En mars 2013, Manuels Valls alors premier ministre fait une halte à Aubusson où il rencontre les élus de la communauté de communes d'Aubusson-Felletin. Cette dernière s'apprête à fusionner le 1er janvier suivant avec la communauté de communes du Plateau de Gentioux, trop petite pour continuer à exister en tant que telle avec ses quelques 2 500 habitants. À l'époque, la loi NOTRe n'avait pourtant pas encore été votée et cette fusion n'avait donc rien d'obligatoire. Les élus du Plateau de Gentioux avaient choisi d'anticiper et de rejoindre Aubusson-Felletin – ce qui aurait dû être fait de toute façon deux ans plus tard après que la loi NOTRe interdise l'existence de toute communauté de communes de moins de 5 000 habitants1. À l'époque les élus du Plateau de Gentioux, contre l'avis d'une partie de leurs administrés, avaient fait le pari d'une fusion bénéfique.
Donc, le vendredi 22 mars Manuel Valls est à Aubusson : “Ici, il y a une volonté, déclare-t-il. L'intercommunalité accomplit des progrès tout à fait considérables et la rationalisation de cette carte est aujourd'hui véritablement en train de se mettre en place. J'ai le sentiment que ce que vous êtes en train de faire est particulièrement instructif et exemplaire parce que vous gardez - ce qui est très important - l'identité de chacune des communes, même de la plus petite et en même temps, vous bâtissez cette “prestation de services“ pour les collectivités, au service des habitants. Je ne peux que vous encourager à continuer.“ Une photo où les notables de l'époque se pressent fièrement autour du premier ministre mérite d'être regardée à nouveau et commentée. Mais à relire cette bénédiction ministérielle quatre ans plus tard, on ne peut qu'en rire... ou en pleurer.
Le suicide de l'ancien DGS de Creuse Grand Sud a surpris tout le monde au cœur de l'été. Surpris vraiment ? Un an auparavant, en juin 2016, Jean-Sébastien Combe-Maës avait déjà tenté de mettre fin à ses jours. C'était avant même la découverte de la situation financière dramatique de Creuse Grand Sud et le départ de Michel Moine. Une situation que Jean-Sébastien Combe-Maës connaissait très bien puisqu'il était en première ligne, aux côtés de Michel Moine, pour gérer les affaires de la collectivité. Il raconte : “Sa politique de Grands Travaux a littéralement asséché les finances ; l'endettement a tellement explosé que les banques ne prêtent plus. Le temps est à la rigueur drastique (…) La baisse des dotations et la chute libre de la fiscalité professionnelle sont un coup de massue. Le mur est proche (…) Comme mes analyses ne prêtent pas à rassurer et que tous les voyants sont au rouge, je ne jugule pas son angoisse (…) Peu importe, il n'est pas responsable. “C'est à vous de faire des propositions“. Des propositions j'en ai faites (…) Pourquoi ne pas clairement dire les choses ? Pourquoi ne pas expliquer [aux élus] que les choix faits, notamment sur l'ampleur des investissements et de l'endettement, nous conduisent aujourd'hui à pareille situation ? J'ai l'impression que des années durant, on leur a expliqué que le robinet des dépenses était ouvert et qu'aujourd'hui on leur explique que tout va mal... Sans davantage d'explication sur ce changement de discours“ (p. 85-86) (2). Mais au-delà de cette situation critique, c'est le harcèlement moral de Michel Moine qui conduit son directeur à vivre son travail comme un calvaire. Après s'être fait aduler par celui qui l'a débauché de la mairie de Felletin, il est humilié par les remarques désobligeantes et humiliantes du même : “Analyser la pratique du tête-à-tête avec le baron, c'est cerner un peu mieux le personnage. C'est comprendre les tourments qui l'agitent. C'est comprendre aussi et surtout comment trop souvent il vous réduit à un outil, parfois à un jouet. Tantôt il est presque amical et bienveillant ; vous êtes son faire-valoir. Tantôt il instaure un rapport de domination et de pression ; vous êtes la victime de sa brutalité. Au fond, analyser ces situations, c'est surtout comprendre comment la relation de confiance se transforme, lentement, à force de répétition, en une machine à vous humilier et à vous broyer.“ (p. 66-67). Michel Moine est devenu son “tortionnaire“ (p. 91) et, avant la reprise du travail le lundi, “le dimanche soir, c'est comme l'angoisse de l'échafaud pour un condamné à mort“ (p. 106). En juin 2016, le jeune homme (il a 31 ans) craque et décide de mettre fin à ses jours.
