Le Groupe mammalogique et herpétologique du Limousin est sans doute l'association de spécialistes la mieux placée pour répondre à cette question. Son conseil d'administration collégial a rassemblé pour IPNS l'essentiel des éléments qui nous permettent d'en savoir plus, au-delà des clichés et des rumeurs, sur Canis Lupus.
L’office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) est en charge du suivi de la population de loups en France. Pour cela il s’appuie sur le déploiement d’un réseau d’observateurs composé à 80 % d’institutionnels (ONCFS, ONF…). Ce “réseau loup“ sert à collecter et faire remonter des indices de présence de l'animal qui permettent d’alimenter une batterie d’indicateurs quantitatifs dont voici les 3 principaux :
ZPP : zone de présence permanente.
Cette métrique correspond à un territoire occupé durablement par le loup. Il ne s’agit toutefois pas d’un équivalent direct du nombre de meutes. L’utilisation des hurlements provoqués en été permet de détecter les ZPP occupées par des meutes reproductrices.
EMR : effectif minimum retenu.
Cet indicateur, alimenté en partie par les pistages hivernaux, permet d’identifier un nombre minimum de loups en année n, évoluant sur les ZPP.
CMR : capture, marquage, recapture.
Cet indicateur est de type génétique. Il nécessite la récupération d’indices de types fèces, poil. En calculant la probabilité de “recapturer“ la signature d’un individu déjà identifié, il permet d’estimer la taille et l’intervalle de confiance (en x et y loups) de la population française de loups. Seul problème les données ne sont disponibles qu’avec un retard de plusieurs années. Notons également qu’il s’agit d’une estimation, qui a pour seul objet scientifique d’observer une évolution (l’estimation augmente ou diminue d’année en année, et en fonction de l’intervalle de confiance, l’évolution est significative, ou non), mais qui en aucun cas ne permet de connaître réellement le nombre d’individus.
320 à 400 loups en France
EMR et CMR sont deux indicateurs dont la corrélation est reconnue. C’est ce qui permet à l’ONCFS d’afficher un nombre total estimé de loups pour l’année écoulée en corrigeant l’EMR. Attention cependant, le chiffre donné est, à l’image du CMR initial, indicatif. Il est à prendre avec précaution en raison de l’intervalle de confiance assez important rendant les comparaisons inter annuelles parfois non significatives. Ainsi à la sortie de l’hiver 2016-2017 le nombre de loups total estimé est compris entre 320 et 400 individus (moyenne à 358).
Le protocole français est reconnu comme étant un des plus pointus au niveau international. À y regarder de plus près, on se rend d’ailleurs compte qu’aucun pays voisin n’a mis en place un système de suivi à la fois aussi poussé, centralisé, et fréquemment actualisé. En Italie ou en Espagne, on se contente, par exemple, d’extrapoler des données d’abondance localisées afin d’estimer ensuite la population au niveau national.
Le système de suivi mis en place comporte tout de même des faiblesses. On peut citer entre autres la difficulté à relever l’EMR dans les zones peu enneigées ou le temps nécessaire à la mise en place du réseau loup sur les fronts de colonisation. Comme pour tout suivi faunistique ou floristique, un des problèmes est la détectabilité de l’espèce, c’est-à-dire dans des conditions données (milieu, période, effort de prospection…), notre “capacité à l’observer alors qu’elle est présente“. Cette détectabilité est notamment liée à l’écologie de l’espèce (individu en dispersion hors des ZPP) et à la pression d’observations hétérogènes selon l’ancienneté de la mise en place du réseau loup.
La publication des résultats est assurée deux fois par an au travers du bulletin du réseau loup. Cette publication, complète et technique, est accessible au grand public. Elle liste notamment l’ensemble des indices relevés (visuels, traces, poils…). Ceux-ci sont classés selon un ordre de fiabilité (R : retenu; NR : non retenu ; INV : invérifiable). Il n’y a donc pas à proprement parler de manque de transparence sur les données dont dispose l’ONCFS.
La défiance est néanmoins forte, essentiellement dans le monde agricole. Elle est alimentée pour partie par des estimations contradictoires disponibles sur les réseaux sociaux. D’une fiabilité douteuse, celles-ci visent avant tout à attaquer l’ONCFS et à fragiliser la politique globale au sujet du loup. Elles ne permettent pas de renseigner de manière fiable la situation du loup sur tel ou tel territoire.
La présence du loup est documentée à l’ouest du Rhône à minima depuis 1998, un individu ayant été écrasé par une voiture à l’entrée du tunnel du Lioran cette année là. Pour surprenant que cet événement ait pu être à l’époque, il ne fait que confirmer, à posteriori, l’étonnante capacité de l’animal à se disperser sur de très longues distances. La génétique a ainsi mis en évidence la dispersion depuis les Alpes d’un individu dans les Pyrénées
20 ans donc que Canis Lupus trotte sur les hauteurs du Massif Central. Sa présence s’affirme depuis une douzaine d’année dans la partie sud. Plusieurs ZPP sont reconnues, essentiellement en Lozère. Pour autant malgré de forts soupçons concernant les ZPP de l’Aubrac et du Tanargue Gardille (Hautes Cévennes lozérienne et ardéchoise) aucune reproduction n’a été mise en évidence lors de séances de hurlements provoquées.
