Arthur Young était un gentilhomme anglais, savant, agronome, et voyageur curieux. Il parcourut la France de 1787 à 1790, en trois voyages, qu’il relata en 1792 dans “Travels in France“.On verra qu’il n’a pas traversé le pays à la recherche du pittoresque. Il était un voyageur sérieux, “d’avantage enquêteur que touriste“ dira un de ses traducteurs. Il s’intéressait aux ressources, aux activités, à la vie des habitants.
Son récit présente ainsi un tableau remarquable d’une France qui s’apprête à entrer en révolution. Première remarque : contrairement à ses prédécesseurs de la Guerre de 100 ans, il n’a tué personne. Enfin un anglais fréquentable.C’est méchant penserez-vous. Il faut bien titiller un peu nos vieux amis.
Le 5 juin 1787, monté sur une jument aveugle, et venant des plaines du Berry, il entre en Limousin : “nous traversâmes un ruisseau qui sépare le Berri de la Marche, les châtaignes commencent à paraître“. Young n’avait pas attendu notre président pour être “en marche“, de deux manières. Il n’avait jamais vu un paysage aussi vallonné, et son impression lui donne des accents poètiques: “la surface générale du pays… est la plus belle que j’ai vue en France… les bords dentelés et ses vagues arrêtées par les bois font un effet superbe“. Il parle même d’une “scène délicieuse“. Des compliments, c’est toujours ça de pris. Et plus au sud, “des coteaux éloignés forment le derrière de la scène et la rendent intéressante“. Il s’agit des monts de la Marche qui sont une ligne de sommets arrondis barrant l’horizon. Poursuivant vers Limoges, il a “à main gauche“ le massif creusois de Saint Goussaud. Tout en cheminant, il nous reparle des châtaignes, “nourriture des pauvres“ - nous sommes pourtant en juin ! - puis nous explique la relation climatique entre ces fruits et les lézards … et souligne pourquoi le relief de nos contrées rend nécessaire l’irrigation des prairies.
Pour lui, tout n’est que beauté : de la végétation, des eaux, des horizons accidentés. Approcherait-on de la Montagne limousine ? Ménageons le suspense. D’abord, “je vais voir Limoges et ses manufactures“ dit-il. En chemin, il fait l’éloge de nos routes : “les grandes routes, dans ce pays-là, sont vraiment nobles, et supérieures à celles que j’ai déjà vues en tout autre lieu“. Bien avant l’A20. Remarquons tout de même que voyager à 2 lieues l’heure au pas, ou à 130 km/h, c’est très différent. On se rappellera ici que les aménageurs du temps avaient plutôt bien fait les choses, qu’ils s’appellent Turgot (celui du Lycée de Limoges) ou d’Aine (celui du tribunal, idem). Le premier fut ensuite “ministre des finances“ de Louis XVI. À sa mort en 1781, son successeur écrivait au roi : “Avec les fonds accordés pour les ateliers de charité, le Limousin présente aujourd’hui au voyageur étonné les routes les plus superbes de l’Europe“… rien que ça. Mais surtout, les belles routes limousines avaient bien été empierrées par des travailleurs pauvres. Notons au passage que, comme récemment, pour les grands hommes politiques, un petit séjour en Limousin peut être profitable à une carrière.
Mais revenons à notre Arthur, qui fait cette curieuse remarque : en longeant une “grande variété de collines et de vallons, avec de belles forêts“ mais “sans aucun signe de population“. Il nous livre ensuite un portrait très complet et vivant de notre métropole régionale. Reprenant sa route, notre ami s’intéresse aux sols, plus qu’à ceux qui les travaillent : “le fond du terrain est un dur granit … dans (lequel) il ne croît ni vignes, ni bleds, ni châtaigniers“. S’approcherait-on du Plateau ? Voyons la suite. Des paysans peut-être ? On sait qu’il s’agissait essentiellement de tout petits métayers. Mais Young n’évoque pas leur statut, leur habitat par contre, si : “nous passons devant plusieurs maisons trop bonnes pour être appelées chaumières, sans aucune fenêtre“. Cette grande pauvreté est soulignée par le préfet de Haute Vienne en 1808 : “les maisons des petits cultivateurs sont mal construites…murs d’argile pure, sans enduit ni extérieur, ni intérieur... sol de terre battue, sans pavage“. Mais alors, nos maçons creusois ? Nos “hirondelles blanches“ ? eh bien, c’est évident : leurs efforts étaient réservés à la construction des beaux palais ou hôtels privés, aux grands ponts et boulevards parisiens ou encore lyonnais. On aura compris que le voyageur s’intéresse assez peu aux habitants. Aux accortes servantes sans doute, qu’il ne dédaigne pas de regarder, il en parle souvent, pas vraiment en bien, je vous passe les détails. Enfin si : quand il rencontre une certaine souillon, qu’il qualifie de “fumier ambulant“. Mais il était déjà dans le Quercy, ouf ! Arthur dit tout le plaisir qu’il a à faire bonne chère, toutefois, il entre en colère devant un mauvais repas, mais il ne dit pas où. Si les humains occupent peu de place dans ses réflexions, il a au contraire une tendresse particulière pour les chevaux. “Ils patûrent toute la journée, mais on les enferme la nuit à cause des loups, qui sont ici fort communs et très incommodes“.