Il raconte cette tentative de suicide, dont il ressort presque miraculeusement, dans son témoignage. En arrêt maladie, il ne remettra plus les pieds à CGS et sera suivi par des médecins qui lui conseillent de mettre par écrit tout ce qu'il a sur le cœur, qu'il vide son sac et les démons qui l'empoisonnent. Il écrit donc un long texte dans lesquels les noms des protagonistes ne sont nullement dissimulés et qui sera adressé, entre autres, au préfet de la Creuse... C'est ce texte réécrit, sans doute modifié (l'auteur de ces lignes n'a pas eu connaissance de cette première version “thérapeutique“) et anonymé par l'introduction de pseudonymes qui sera publié quelques jours avant la seconde tentative de suicide, cette fois malheureusement réussie, le 24 juillet 2017. Celle-ci serait due à la non-reconnaissance par la communauté de communes du caractère “imputable au service“ de la tentative de suicide de 2016. Après un “harcèlement actif“ de Michel Moine, l'inertie de Jean-Luc Léger est assimilée par la famille à un “harcèlement passif“ qui a poussé le jeune homme à finalement mettre fin à ses jours – raison pour laquelle elle compte mettre le président actuel de CGS, comme l'ancien, devant les tribunaux. Son livre témoignage est comme une lettre laissée à tous pour expliquer son geste et essayer de faire comprendre son drame. Il est édifiant par ce qu'il décrit du fonctionnement de Creuse Grand Sud. Au-delà de l'histoire personnelle de Jean-Sébastien Combe-Maës et de sa descente aux enfers, il nous offre une plongée, vue de l'intérieur, au cœur du système Moine, d'un gouvernement despotique et autoritaire qui, malheureusement, n'avait pas échappé depuis plusieurs années à bon nombre des personnes qui s'intéressaient d'un petit peu près à Creuse Grand Sud sans être aveuglées par l'aura et la personnalité de son ancien président.
D'une certaine manière, le témoignage du DGS ne nous apprend pas grand chose... mais il confirme tout. Que Michel Moine était un mufle et ne brillait guère par la finesse ? “Son humour déplacé pourrait conduire à des catastrophes si les gens n'avaient pas un peu de recul sur le personnage (…) Ses propos déplacés ne sont pas ceux d'un pervers polymorphe. Ils sont ceux d'un gros lourd. Ils traduisent malheureusement le sexisme ordinaire, très fréquent chez l'homme politique. Le sentiment de pouvoir et de puissance l'autorise à tout“ (p. 97). Qu'il gouverne de manière autoritaire jouant selon les moments de la séduction ou de la menace ? “Il adore attiser les jalousies entre ses deux équipes municipales et intercommunales“ (p. 19). Sa volonté de tout contrôler et lui seul ? “Quand vous envoyez un mail sur un sujet, vous ne l'envoyez qu'à moi“ ou encore “Quand il y a un problème c'est à moi et à moi seul que vous en parlez“. Loin de la transparence et de la transversalité de l'information, sa volonté est celle de l'omerta et d'une maîtrise totale. Il déteste tout ce qui peut lui échapper. Il a en horreur l'idée qu'une information, même anodine, ne sorte d'un sérail aux ordres avec pour risque qu'elle ne devienne une difficulté à gérer“ (p. 67-68). Ses investissements disproportionnés ? “Il aime cette idée de construire, de rénover... avec un goût prononcé pour les équipements d'ampleur. Une piscine, un centre de l'enfance, une maison de la formation, un musée [de la tapisserie], des aménagements urbains... On ne compte plus les coûteuses réalisations (…) Au cœur des années 2000, au cœur d'une ruralité paupérisée, alors que les finances publiques sont globalement dans le rouge et que l'heure est davantage à la gestion d'un quotidien de peu de moyens, cette politique des Grands Travaux est en décalage“ (p. 32). Et tout à l'avenant jusqu'au concert de Patrick Sébastien que raconte l'ex DGS (voir IPNS n° 52, p. 5) qui confirme au passage le cachet de 25 000 € réglé à l'amuseur et le coût gobal de 50 000 € de cette petite sauterie estivale décidée en toute indépendance par le baron. Les anecdotes foisonnent qui montrent toutes un individu à l'ego surdimensionné qui ne supporte ni contradiction ni remise en cause, à la limite de la pathologie lorsqu'il se fait installer sur son iphone un lien sur les caméras de vidéo-surveillance des ateliers techniques de la com com qu'il peut à loisir visionner... en toute illégalité.
