Dans le n°57 d’IPNS (décembre 2016), Olivier Davigo livrait une analyse judicieuse du livre de Robert Savy : Le crépuscule des socialistes en Haute-Vienne. Depuis, des élections qui resteront à jamais dans l’histoire (si, si, on parie…), ont fait disparaître les députés limousins du PS de notre représentation nationale. Connaissant le poids qu’a exercé ici ce parti depuis des lustres, il nous a semblé utile de rassembler quelques données historiques. Des lustres, oui, mais depuis quand ? Un collectif, autour de Maurice Robert écrivait déjà en 1973 : La gauche au pouvoir depuis 100 ans, en Limousin (éditions SELM).
Le sujet de ces lignes n’est pas d’ergoter sur l’idéologie, ou le dogme, tant le mot socialiste a été utilisé depuis le XIXe siècle à toutes les sauces. Nous nous contenterons d’observer les étiquettes, qui – comme celle du camembert – sont parfois sans rapport avec le contenu. Donc, avant de parcourir plus de 100 ans de domination d’un parti socialiste sur la Haute-Vienne, il nous a semblé devoir mettre en avant ce constat : depuis 1871, le département a toujours eu au moins un député se réclamant de ce courant de la gauche. Belle lurette, donc. Et bien, c’est fini, puisque depuis juin 2017, la Haute-Vienne est représentée “exclusivement“ par des élus macronistes, ou – croniens, si vous préférez. On sait en effet, que ces gens-là ne sont “ni de gauche, ni de droite“, et même si l’on en croit les mauvaises langues, “ni de gauche, ni de gauche“.
Radicaux-socialistes, PSF et PSDF
Passons rapidement sur les premiers députés issus de la Révolution de 1848, qui envoya tout de même au Palais Bourbon 4 démocrates-socialistes sur 6. Au tournant du XXe, vers 1900, les étiquettes évoluent, de nombreux élus se disent eux aussi radicaux-socialistes, alors que les socialistes tout court sont encore divisés entre différents partis, les plus connus étant ceux de Jean Jaurès et Jules Guesde, nommés - notez bien la nuance : Parti socialiste français (PSF) et Parti socialiste de France (PSDF). L’un comme l’autre ont leurs partisans en Haute-Vienne. Limoges élit son premier maire de gauche en la personne d’Emile Labussière en 1895. Ancien maçon de la Creuse, il n’est que radical-socialiste, c’est-à-dire à moitié socialiste.
L’hégémonie de la SFIO
Le premier d’une lignée glorieuse sera Léon Betoulle, arrivant sur l’élan de l’unité. La SFIO étant créée en 1905, c’est avec cette étiquette que ce modeste employé d’une manufacture de porcelaine devient député en 1906, puis maire de Limoges en 1912. Hormis pendant la Seconde Guerre, où il trempa “un peu“ dans le pétainisme, il restera maire de Limoges jusqu’en 1956 et mourra à la tâche. Une irrésistible ascension, de l’homme et du parti. C’est surtout dans les années 1930 que se concrétise ce qu’on appelle une hégémonie : l’essentiel des mairies, le département, les sièges nationaux vont à la SFIO. À partir de 1927, les 4 sénateurs, et à partir de 1932 les 5 députés, rien de moins… Et le père Betoulle, devenu sénateur, occupe conjointement les sièges de président du conseil général et de maire de Limoges. Très léger cumul, dont la force trouve son origine en trois puissances : le parti, le syndicat CGT (pas encore FO), et le Grand-Orient de France. De cette situation naît alors un double appétit : en plus de défendre des idées généreuses, nos socialistes haut-viennois s’intéressent désormais au bifteck, à la soupe aussi, et vous savez, la viande attire les mouches. Disons plus simplement qu’à partir des années 1930, si vous voulez être quelque chose (ou quelqu'un ?) à Limoges et aux environs, il vaut mieux être à la SFIO. Il n’y a guère que ces empêcheurs de tourner en rond de communistes, autour du Docteur Fraisseix, pour les menacer. Le maire d’Eymoutiers – ancien membre de la SFIO ! - brise par deux fois le monopole, en 1928 (député) et 1946 (sénateur).
De beaux restes
Tout ce beau monde gère… tout, faisant la pluie et le beau temps. À Betoulle succéde Louis Longequeue, qui, d’abord député, devient ensuite sénateur, respectant la tradition : mourir en fonction. L’héritier - cela ne coula pas vraiment de source, n’est-ce pas Robert Savy ? - ce sera Alain Rodet. Le système est bien huilé, il suffit juste de l’améliorer un peu, et de ramener à la raison de jeunes socialistes un peu turbulents. Système en apparence immuable, désormais rodé (d'accord, elle est facile !), reposant sur une habile union de la gauche avec le PCF et un zeste de clientélisme-népotisme. Ronron, train-train ? Mais un train ça avance, surtout sur une LGV. Donc, arrive 2014, et patatras! L’impensable survient : la chute du mur ! Un obscur psychiatre brise l’hégémonie, jetant Limoges dans les bras de la droite. Remarquons tout de même que la liste soutenue par l’UMP est élue avec 45 % des suffrages exprimés, soit 27 % des inscrits... Une majorité toute relative, non ? J’entends déjà les mauvaises langues : Hollande et Valls lui avaient facilité la tâche. Le PS, remplaçant la vieille SFIO depuis 1971, garde tout de même les 3 députés - jusqu’en 2012, c’était 4 sur 4 ! - et la majorité absolue au conseil général, les deux sénateurs et la présidence du conseil régional. Le parti (presque unique) a tout de même de beaux restes, malgré ses électeurs ingrats.
145 ans
Fin 2014 ont lieu les sénatoriales. Une formalité : depuis 1948, tous les sénateurs ont toujours été socialistes. Et pourtant, le premier secrétaire du PS, Laurent Lafaye, perd un siège imperdable. Ça sent le roussi, non ? C’est sans compter sur l’arrivée du nouveau sauveur providentiel, mais là, vous connaissez la suite. Enfin, rappelons tout de même que, pour n’avoir pas voulu, ou pu, ou osé… prendre le train en marche (je sais ! encore facile) le PS réalise entre 11 et 13%, éjecté du second tour. Même la sortante, même dans le fief d’ Alain Rodet ! La nuit est arrivée.
Mais alors, ils n’ont rien vu venir ? Les gars, consolez-vous. Vous savez bien qu’après la nuit, revient… Et puis, dans le noir - comme à la fin du film La guerre du feu - une lumière brille encore, juste une bougie… Cette bougie est tenue par celle qui aime tant notre Plateau, jusqu’à proférer les mots les plus hargneux, sectaires et stupides, qu’on ait entendus depuis Léon Betoulle. Vous l’avez compris, “notre“ sénatrice veille sur la vieille maison. Mais, y aura bien un c... pour souffler sur la bougie ! Au pouvoir depuis 100 ans écrivait Maurice Robert en 1973 ? Ben finalement, ça aura fait 145 ans, alors ?
Michel Patinaud