Trop d’éclairage nuit !
Véronique Clérin
Dans son numéro d’automne 2010 “Sortir du nucléaire“ nous propose un article de Véronique Clérin, éco-conseillère en éclairage communal doux. Nous en reprenons l’essentiel avec quelques chiffres relevés sur diverses communes du plateau.
Que faire avec l’électricité produite la nuit par les centrales nucléaires ? De la pollution lumineuse.
La pollution lumineuse, c’est la dégradation de l’environnement causée par l’excès d’éclairage artificiel visible en extérieur. Cette pollution est due à l’éclairage public inutile, au sur-éclairage, au mauvais matériel, aux durées d’éclairement trop longues…
L’éclairage public représente 5,6 milliards de kWh/an en France. La consommation par an et par habitant est passée de 70 kWh en 1990 à 92 kWh en 2005. Pourtant, les lampes sont de plus en plus efficaces, la consommation aurait donc dû baisser. Mais le nombre de ”points lumineux” a augmenté de 30 % en dix ans. Et ces chiffres ne tiennent pas compte des éclairages commerciaux, des publicités lumineuses et des parkings vides éclairés toute la nuit… En Allemagne, la consommation pour l’éclairage public est de 43 kWh/an/habitant. Soit moins de la moitié !
Cette carte illustre la moindre consommation dans l’Ouest et la plus forte consommation dans le Sud.
La pollution lumineuse a de nombreux impacts négatifs :
Gaspillage et production excessive de CO2
Eclairages inutiles, lampes trop puissantes, lampadaires inutilement rapprochés, durées d’éclairement trop longues... toutes ces pratiques sont des gaspillages d’énergie. Le sur-éclairage provoque une consommation excessive de matériel et de matières premières et engendre des déchets (notamment les lampes à vapeur de mercure). Tout ceci produit du CO2 : l’ADEME a établi qu’en moyenne 1kWh d’électricité pour l’éclairage public produit 119 g de CO2.
Diminution de la biodiversité
La nuit est un espace vital pour les espèces nocturnes. Elle permet de passer plus facilement inaperçu aux yeux des prédateurs et offre des conditions plus favorables aux espèces qui régulent mal leur température ou sont sensibles à la sécheresse de l’air. De nombreux prédateurs se sont aussi mis à vivre la nuit, à tel point que 80 % de ce qui vit sur terre est nocturne.
L’illumination d’espaces naturels bouleverse le milieu animal et végétal qui y vit. La lumière artificielle piège les animaux nocturnes tels qu’insectes, papillons, batraciens ou poissons. Elle perturbe également les migrations animales, que ce soit des oiseaux, des papillons, des insectes ou des mammifères.
Atteintes à la santé humaine et au confort
En ville, l’éclairage éblouissant dérange fortement les malvoyants et les personnes âgées, notamment les spots encastrés dans le sol. Le sur-éclairage produit des zones d’ombres ”noires” trop contrastées pour l’œil.
La lumière intrusive qui pénètre dans les habitations détériore la qualité du sommeil, diminue la production de mélatonine (une hormone produite par le corps humain uniquement dans le noir) et affaiblit nos défenses immunitaires. Enfin, le dôme de pollution lumineuse au-dessus des villes coupe les humains du spectacle des étoiles et de la voûte céleste et interdit l’astronomie amateur.
Des solutions simples existent
Que faire pour limiter la pollution lumineuse ? Eteindre un lampadaire sur deux ?
Diminuer l’intensité lumineuse en cours de nuit ? Faire de la ”gestion de flux” ?
Les solutions les plus simples sont : éclairage bien dirigé, puissance des ampoules, durées et zones d’éclairement limitées. Autant favoriser la simplicité, sans électronique et technologies complexes. Avant tout équipement ou renouvellement d’installation, il faut réfléchir en reprenant le problème à la base : pourquoi ? quand ? et comment éclairer ?
Les communes ne devraient pas laisser les vendeurs-éclairagistes continuer à planter une forêt de lampadaires : on peut limiter le nombre, la hauteur et la puissance des points lumineux, lampadaires ou bornes lumineuses. Aucune norme n’est à respecter en France, les éclairagistes présentant la norme européenne EN 13201 comme obligatoire trompent les élus. Cette norme est de type ”commercial”, elle a été mise au point par l’association française de l’éclairage (AFE) qui regroupe les industriels de l’éclairage et EDF. Mais certains petits villages gaulois font de la résistance et n’ont pas d’éclairage public, par exemple Yquebeuf près de Rouen et St Georges Nigremont en Creuse1. Et cela en toute légalité.
Un vrai remède : l’extinction en milieu de nuit
Les éclairagistes et EDF n’aiment pas du tout cette solution. Pourtant, couper l’éclairage en milieu de nuit permet d’économiser l’électricité, le matériel et la maintenance.
