Oiseau Emblématique de l’alternance des saisons en Limousin, la Grue cendrée (Grus grus) est un oiseau famillier aux habitants du plateau de Millevaches. Alain Gendeau nous en dit un peu plus sur ce migrateur et ses habitudes avec le plateau de Millevaches.
On les voit passer à l’automne et l’hiver, puis au printemps, sans trop savoir ni qui elles sont ni où elles vont. Le Limousin avec ses trois départements se situe dans l’axe du couloir migratoire allant du nord de l’Europe vers l’Espagne et le Maroc (voie de l’ouest). D’où l’importance des vols parfois bruyants qui attirent notre attention… Quel spectacle ! Mais ces migrateurs ne font pas que passer dans le ciel du Limousin, régulièrement, les grues utilisent le plateau de Millevaches pour y faire des haltes de repos.
La grue cendrée est l’un des plus grands oiseaux d’Europe (taille d’un enfant de dix ans = 1,15 à 1,30 mètres, envergure de 2,20 mètres environ et poids de 4 à 6 kg). Elle niche essentiellement en Allemagne, Scandinavie et jusqu’à la partie la plus orientale de l’Eurasie. Seuls 4 à 5 couples nicheraient en France (en Lorraine)… Le couple est fidèle à vie (sauf accident) et élève un à deux gruaux qui seront aptes au vol 10 à 12 semaines après leur naissance. Au début de l’automne, les jeunes suivront leurs parents en migration. En 15 ans, la population sur le couloir ouest a doublé pour être aujourd’hui estimée à 250 000 oiseaux. Cet accroissement spectaculaire est essentiellement dû aux mesures de protection et de réhabilitation des zones humides (repos et nidification).
Dès le mois d’octobre, les grues commencent à se rassembler pour quitter les zones les plus septentrionales de l’Europe. La migration débute une fois l’élevage des jeunes finis. C’est la migration postnuptiale qui s’enclenche et les grues descendent vers le sud par vagues, en fonction du froid qui s’installe. Cette migration dure jusqu’à Noël où parfois les rigueurs de l’hiver en Allemagne obligent les dernières grues à repartir. Lors de la descente, les grues n’hésitent pas à s’arrêter pour reprendre des forces et attendre que les conditions météorologiques s’améliorent. Celles qui survolent le Limousin en fin d’après-midi sont parties du Lac du Der situé en Champagne dans la matinée et filent jusqu’en Aquitaine et en Aragon (Espagne) si les conditions météorologiques sont favorables (vents porteurs = vitesse de vol de 80 km/h). Elles peuvent effectuer des étapes de 700 à 900 km. Le plateau de Millevaches est un lieu favorable aux haltes migratoires : les grues y séjournent la nuit et plus longtemps si les conditions météorologiques sont défavorables. En effet, les zones tourbeuses du plateau et les îlots, vasières et bancs de sable des lacs de la Vaugelade et de Vassivière constituent des dortoirs intéressants. C’est ainsi que le 7 novembre 2008, 200 grues ont été observées, posées dans une prairie proche du lac de Vassivière, au lieu dit le Mazeau (Royère de Vassivière). Pour se protéger des prédateurs nocturnes et en particulier du renard, les grues dorment bien souvent les pieds dans l’eau, grâce à leur morphologie d’échassier. Pendant cette migration postnuptiale, quelques milliers de grues font des haltes sur le plateau de Millevaches.
Les grues sont des oiseaux farouches et méfiants : il est donc difficile de les approcher. Grâce à leurs sens très développés, elles constatent la présence de l’homme bien avant que celui-ci ne les ait vues et elles se tiennent généralement à une distance de 300 à 500 mètres.
Voici quelques petits conseils pour les observer :
- une bonne paire de jumelles et une longue-vue sont indispensables ;
- pour les photographier, des appareils avec un objectif puissant sont nécessaires ;
- il faut rester dans les voitures lorsque les grues sont posées près d’une route.
En effet, les envols inopinés sont néfastes car ils gênent leur alimentation, laquelle se transforme en carburant nécessaire pour effectuer ces longs voyages. Par ailleurs, les heurts avec les lignes électriques et les déchirements d’ailes contre les barbelés sont fatals à de nombreux oiseaux.
Il est parfois difficile de faire la différence entre la fin de la migration postnuptiale et le début de la migration prénuptiale car les déplacements entre les sites d’hivernage se prolongent jusqu’à fin janvier. En 2009/2010, environ 90 000 grues ont hiverné en France. Pour la première fois, une vingtaine de grues a hiverné dans le nord-est de la Creuse.
Mais souvent, fin février ou début mars, les oiseaux sont impatients de repartir vers leur lieu de nidification et on assiste à des passages massifs si les conditions météorologiques sont bonnes : en 15 jours une grande partie des grues en provenance du sud passe alors au-dessus de notre région. Le mauvais temps (brouillard, vent contraire) les oblige quelquefois à faire une courte halte cela a été le cas début mars 2010 lorsque les grues freinées par un fort vent du nord-est se sont posées dans les zones tourbeuses du plateau de Millevaches. Le 4 mars 2010, près de 4000 grues ont survolé à très basse altitude le bourg de Royère de Vassivière pour ensuite se poser dans les prairies bordant le lac de la Vaugelade et y passer la nuit. Au fur et à mesure que l’hiver desserre son étau dans les pays nordiques, les grues regagnent petit à petit leurs anciens sites de nidification.
Les paysages du plateau de Millevaches rappellent certainement aux grues la Scandinavie et leur passage fait partie intégrante de la culture limousine. C’est d’ailleurs pour cela que nos aînés nous ont transmis ce dicton en Occitan :
Quand las gruas passen, quo es que vai far freg
Gri-gro ! Gri-gro ! Gri-gro !
Pausatz los chapelons /los mantilhons, los pelissons
Prenetz los mantelons !
E a la prima quand tornen montar
Gri-gro ! Gri-gro ! Gri-gro !
Pausatz los mantelons !
Prenetz los chapelons /los mantilhons, los pelissons
Gri-gro ! Gri-gro ! Gri-gro !
Alain Gendeau
Coordinateur de la migration des grues cendrées en Limousin pour la SEPOL et le Réseau Grues France (LPO Champagne-Ardennes)
Nous avons pu améliorer nos statistiques grâce à certains habitants. Toutes les observations sont les bienvenues et peuvent être communiquées directement :
à la SEPOL (Société d’Etudes et de Protection des Oiseaux du Limousin) : http://sepol.asso.fr/ ou au Réseau Grues France http://champagne-ardenne.lpo.fr/grues/point_sur_la_migration.htm