y installer quelqu’un, c’est plus rapide et ça fait moins d’histoire.
MC : L’expérience qu’on a vécue, on est prêts à la mutualiser. Comment se battre au niveau administratif, comment s’y prendre pour faire les recours, etc.
F : C’est aussi pour ça qu’on est allé jusqu’au bout. Parce qu’il ne faut pas laisser sous silence les pratiques de la Safer. Leur force c’est le silence. Parler de tout ça c’est déjà beaucoup. Il faut s’intéresser aux producteurs locaux, à leurs conditions de travail et de vie. Où est produite notre nourriture et dans quelles conditions ? Car à coup d’agrandissement c’est la paysannerie qu’on étouffe.