Sur le plateau la forêt se discute depuis belle lurette : Occupant, envahisseur ou planche de salut, enjeu écologique ou enjeu économique, force du bien ou force du mal ?
D’un coté le bon vieux temps, l’angoisse de la catastrophe annoncée. De l’autre développement des potentialités du pays, des richesses de demain. On ne peut pas dissocier la forêt de l’histoire, les cycles forestiers sont longs. On ne peut pas la prendre à la légère non plus : on s’engage pour des décennies, voire des siècles, façonne paysage, climat et vies humaines.
Des landes aux forêts
Dans le passé l’exploitation des vastes hêtraies fait place à une agriculture aboutissant aux landes qui nourrissent mal une population contrainte à l’émigration. Abandonnées, les landes se reboisent. L’espace est repris par la forêt naturellement feuillue, elle sera plantée artificiellement en résineux, presque tous étrangers à la région. Les landes ont leur écosystème propre qui disparaît avec elles. La forêt développe le sien.
Feuillus ou résineux ?
La forêt naturelle du plateau est feuillue, exception faite de pins en bordure de tourbières et genévriers dispersés. Le reboisement spontané des landes abandonnées est lent et passe par des stades de peu d’intérêt économique. Les plantations résineuses répondent à l’accroissement de la demande du bâtiment et de l’industrie. Les reboisements ne sont souvent ni précédées d’études, ni suivies de travaux suffisants d’entretien. La discussion opposant feuillus et résineux n’aboutit à aucune solution satisfaisante. Le problème est sans doute mal posé ainsi. Des termes de gestion forestière « productiviste » ou « proche de la nature » permettraient certainement d’appréhender mieux la question.
Hommes et forêts...
Depuis la préhistoire l’homme a gagné sur la forêt pour cultiver la terre. Un antagonisme en est né entre le monde agricole et celui des forestiers. Les habitants du plateau n’avaient pas de culture forestière. Non seulement ils ne connaissaient pas la gestion forestière, mais ils se voyaient aussi menacés par la forêt. Elle ne représentait pour eux ni source de travail, ni revenus. Rarement les terres des résidents étaient plantées, c’était plutôt celles des émigrés partis à la capitale. Sans main d’œuvre locale les travaux forestiers ont fait largement appel aux étrangers.
Un territoire devenu forestier
Peu à peu le plateau s’habitue à devenir un territoire forestier. De plus en plus d’habitants en tirent un revenu. La gestion des bois entre dans les mœurs. Les discussions sur la bonne forêt pour le plateau restent vives, mais l’opposition systématique à la forêt devient rare. L’enjeu de demain sera que tous les usagers se reconnaissent et apprennent à se respecter. Si les habitants veulent que le plateau soit aussi une terre d’accueil pour randonnées, pêche et chasse, champignons et vacances vertes, il faudra qu’ils se reconnaissent dans leur pays boisé, qu’ils en soient fiers. Les forestiers auront besoin du soutien de la population, des mairies, des communautés territoriales. Il faut qu’ils apprennent à respecter les autres productions de la forêt ; elle n’est pas que mètres cube de bois et rendements optimisés. Les forêts abritent de la nature essentielle, indispensable pour assurer la durabilité de la ressource. La protection des berges d’un ruisseau à truites, d’un vieil arbre aux trous de pics avec gîtes de chauve-souris, d’une tourbière aux plantes rares, tout cela n’est pas une fantaisie d’écologiste coupé du monde, mais plutôt un mortier qui assure la pérennité du pays.
Hans Kreusler, Technicien sylvicole indépendant
Concilier économie et &écologie, en pensant à long terme
Réflexion d’un ingénieur forestier, qui a passé sa retraite à travailler tous les jours dans sa forêt du Cantal.
Le problème est de concilier économie et écologie sans faire abstraction de réalités économiques. Pendant que les arbres s’accroissent à leur rythme, c’est-à-dire doucement, les forestiers s’efforcent d’élaborer des modèles de sylviculture sur la façon de les cultiver au mieux pour répondre aux besoins de la société. Malheureusement, personne ne peut savoir aujourd’hui de quelle nature seront ces besoins dans 30 ou 50 ans. Et de tels délais sont nécessaires pour commencer à récolter les produits résultant de la mise en pratique de ces modèles de sylviculture. Il faut en effet beaucoup de prudence et de modestie à un gestionnaire forestier. Il ne vit pas assez vieux pour mesurer sur le long terme les conséquences de ses actes, car la forêt réagit lentement et cette réaction, parfois imprévisible, va se poursuivre longuement dans le temps. C’est pourquoi l’idéal serait de cultiver sans à-coups une forêt qui reste stable et puisse remplir simultanément les trois fonctions : production, protection et fonction sociale, l’accent étant mis plus ou moins sur l’une ou l’autre de ces fonctions, selon les besoins du moment.
Pour la futaie irrégulière et mélangée
Bien que ce soit une attitude fréquente chez les sylviculteurs, il est peu raisonnable d’orienter la production à long terme vers la satisfaction d’un besoin particulier qui se manifeste dans l’immédiat. Le risque est grand qu’au jour de la récolte, les produits soient mal adaptés à une demande qui aura évolué. La majorité des forestiers ont malheureusement eu maintes fois l’occasion de le constater. Un bon gestionnaire forestier doit d’une part préserver la qualité de son outil de production, c’est-à-dire, pour employer un mot savant, « l’écosystème », le rendre plus résistant aux aléas climatiques ou biotiques, mais d’autre part ouvrir “l’éventail des choix“ pour ses successeurs. Ceci consiste à leur transmettre des peuplements facilement adaptables à la satisfaction des besoins nouveaux qui peuvent se manifester. C’est pour ces deux raisons qu’un intérêt croissant se manifeste pour la futaie mélangée et irrégulière, malgré les contraintes de gestion qu’elle implique. Elle ménage l’écosystème et offre une palette de choix d’options plus ouvertes. Mais ce mouvement en faveur de la futaie irrégulière et mélangée ne doit surtout pas devenir une mode et le débat ne doit pas se transformer en polémique.
Michel Hubert, ingénieur forestier à la retraite.