- C’est pour les francs-maçons ?
Sempiternelle question... épuisante au bout d’un moment, mais inlassablement suivie de la même réponse.
- Non, c’est pour les maçons de la Creuse.
Voilà comment fût accueilli “au Mur“ en mai 2004, un premier modeste bouquet.
Au Mur… J’y allais depuis l’âge de 16 ans, pour fredonner Le temps des cerises, toujours chanté faux et dont le passage “évitez les belles“, provoquait les rires gras de quelques gros cégétistes.
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Les maçons de la Creuse, pourquoi ? Parce que LA CREUSE, tiens ! Un père né à Glénic, une mère née a Paris, mais dont la propre mère était d’Ajain. Vacances en Creuse vacances heureuses, c’était encore le meilleur dicton qu’on m’ait déballé à Paris. Pour le reste…
Dire que nos parents venaient de là-bas, qu’on était “d’origine“ creusoise, cela faisait souvent glousser. Un ricanement qui, déjà, m’esquintait et me blessait. Je n’avais rien à répliquer. Après tout, il n’y avait jamais eu grande chose en Creuse. Et dans ma génération née au début des années 1980, les revendications “communautaires“ n’étaient pas légion. Pas encore…
Né à Clamart, bébé nageur à Malakoff, puis à Marne-la-Vallée à 3 ans. La ville nouvelle, rien d’un ghetto. Mais la banlieue quand même, avec ses photos de classe de la maternelle au lycée, garnie de Sofiane, de Lilia, de Jonathan, sa clique de Nguyen et ses palanquées de Dominguez. Tous Français en fait - moi aussi. Je m’appelle Peynot, Peynot III comme dit mon grand père.
Puis les années 2000 avec ses “Algérie en force“, “Portugal for ever“, “mafia cainfri“ et consorts. Et moi ? Je suis quoi dans tout ça ? Il y a toujours les régionalismes, ces folklores de fond de roupettes… Beaucoup de Bretons, de Corses, de Basques ; vous savez les joyeux garçons, les guerriers et les bergères… Alors quoi, la race limousine ? C’est d’la barbaque au rayon frais !
Je suis né à Clamart, etc. Mais je n’ai pas “d’origine“. Alors je reprends tout à zéro. Avant que le hasard (l’exode rural quoi !) ne me fasse naître en banlieue parisienne, mes aïeux étaient nés en Creuse. C’est mon 3/4 de jus, mais pas d’héritage. Mes parents, dans la lignée de mai 68, ne voulaient rien léguer. Et puis ? Je ne leur en veux pas, les choses étaient ainsi.
Heureusement depuis que je suis marmot, je suis passionné d’histoire. Alors je gratte, je retrouve les Mémoires de Léonard dans un coin perdu de la petite bibliothèque familiale. Je déniche Histoire des maçons de la Creuse dans une librairie guéretoise. Je questionne mon paternel. D’un coup, je commence à comprendre pourquoi les pierres taillées des bâtisses de Paris m’ont toujours fait des œillades. Il y avait ce peu choses que je savais : des ancêtres maçons, depuis des générations et des générations… Antoine Goumy mon arrière-arrière grand-père, maçon à Paris rue de Flandres, fusilier-mitrailleur tombé sur la Somme. Mon arrière-arrière grand oncle, Jean Alfred Tartary, maçon à Ermont, tué à l’assaut 11 jours avant l’armistice, comme tant de fils de cette terre blessée. Oui, oui ! “Maudite soit la guerre“… Cette guerre de riches. Passons.
Il y a ces choses qu’on sent… Jai une approche visionnaire de l’histoire. Collégien, j’ai au-dessus de mon lit, une affiche en couleur dû à l’habile coup de crayon de Manara, qui ne sait pas que dessiner des paires de fesses. Ce poster illustre la défense d’une barricade communarde. Je m’en rappelle, de cette intuition de collégien.
MA VISON à moi : j’en suis ! J’en étais ! Kif-kif… puisque j’en suis persuadé ! Des gens de mon sang en étaient, de ces aïeux qui ont bâti la ville que j’arpente dans tous les sens, cette capitale contre laquelle je me cogne. Je me regonfle. Un peu facilement certes.
Une autre fierté prend le relais. Celle, plus tragique, que la Creuse, fut de 1848 à 1871, le troisième département pour le pourcentage de population poursuivie. “La race la plus sanguinaire et la plus pétroleuse de France“, selon l’article on ne peut plus mordant, sinon magnifique d’Alfred Assolant.