Il est intéressant de lire ce que Jean-Sébastien Combe-Maës écrit à propos des membres du conseil communautaire et de leur façon de se laisser mener par le bout du nez par Michel Moine qui “présente un malaise évident avec les contraintes du collectif. Le collectif est un risque de ne pas avoir le contrôle“ (p. 37-38). “Le travail en commission est un élément essentiel de la vie d'une institution locale. Les élus étudient les projets et dossiers préparés par les services. C'est à la fois un outil d'information et d'échange sur les orientations dans un domaine donné. Les commissions émettent également des avis sur les subventions attribuées aux associations. La présence ou l'absence de [Michel Moine] à ces réunions est un élément déterminant de la manière dont elle va se dérouler. Quand il n'est pas là, les élus osent prendre la parole, poser des questions voire faire des suggestions. Quand il est présent, soit il monopolise la parole parfois au détriment même du vice-président, soit il veille à rejeter à force d'arguments toute proposition qui n'irait pas dans son sens. Ainsi nombre d'élus préfèrent ne rien dire (…) Pour brider une assemblée et l'amener là où il veut qu'elle aille, il adore les répétitions générales. Qu'on les appelle „réunions de groupe“ ou „conférence des maires“, ces réunions n'ont d'autre but que de passer en revue les rapports soumis au conseil (…) Ainsi, le maître des débats peut jauger l'assemblée, rôder son discours, analyser où sont les réticences pour mieux les anticiper et se préparer à les contre-carrer (…) Si malgré toutes ces précautions, un interlocuteur continue à s’interposer, les répliques fusent. Parfois, certains élus qui ont le sentiment de ne pas être écoutés ont le courage de quitter l’assemblée estimant que la contradiction n’avait pas sa place. Si individuellement le symbole du départ est fort, il laisse le maître de séance conforté dans sa position et crée un réel malaise chez tous les autres élus qui n’osent plus guère piper mot“ (p. 39-40). Lui-même, il l'avoue à demi-mot, s'est soumis au baron : “L'instinct grégaire qui sommeille en chacun incline souvent à suivre ses prédications, ses imprécations“ (p. 22). Il en a été le complice, y compris auprès des personnels de la communauté de communes qui ne gardent pas tous un souvenir très chaleureux de leur ancien directeur. D'autant que, hérésie dénoncée dès 2014 dans une lettre ouverte adressée aux élus par les habitants venus manifester à l'époque contre une hausse immodérée des impôts, Jean-Sébastien Combe-Maës était à la fois DGS de la communauté de communes et DGS de la Ville d'Aubusson, sous la houlette du même baron qui présidait les deux collectivités ! (Voir IPNS n°49, p. 4) Manifestement cela ne gênait personne...
Le suicide de l'ancien DGS de Creuse Grand Sud a suscité des réactions assez vives de la part d'un certain nombre d'habitants et de quelques élus. Une pétition a été lancée pour demander la démission des élus de la com com et une marche blanche en hommage au jeune homme a rassemblé entre 300 et 400 personnes à Aubusson le samedi 26 août 2017. Du côté de la com com c'est la consternation et l'on a le sentiment que ce qui est à lui reprocher, plutôt que le silence machiavélique que dénonce la famille, c'est sa cécité devant une situation que son exécutif n'a pas su jauger urgente et gravissime (“responsable mais pas coupable“ aurait-on dit en d'autres temps). Pourtant une chose frappe, choque et nous laisse tous un peu ébahis. C'est la retenue et le silence – encore un ! - concernant le principal protagoniste de l'affaire. Michel Moine est silencieux et, sous couvert de “présomption d'innocence“, et sans doute pour de moins glorieuses raisons, tout le monde semble le ménager. Qui l'interpelle, à part la famille et quelques habitants ? Le baron est-il encore si puissant pour que l'essentiel des élus et une partie de la presse locale parlent de cette histoire comme si Michel Moine n'avait presque rien à y voir ? Comme si le témoignage de Jean-Sébastien Combe-Maës n'était qu'un “roman“. Sans parler de certains propos qui vont jusqu'à l'indécence telle cette réaction d'une élue aubussonnaise, Rolande Léonard, rapportée dans La Montagne du 26 août 2017 : “Certains exploitent le drame. Je pense que quand on est mal dans son emploi, on s'en va. Le burn out, c'est très à la mode.“ En tout état de cause, on reste désarçonné devant ce mur de silence qui semble trop massif pour se fissurer. Un trou de 4 millions. Des faux en écriture. Un mort. Mais jusqu'au faudra-t-il aller pour que nous sortions enfin du “système Moine“, ce baron qui nous a ruinés ?
Michel Lulek