Mais où sommes-nous précisément ? Arthur Young détaille bien tout ça, mais je veux vous laisser deviner. Voyons donc ceci : “le pays est tout composé de collines et de vallées, collines fort élevées, qui s’appelleraient chez nous des montagnes“. S’agirait-il des Monédières ? “couvertes de bruyères, mais ne produisant rien“, ou au contraire ces “montagnes qui forment des amphithéâtres de jardins bien cultivés“. En réalité, le voyageur anglais a apprécié ces panoramas. Mais il n’est pas allé au-delà vers l’est, continuant sur les grandes routes du midi. Comme les voyageurs de l’autoroute, il a donc manqué le plus beau. Pour comprendre et apprécier le cœur du Limousin, il faut y vivre.
On peut retrouver le texte sur : gallica.bnf.fr. Une version très largement commentée et annotée a aussi été publiée à Tulle (1939, A.Perrier) : Arthur Young en Limousin. On la trouve dans certaines bibliothèques (Limoges notamment).
Emile Vache
La vigne dans l'ancienne Montagne limousine
Cela peut faire sourire, mais qu'en était-il de cette culture, chez nous, dans les temps passés ?
Aucun vignoble sur le Plateau, pas plus hier qu'aujourd'hui. Tout au plus quelques vignes grimpantes sur des façades bien exposées, mais pour quelle récolte, et surtout quel vin ? L'explication de cette absence se trouve plus dans la nature des sols que dans le climat (altitude, orientation, températures). Nous avons deux indices significatifs de ces “terres sans vigne“. La première dans les noms de lieux (voir le très bel ouvrage publié par L'Institut d'Etudes Occitanes, présenté dans IPNS n°57). On repère la présence de la vigne dans les toponymes tels : La(Les) Vignes bien sûr, tout comme Vinatier, Vignaud, Vinadière. Aucune trace sur le Plateau donc. Pour en trouver il faut aller vers l'ouest à Bourganeuf ou Saint-Léonard (La Vigne-Neuve), vers le nord au Moutier d'Ahun (Les Vignes) ou Sagnat (Vignaux), vers le sud au Lonzac (Vignane) ou Soudaine-La Vinadière.
Autre indice : on a beau chercher dans les anciennes chroniques, nulle trace de vigne en Montagne limousine. Ainsi cette phrase révélatrice : “le vin n'a valu que 8 sols la pinte, dans l'Ouvernie et le Molusson“. En 1713, Léonard Magimel, bourgeois de Millevaches, se fournissait donc là-bas.
N'est donc pas étonnante l'existence d'une corvée due -au Moyen Age - par les paysans à leur seigneur. Elle s'appelait la “bovade“ et consistait au transport de vin (charroi) une fois par an, avec deux bœufs, vin qu'on allait chercher dans les vignobles extérieurs, en Bourbonnais (Montluçon), Auvergne (Saint Pourçain) et Berry (Argenton). En Corrèze, c'était un peu plus près, vers les côteaux de la Vézère, en Bas-Limousin. Il est facile d'imaginer ce que cette corvée – appelée aussi “vinade“ - représentait de temps et d'efforts. L'histoire ne dit pas si les bouviers réussissaient à goûter le nectar durant le trajet, ou à l'arrivée. S'agissant à l'évidence pour les nantis “d'or rouge“, ou rosé, on peut en douter.
Michel Patinaud