Le dossier du n°31 d’IPNS sur la forêt et le Magazine du plateau de Télé Millevaches sur le label PEFC “qui cache la forêt“ a fait réagir Christian Beynel qui présida toutes ces dernières années le groupement de développement forestier du plateau. Voici sa contribution à un débat qui n’est certainement pas clos.
Le magazine 178 de Télé Millevaches exécute allégrement PEFC et la filière bois du plateau de Millevaches. Est-il positif pour autant ? Fait-il avancer pour autant la cause de la forêt ? Il semble bien, hélas qu’il casse les efforts du noyau de forestiers engagés depuis longtemps dans un processus d’amélioration continue de leur sylviculture en jetant sans nuance la suspicion sur leur travail.
Une forêt, un mode de sylviculture se construit lentement après bien des tâtonnements. C’est une évidence qu’il faut rappeler et qui est oubliée alors que les phrases péremptoires et sans nuances ne manquent pas dans ce reportage.
Nous n’avons pas à rougir de notre filière résineuse
Plutôt que d’aller chercher des exemples en Tasmanie pour démolir les efforts de PEFC et de placer en exergue un groupement forestier du Morvan, travaillant dans des feuillus médiocres en se drapant derrière les préceptes de Prosylva, n’aurait il pas mieux valu venir à la fête de la forêt du Millevaches organisée le 12 juin 2010 par le groupement de développement forestier du plateau de Millevaches avec l’aide de toute la population de Saint Setiers qui a réuni près de 3000 personnes dans une forêt plantée dans les années 1970, conduite de manière à préparer une régénération contrôlée que certains qualifieraient de naturelle aussi bien dans les feuillus que dans les résineux.
Nous n’avons pas à rougir de notre filière résineuse sur le plateau de Millevaches car curieusement le reportage n’aborde pas le problème de la forêt feuillue alors qu’elle couvre 43% de la surface de notre forêt et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle n’est pas très brillante, faute de travail et surtout parce qu’elle est installée la plupart du temps, surtout sur la partie haute du plateau de Millevaches, dans des conditions difficiles.
Nous sommes partis de rien. La crise de l’agriculture traditionnelle a laissé libre des surfaces importantes après la seconde guerre mondiale. Le choix a été entre une forêt spontanée de feuillus médiocres et une forêt de résineux dont les essences nous ont été imposées par le fonds forestier national. Le douglas était proscrit des subventions au dessus de 700 mètres alors qu’il est à sa place (les expériences réussies de régénération naturelle le prouvent) dans notre moyenne montagne à climat océanique dégradé dont les caractéristiques physiques ressemblent à son aire d’origine, nous faisant perdre un temps précieux. L’ancien sous-préfet d’Ussel trouvait il y a deux ou trois ans que notre volume de production était insuffisant pour attirer des grosses unités de sciage.
Les machines ont le mérite de faire travailler les hommes dans de bonnes conditions
Le magazine nous reproche nos coupes rases menées par des engins monstrueux, mais il faut souligner, ils ont l’immense mérite de faire travailler les hommes dans de bonnes conditions. Elles sont pourtant obligatoires et parfois urgentes pour couper les sapins grandis, les épicéas de sitkas et même les épicéas communs victimes des séquelles de la tempête, des sécheresses de 2003 et 2004, et peut être du réchauffement climatique1. Les cartes de projection de végétation dans les années 2050 sont en tout cas inquiétantes et tout forestier investissant à long terme est bien obligé d’en tenir compte.
La récolte sur le territoire du PNR est importante, elle avoisine 1 000 000 de m3 pour les résineux et un peu moins de 400 000 m3 pour les feuillus. Ce territoire est devenu la première région forestière du Limousin. Une de nos responsabilités est de ravitailler les industries qui se sont installées à sa périphérie même si un de nos souhaits est de les voir s’installer en plein cœur du massif à l’instar d’Ambiance Bois à Faux-la-Montagne sans oublier le bois énergie de préférence sous une forme moins contraignante que le bois buche.
Nous ne disposons pas pour l’instant de chiffres sur l’origine de cette récolte. Les éclaircies sont très nombreuses démontrant que la vulgarisation forestière a fait des progrès considérables. Nous possédons une technicité certaine que nous cherchons à améliorer.
Pour changer de mode de gestion, passer à la forêt perpétuelle, à la futaie irrégulière, comme vous nous le suggérez, il nous faut du temps. Beaucoup d’entre nous essayent la régénération naturelle qui n’est pas une technique simple ; encore faut-il disposer de portes graines de bonne qualité et d’opérateurs qualifiés, les surprises et les échecs n’étant pas exclus et en tout état de cause les coûts de mise en place sont les mêmes.
Pendant longtemps, nous serons entre deux modes de gestion forestière. Nous connaissons bien la technique actuelle que je qualifierai de landaise, il serait stupide de l’abandonner mais en même temps, en fonction des stations, de la qualité des portes graines dont nous disposons nous pouvons nous orienter vers des techniques de futaie jardinée et de régénération naturelle. Le douglas dans cette perspective peut nous rendre de grands services.
Arrêtons de parler de monoculture, cette essence pour l’instant, même si la tendance est en hausse, ne représente que 21% de la forêt du PNR, ce qui n’empêche pas d’essayer d’adapter et d’essayer d’autres essences comme l’érable sycomore, le sapin noble, le tsuga etc.
Le plateau de Millevaches n’est ni la Tasmanie, ni l’ouest américain !
Mais soyons prudents, ne soyons pas affirmatifs, observons, tenons compte du marché même si nous ne devons pas en être prisonnier et tentons de diversifier les débouchés.
Avez-vous choisi pour défendre votre point de vue et une autre gestion de la forêt la bonne solution ? Nous avons tenté une autre voie, moins polémique, celle de la formation des hommes et de leur information en créant un groupement de développement forestier et nous regrettons que la charte forestière de territoire mise en place par le PNR (qui ne souffle pas un mot de la forêt feuillue) ne consacre qu’une petite ligne de crédit de 29 000 euros sur trois ans à la formation des 20 000 propriétaires forestiers qui la plupart sont des petits propriétaires héritiers des paysans de la montagne chassés par l’exode rural et qui par atavisme ont gardé quelques parcelles de terrains plus ou moins boisées. L’efficacité de la charte aurait gagné à s’intéresser en premier à ces propriétaires qui la plupart du temps ont peu de connaissances forestières.
Je ne mets pas en doute vos intentions mais à trop vouloir prouver, à trop amalgamer vous pouvez faire un tort considérable et contrarier nos efforts de vulgarisation et lutter même contre vos propres objectifs. Le bois est un matériau renouvelable et dont le monde entier aura un grand besoin dans les décennies futures. Nous pouvons le produire de manière tout à fait satisfaisante en respectant le milieu.
Imaginez le choc de vos images, la force du commentaire à charge qui l’accompagne, sur un public mal informé. Le plateau de Millevaches n’est ni la Tasmanie, ni l’ouest américain ! Vous pouvez casser notre travail d’amélioration de la sylviculture pendant des années. Une autre voie est possible, celle de montrer les efforts de ceux qui s’accrochent et qui essayent d’améliorer leurs procédés. Positivez nos expériences, essayez de les comprendre et non de les stigmatiser.
Christian Beynel
1 La température moyenne de Peyrelevade aurait augmentée de 1,8° en trente ans.