En éteignant l’éclairage public entre 23h et 5h, le nombre d’heures d’éclairage passe de 4000 à 2000h par an. Les communes qui ont mis en pratique ce principe divisent ainsi par deux leur consommation électrique en éclairage public. Or ce poste de dépense représente en moyenne la moitié de l’électricité consommée par la ville (le reste étant le chauffage et l’éclairage à l’intérieur des bâtiments communaux, écoles, mairies, salles de sport, etc.). Elles économisent également sur le matériel (les lampes durent deux fois plus longtemps) et la maintenance (le changement des lampes peut coûter très cher quand les lampadaires sont très hauts et nécessitent une intervention en nacelle pour changer les ampoules).
Beaucoup de communes rurales en Bretagne et dans les Pays de Loire éteignent en milieu de nuit, mais c’est l’exception dans le Sud-Est de la France. A votre avis pourquoi ? Dans ces régions, EDF a incité les communes à laisser leur éclairage allumé toute la nuit car… les centrales nucléaires ne s’arrêtent pas. Les communes de l’Ouest ont été moins sollicitées car ces régions sont plutôt déficitaires en production électrique. Le conditionnement est tel que, dans l’Est, de nombreux maires ne savent pas qu’ils ont le droit d’éteindre ! De plus les éclairagistes et certains syndicats d’électrification leur déconseillent d’éteindre et font courir des rumeurs sur leur responsabilité qui serait engagée en cas d’accident. Le service juridique de la fédération nationale des syndicats d’électrification a été obligé de reconnaître que ”cette responsabilité d’éclairer n’est pas une obligation : il appartient au maire de décider quel espace doit recevoir un éclairage ou non. L’arrêt de l’éclairage public la nuit ne constituant pas un risque avéré pour les communes, il est tout à fait envisageable de couper l’éclairage public.”
L’éclairage public n’est pas seul en cause, il y a aussi l’éclairage commercial et celui des zones industrielles. Là aussi les élus peuvent agir : un arrêté municipal peut limiter les horaires autorisés pour les éclairages privés commerciaux et industriels.
Véronique Clérin
Plus d’informations : livret ”Trop d’éclairage nuit” édité par la FRAPNA (Fédération Rhône-Alpes de Protection de la Nature) à télécharger sur le site www.frapna.org
Pour participer à l’amélioration de l’environnement nocturne : www.jourdelanuit.fr
1 ndlr
- 72 % des habitants ont refusé l’éclairage public !
Saint Georges Nigremont (23) est l’une des 64 communes de France labellisée Villes et Villages étoilés, et se contente d’éclairer son église (!). Une lampe supplémentaire tire de la pénombre l’accès à la mairie et à la crêperie. René Roulland, maire, souligne que “nous allons tout faire pour limiter la pollution lumineuse“.
- Eclairer juste c’est consommer moins
Cela passe par la suppression des sur-éclairements (> 30 lux), des boules énergivores, l’utilisation de lampes basse consommation, mais aussi par des réducteurs de puissance.
Le remplacement des sources lumineuses, l’abaissement des hauteurs de feux, le rabattement des flux lumineux vers le sol limitent les déperditions et diminuent les puissances intallées.
1/3 des installations d’éclairage public ont plus de 20 ans, 20 % des installations des rues sont aux “normes“. La plupart des systèmes d’éclairage actuels envoient une partie de leur lumière vers le ciel au lieu d’être orientés vers le sol.
Des villes commencent à s’équiper de nouveaux types de candélabres associant l’éolien et le solaire. Ils restituent la lumière du soleil et la puissance du vent qu’ils captent durant la journée. Cette énergie écologique captée et stockée le jour dans les batteries des candélabres génére l’électricité suffisante (technologie LED) pour alimenter en complète autonomie les éclairages publics.
Michel Bernard
Quelques communes limousines...
- Une analyse inquiétante
Quelques communes nous ont communiqué leurs chiffres, pas de réponse de Meymac !
Nous pouvons longuement disserter sur la “sur-consommation“ de nos communes, étendue du territoire, nombreux villages, perte de population, installation vieillissante, etc. Néanmoins la lecture des chiffres est assez catastrophique, pour les communes de 500 à 2000 habitants la moyenne nationale est de 82 kWh/habitant, ce qui est déjà très important (rappelons en Allemagne : 43 kWh/habitant). Alors pourquoi continuer à éclairer les étoiles, les villages déserts, les maisons de campagne fermées ? Pourquoi ne pas éteindre entre 23 h et 5 h du matin par exemple ? Interrogons-nous également sur les coûts d’entretien souvent supétireurs à la consommation.
Des communes, comme Peyrat-le-Château entreprennent prochainement des travaux de modernisation de leur installation, mais il faudra faire beaucoup plus que moderniser le réseau, sans doute déjà comme Bourganeuf, couper un lampadaire sur 2 !
Michel Bernard
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IPNS - 23340 Faux-la-Montagne - ISSN 2110-5758 -
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