Selon les dernières données disponibles via le bulletin du réseau loup, il semblerait qu’un maximum de 10 à 15 individus soit actuellement présent dans l’ensemble du Massif Central.
Si la présence du loup est donc bien réelle on ne peut clairement pas parler d’une prolifération. Surtout si l’on considère l’ancienneté de sa présence sur certaines ZPP. La présence d’un couple était déjà mis en évidence sur la ZPP de l’Aubrac en 2006.
Aucun facteur naturel ne peut expliquer la faible dynamique démographique de l’espèce dans des secteurs pourtant favorables. Bien que difficile par définition à qualifier, il semblerait bien que le braconnage de l’espèce limite fortement son installation à l’ouest du Rhône…
Tout d’abord insistons sur la différence entre un indice et une preuve… L’ONCFS récolte des indices qui forment une piste vers le “coupable“. D’après des grilles nationales élaborées avec des scientifiques et des écologues, il leur faut, comme dans toute enquête, soit un faisceau d’indices pour former une preuve, soit une preuve irréfutable. La preuve (poils ou crottes analysés au niveau génétique par exemple) permet d’attester la présence de l’espèce sur un territoire.
En Limousin le passage du loup est fortement pressenti depuis plusieurs années. Et en effet, il n’y aucune raison qui empêche des individus en dispersion de traverser les gorges de la Dordogne. Début 2017, un indice a été officiellement validé en Corrèze par l’ONCFS. Il s’agit d’une observation visuelle à une centaine de mètres, et d’une description d’un animal pouvant correspondre à l’espèce Canis Lupus. Notons qu’il ne s’agit aucunement d’une preuve… Plusieurs indices ont par ailleurs été relevés au cours de l’année écoulée mais tous ont été réfutés. Il va falloir être patient pour confirmer via des indices convergents (génétique ou photographique) la preuve de la présence du loup dans nos contrées.
Loup en 2017 sur l’Aubrac. Source : FDC 48. Comite grand prédateur Lozère du 23/01/2018 (disponible sur le site de la préfecture Lozère)
Il n’existe actuellement pas de méthode fiable pour prévoir où et quand le loup va s’installer à partir du moment où la disponibilité alimentaire en proies sauvages est forte. Intuitivement on l’attend sur le plateau de Millevaches, néanmoins il peut tout aussi bien se sédentariser sur les confins du Berry ou du Périgord. Dans le Gard, le loup vient de déjouer bien des pronostics en s’installant à 20 kilomètres de Nîmes dans un secteur fortement anthropisé ! Alors, dans 6 mois, 1 an, 5 ans ? Là encore il est difficile de prévoir, même si à moyen terme son installation semble inéluctable.
Dans ces conditions la seule chose à faire est d’anticiper au maximum son arrivée. Pour cela Le GMHL organise et anime depuis 2013 des réunions publiques d’information et de débat sur le loup dans les trois départements de Corrèze, Creuse et Haute-Vienne. Si nous sommes une association de protection de la nature (des mammifères sauvages notamment), nous pensons que le débat n’est pas d'être “pour“ ou “contre“ le loup, s’agissant d’une espèce protégée, et nul n’étant censé ignorer la Loi. C’est bien dans cette optique que nous avons anticipé depuis 5 ans déjà…
Suite à l’indice validé par l’ONCFS début 2017 attestant d’une possible présence du loup sur le département de la Corrèze (un indice et non une preuve répétons-le), et la Corrèze étant limitrophe du Cantal ou sa présence est attestée, le préfet a souhaité mobiliser un outil permettant d’évaluer la situation et de proposer les actions les mieux adaptées au contexte. La cellule de veille sur le loup en Corrèze est née et s’est réunie pour la première fois le 5 mars 2017 à Tulle. Le GMHL y était représenté par son directeur, et deux administrateurs. Il faut saluer la création de cet outil où tous les acteurs concernés ont été invités (services de l’État, syndicats agricoles, chasseurs, forestiers, environnementalistes…) même si la FDSEA était absente. Le préfet a animé la réunion dans une ambiance cordiale et dans l’écoute. Chacun ayant pu s’exprimer de manière constructive. La présence de la DREAL Auvergne Rhône-Alpes, structure coordonnatrice du plan loup a porté un éclairage complet sur les thèmes et les problématiques soulevés.
Un objectif commun est clairement ressorti, qui se traduit par le mot d'ordre : “ANTICIPONS“ ! Structures agricoles, forestières, chasseurs ou écologistes, nous étions tous d’accord sur ce point ! Avec, par exemple, l’étude de la vulnérabilité des différents contextes d’élevage par un collectif “Associations de protection de la nature et structures agricoles plurielles“. Cependant, au vu des retours d’expériences dans les zones de présence permanente du loup, l’assemblée regrette fortement que l’anticipation ne soit pas de mise en termes de moyens.
Le préfet a bien identifié cet objectif commun, en explicitant le fait que ses services chercheraient à mobiliser rapidement des fonds d'État, a priori éligibles, pour anticiper l’arrivée du loup (DRAAF), et des fonds FEADER plus complexes à obtenir tant que la Corrèze n’a pas de cas de prédation par le loup. Souhaitons que cette cellule vive, que les services du préfet mobilisent des crédits, et qu’un réel travail partenarial se mette en œuvre.
CA collégial du GMHL