Venu inaugurer une caserne de pompiers à Meymac à l’occasion du congrès des sapeurs-pompiers de la Corrèze, le ministre Brice Hortefeux s’est fait accueillir le samedi 9 octobre 2010 par une délégation imprévue. Compte-rendu, par un des participants à la manifestation.
Ma chère Paulette,
Après les encouragements appuyés que tu m’as faits avant le départ à la manif de Meymac, l’autre jour, je te dois bien au moins un petit récit. Alors c’était vraiment très chouette ! Enfin, chouette, ce n’est pas vraiment le mot, tu t’en doutes. Nous étions bien trop remontés, bien trop énervés par la visite de l’innommable Hortefeux sur le Plateau, pour avoir envie d’être “chouettes”. Ce qui n’empêche pas, cependant, que nous avons trouvé ce jour-là une certaine joie, hargneuse et collective. Enfin voilà, je crois qu’on a réussi à lui pourrir sa journée. Et à pourrir la semaine du sous-préfet d’Ussel par la même occasion (celui-là, il a dû se faire remonter les bretelles !).
Comme tu le sais, nous sommes parvenus à nous approcher non loin de la salle où intervenait le ministre, juste avant qu’il débarque, malgré les gendarmes qui voulaient cantonner la manifestation loin de son regard. Et ça a un peu chauffé. Il faut dire qu’il y avait pas mal de monde par rapport à ce qu’on aurait cru, sûrement du fait que le message avait circulé largement (de Tulle à Ussel et jusqu’à Eymoutiers, en passant par plusieurs villages du Plateau). Je crois que nous étions plus de 300. Il y avait des gens d’un peu partout, et de tous les âges, qui ne se connaissaient pas forcément. Mais tout le monde partageait l’envie d’offrir au ministre un accueil digne de ce nom, à la hauteur de la politique qu’il mène, et dont je sais combien elle te hérisse le poil. Et je crois que derrière tout ça, on avait aussi une petite pensée pour Sarkozy, pour le mouvement social qui démarrait, enfin bref, une certaine envie de révolte inspirée par l’air tu temps...
Une certaine envie de révolte inspirée par l’air du temps…
Alors voilà. Tout le monde s’est d’abord rassemblé devant la mairie, et nous sommes partis en défilé. On a commencé à descendre en direction du cinéma, et le mot a circulé qu’on pouvait tenter d’arriver dans la rue du cinéma par les deux côtés à la fois : la manif s’est alors séparée en deux. Une des deux moitiés s’est vite retrouvée face à un cordon de gendarmes qui bloquait la rue, et a décidé de rejoindre l’autre partie du cortège. Mais cette fois-ci, quand on a vu la rue barrée, on s’est pas laissé faire. Il y avait dix gendarmes qui bloquaient l’accès à la rue du cinéma, et comme je t’ai dit, on était 300 : c’était trop tentant. Alors on a commencé à s’approcher d’eux, et à essayer de forcer gentiment le passage. Eux, ils repoussaient les gens, mais il y en a quand même qui ont réussi à passer, et les gendarmes se sont retrouvés avec des manifestants devant et derrière eux. Ils savaient plus quoi faire. Alors le reste du cortège a continué à avancer, et tout le monde est passé, dans une ambiance... comment dire...électrique. D’un seul coup, c’était comme si on n’était plus qu’une seule masse, un seul corps qui criait des slogans, qui avançait obstinément derrière les banderoles. Et on a continué à avancer, malgré les autres gendarmes qui venaient en renfort. On était nous-mêmes surpris que ce soit aussi facile... mais bon, ça s’est quand même gâté quand on s’est approché du cinéma. Plusieurs fourgons de flics sont arrivés en trombe. Des gardes mobiles en sont descendus, avec casques, boucliers et matraques. Je sais pas si tu as vu le journal sur la 3 le soir, mais on y voit le ministre descendre de sa voiture et demander à son chauffeur de faire demi-tour. Et bien c’était à ce moment là. Il en faisait une tête ! Enfin bref, les gardes mobiles se sont mis en place pour nous empêcher de passer. Mais on était encore motivés, on voulait pas en rester là ! Presque tout le monde s’est tassé contre eux, en cherchant à passer quand même, ou au moins à les faire reculer. Et on y est arrivés, un petit peu, sur quelques mètres. Seules quelques personnes sont restées en retrait, peut-être un peu inquiètes. (Enfin il faut comprendre, tout le monde n’a pas forcément envie de chercher des gendarmes déguisés en robocop.) En tout cas, il y avait plein de gens qui continuaient à pousser en criant des slogans... “Hortefeux, au lac !“ ; “Police partout, justice nulle part !“. Il y en a qui interpellaient les gendarmes, leur disant de nous laisser passer. Certains gendarmes répondaient par des insultes. Et on poussait, certains essayant de passer entre les lignes. Il y avait même des élus, des maires, des syndicalistes avec leurs drapeaux ; même certaines personnes qui avaient hésité à forcer le premier barrage, se retrouvaient aux premières lignes face aux boucliers. Je t’ai dit, l’ambiance était électrique. Et à un moment, les flics ont commencé à réagir. Ils ont réussi à attraper un type et à l’emmener. Mais ça nous a pas calmés, au contraire. On a commencé à crier “Libérez notre camarade“, avec encore plus de détermination. Il y a même quelques personnes qui voulaient qu’on aille le libérer aussitôt, vu qu’il avait été emmené juste à 50 mètres de là, protégé par seulement quelques gendarmes. Mais là, c’était peut-être un peu trop, et on est pas intervenu.
Alors on a continué à crier, et à empêcher les gardes mobiles de nous repousser. Il y a eu d’autres interpellations, par la suite. Cinq au total, dont deux élus. Et à chaque fois, ça nous énervait encore plus. Enfin au bout d’un moment, le commissaire est sorti de derrière les lignes de boucliers pour négocier avec nous. Il voulait qu’on recule de 30 mètres avant de libérer les gens arrêtés. Certains étaient pour, d’autre contre. Il y en a qui criaient “Les flics ont la même technique que le gouvernement : ils nous demandent de reculer pour mieux nous arnaquer, à la fin ils lâcheront rien !“. Pourtant on a quand même reculé, pour voir. Et c’est en effet ce qui s’est passé : ils n’ont relâché personne, et nous ont demandé de reculer encore. Alors là, on n’a pas bougé, et on a continué à crier. Certains élus ont continué à négocier avec le commissaire, et il a fini par relâcher des gens. Deux d’abord, puis deux autres. Et ensuite, il a prétendu qu’il n’y avait plus personne ! On a du insister encore pendant plus de dix minutes, et le dernier interpellé à fini par être relâché.
Finalement on a défilé encore 10 minutes dans les rues de Meymac, en remontant jusqu’à la mairie, et puis on s’est séparé, même si certains en voulaient encore. Il paraît qu’il y a eu des jets de tourbe sur l’immeuble du député Audy, celui qui avait invité Hortefeux à venir... Enfin voilà, Paulette, ce qu’on a vécu l’autre jour à Meymac. Il y a vraiment eu une belle énergie collective, et une vraie détermination. C’était pas une manif “plan-plan“, comme on dit. Finalement, je crois que tu aurais pu venir aussi. Il y avait des gens dans le cortège, je suis sûr qu’ils avaient plus de 70 ans. Mais bon, il y en aura d’autres, des manifs et des événements imprévus. Surtout vu l’ambiance dans ce pays en ce moment, je crois que ça ne va pas s’arrêter là. Je l’espère, en tout cas, et je sais que tu le souhaites aussi. On peut plus se laisser écraser comme ça. Alors...je t’emmène avec moi la prochaine fois ?
Je t’embrasse bien fort, ton petit-fils qui ne t’oublie pas.
Ce texte est extrait du «Communard», feuille née sur le Plateau dans le sillage du mouvement social de ces dernières semaines.