Il faut que j’aille plus loin. Et de recherches en recherches, de lectures en lectures, je l’ai ma vieille vision : des creusois par pleine charrette, pendant la Commune. Pas de chef - tant mieux ! Mais l’ouvrier du bâtiment comme “30 sous“ de base, comme simple soldat de la Sociale. Qu’importe, ils étaient là et m’ont laissé un peu de leur sang, dans mon cœur né pour n’être jamais du côté des oppresseurs mais du côté des oppressés, toujours.
J’épluche “le Maitron“1 et les archives de Paris, les rapports de conseils de guerre plein à craquer de maçons de la Creuse. Des aïeux, des cousins ! Parfois attentistes, “touche-la-solde“ qui suivent les événements et ne se sont engagés que pour assurer leur subsistance. Quelque fois, ralliés à la Commune par sympathie ou par mouvement ; parce qu’ils se sont sentis trahis.
Les Creusois à Paris pendant ces 76 jours de 1871 ? Souvent d’incorrigibles communeux, qui se sont battus les armes à la main jusqu’aux derniers jours, pour l’idéal de la république démocratique et sociale. Autant, sinon plus que les grandes figures de la Commune, ils sont les spectres d’un peuple qui a disparu, de ces murs sales de Paris contre lesquels on les a collés, pour les abattre comme des chiens enragés. Ils ont eux aussi leur lot d’orbites pendantes, de cervelles éclatées, de crevasses béantes ouvertes sur leurs vareuses de gardes nationaux ou sur leurs blouses. Ils sont à chaque coin de rue. Ils m’avaient touchés, depuis toujours.
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Alors ça devient quelque chose que je balance a tout le monde et au final ce n’est plus pour moi, c’est pour EUX. “Pour ne pas répéter une chose ennuyeuse“, j’en saoule tous mes amis, toutes mes connaissances. Pas un, pas une n’en réchappe. A chaque coin de rue, je n’ai fait que ça : répéter cette chose qui ennuyait le parigot.
Palpant les pierres des deux rives, bon dieu ! C’est du Creusois ça !
Et pour le plus ivre, pour le plus sot que moi qui en doutait, un gaviot dans le meilleur des cas, une bouche qui parlait trop, ça saigne ! Petit poing de rat de bibliothèque, pas calleuse pour un sou, mais descendant de maçon marchois, alors ! Enfant d’émigré… C’est mon lignage, mon blason face à la jeunesse dorée.
En ce 140ème anniversaire de la Commune, je veux faire les choses en grand. Un brin rétro dans ma dégaine (pas de déguisement ! je suis comme ça). Un drapeau rouge frangé d’or et ce petit bouquet d’œillets rouge, estampillé de l’inscription que vous devinez.
28 MAI 2011 ? 140 ans après, la montée au Mur…
Toujours laborieuse quand on vient en anonyme, sans écharpe d’élu, sans carte de parti. Mais moi je les veux devant, ces blouses, ces hirondelles blanches qui ont choisi le drapeau rouge, je les veux en première ligne, ces derniers, ces oubliés. Je bataille, je gueule quand on évoque la gerbe pour les 257 Luxembourgeois. Je joue des épaules pour être au premier rang suivi de ma petite sœur Jane, 17 ans, qui tient les fleurs rouges d’outre-tombe de quelques milliers de Creusois. Je fonce dans le tas, je m’impose ! Enfin, je suis devant.
- Ah il faut s’inscrire ?
- Au nom de quelle organisation ?
- Au nom des maçons de la Creuse morts pour la Commune ! Je suis écumant.
Ma sœur dépose le bouquet, avant tous les partis, avant tous les syndicats. Je salue militairement la plaque, le poing droit serré. Un peu de pose, pas de vanité, mais un brin de morgue pour ceux qu’on traitait de brutes et qui se sont battus pour la plus noble des causes : la cause du peuple.
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Chaque jour en allant travailler, je les vois ceux qui construisent le tramway, débouchonnant un litre sous leur abri quand il neige, creusant sous le cagnard. Ces maçons au bleu de travail, blanchi de poussière de plâtre. Assis à même la chaussée pour bouloter leur kebab pendant qu’autour d’eux brillent l’amour sous les jupes des parisiennes qui passent sans les voir.
La page est tournée. L’histoire des maçons de la Creuse est fini. Mais elle recommence déjà, un peu, avec ceux-là.
Olivier Peynot