25 ans après Tchernobyl et quelques mois après Fukushima, Joseph Mazé, de Bujaleuf, dénonce la politique du mensonge mise en place par les experts du nucléaire... et nous rappelle qu’à 200 kilométres du plateau il y a la centrale nucléaire de Civaux.
Cette gestion appartient aux experts du nucléaire et à l’Etat.
Après Tchernobyl, Fukushima est pour eux l’occasion de tester une seconde fois en grandeur nature la procédure de gestion d’une catastrophe, en prévision des suivantes. On parlera plutôt d’ “accident“ que de “catastrophe“.
L’Agence Internationale pour l’Energie Atomique (AIEA) et les experts de chaque pays sont en étroite collaboration avec l’Etat où se déroule la catastrophe.
Du point de vue du non-expert, habitant de France, de Biélorussie ou du Japon, il est évident que l’objectif principal est de tout faire pour limiter le nombre de victimes.
Du point de vue des experts et de l’Etat, cet objectif n’est pas réalisable. Il va donc passer résolument à l’arrière-plan. Et l’objectif prioritaire sera de camoufler l’ampleur du désastre par tous les moyens, avec la complicité des grands médias. Il en va de l’avenir de l’industrie nucléaire et de tous ceux qui y ont des intérêts.
A Fukushima la contamination va continuer à se répandre pendant des mois.
La seule protection efficace reste la prise d’iode et l’évacuation immédiate de tous les habitants dans un grand rayon, au moins 100 Km, parfois 200 Km.
Mais pour les gestionnaires de la catastrophe, il est exclu d’évacuer les populations au-delà de 20 à 30 Km. D’une part c’est trop compliqué à mettre en place. D’autre part l’ordre d’évacuation à grande échelle serait l’aveu évident d’une situation particulièrement grave.
C’est ainsi qu’en toute logique, l’entreprise de dissimulation et de désinformation se met en place dès la survenue de l’accident. En France, les membres de l’) cultivent une transparence de pure forme. Ils sont tous bien formatés, et parlent d’une seule voix. Il ne faut pas oublier que l’IRSN est complètement impliqué dans l’industrie nucléaire.
De même, au niveau mondial, l’AIEA, qui s’affiche en expert en radioprotection, n’est rien d’autre qu’un promoteur du nucléaire.
L’OMS, qui aurait vocation à se soucier des victimes du nucléaire, ne peut rien publier sur ce sujet sans l’aval de l’AIEA, à cause d’un accord qui lie les deux organisations depuis 1959.
Concrètement, quelques exemples :
- Autour de Tchernobyl, les doses de radioactivité absorbées dès les premiers jours dépassent déjà la dose-seuil annuelle. Pour résoudre le problème, la dose-seuil est multipliée par 5. L’évacuation sera limitée à un rayon de 30 Km. Elle aurait dû se faire dans un rayon de 100 à 200 Km.
- Dans le même temps, en France, le Pr Pellerin arrête le nuage radioactif à la frontière, avec l’entière complicité des politiques et de Météo-France.
- En août 1986, la délégation de scientifiques soviétiques, menée par Legassov, se rend à l’AIEA à Vienne pour faire son rapport sur les conséquences sanitaires. Il annonce une estimation de 44 000 cancers à venir. Il est désapprouvé, et censuré. L’AIEA déclarera 4 000 cancers.
- En Biélorussie, pays le plus contaminé par Tchernobyl, plusieurs médecins et scientifiques biélorusses, comme Bandajevsky et Nesterenko, observent et soignent, pendant toutes les années 1990, les enfants qui sont malades en grand nombre, du fait de la contamination croissante par le Césium 137. Leurs études ne laissent aucun doute sur l’impact sanitaire très grave de la radioactivité ingérée avec les aliments contaminés.
De 1996 à 2003, à l’initiative du lobby nucléaire français, des experts français viennent dans plusieurs districts contaminés de Biélorussie pour “réhabiliter“ ces zones contaminées, montrer aux habitants qu’on peut y vivre normalement, cultiver la terre et manger ses légumes sans danger, etc.
Les travaux et les publications des scientifiques et des médecins biélorusses sont discrédités. Leur outil de travail est démantelé. A aucun moment, ces experts français ne se sont souciés des malades.
En 2005, l’OMS publie enfin son 1er rapport sur Tchernobyl qui émet des interrogations et des craintes sur le devenir des victimes de la catastrophe. L’AIEA se basant prétendument sur ce rapport, publie un communiqué qui ne le reflète en rien : il y aurait eu quelques dizaines de morts, quelques milliers de cancers de la thyroïde, et rien d’autre.
quand descendrons-nous tous dans la rue pour dire NON ?
Pourtant la majorité des études sur Tchernobyl fait état, au moins de plusieurs dizaines de milliers de morts jusqu’à ce jour. Et autant de décès sont attendus dans les 20 ans à venir.
Mais le lobby nucléaire n’en a cure : cynique ou (et) aveugle, il sait qu’il a raison; il a le pouvoir.
Pour Fukushima c’est le même déni qui s’installe. La radioactivité contamine largement jusqu’à 100 km et bientôt au-delà, mais on évacue seulement une zone de 20 km autour de la centrale.
Des millions de personnes vivent désormais en zone fortement contaminée et ont dépassé dès les premières semaines la dose-seuil admissible annuelle de 1 millisievert. Fin avril le gouvernement japonais décide donc de relever ce seuil de 1 à 20 millisieverts par an pour les enfants (seuil maximum admissible pour les travailleurs du nucléaire).
Ainsi ils pourront continuer à jouer dans les cours d’école en se faisant irradier légalement.
Dans la presse française il n’y a pratiquement pas un mot de cet événement.
Pour les gestionnaires de la catastrophe, tout fonctionne comme prévu.
La France pourrait être, pourquoi pas, candidate pour le prochain “accident majeur“.
Nos nucléocrates l’ont imaginé, et ils y sont préparés.
S’il s’agissait de Civaux, nous découvririons enfin ce que vivre en zone contaminée veut dire, à 200 km à la ronde, sur un peu moins d’un quart de la France, depuis Bordeaux jusqu’à Orléans en passant par Nantes et Clermont-Ferrand. Croyons-nous que nous partirions, laissant tout derrière nous ?
Nous sommes pris en otages par ce système dont nous sommes évidemment complices par notre silence. L’industrie nucléaire pourrait bien avoir notre peau à tous.
Quand descendrons-nous tous dans la rue pour dire NON ?
Joseph Mazé