A Rosiers-d'Egletons, un projet de production de tomates sous serre a fait l'objet au cours des dernières semaines d'une enquête publique qui s'est terminée le 7 juin 2018. Un modèle d'agriculture industrielle que dénonce dans l'entretien qu'il nous a accordé Philippe Revel, éleveur, et porte-parole de la Confédération paysanne de la Corrèze.
En quoi consiste ce projet et comment est-il né ?
Le point de départ est lié à l'usine d'incinération du SYTTOM 19 (Syndicat de transport et de traitement des ordures ménagères de la Corrèze) de Rosiers d'Egletons qui traite chaque année de 35 à 40 000 tonnes d'ordures. Une partie de la chaleur produite par l'incinérateur alimente depuis peu le réseau de chaleur de la ville d'Egletons, mais il y a toujours une partie de la chaleur qui part dans la nature après l'étape du turbo-alternateur qui produit de l'électricité vendue à EDF : c'est ce qu'on appelle l'énergie “fatale ou résiduelle“. Or la réglementation ayant récemment évolué, il y a désormais obligation de récupérer cette chaleur... D'où l'idée de trois agriculteurs corréziens d'installer des serres pour produire des tomates à partir de cette chaleur. Concrètement il s'agit d'installer 8,5 hectares de serres de 6 m de haut où seraient produites 4000 tonnes de tomates par an. Il s'agit typiquement d'un projet industriel, les tomates étant produites en hydroponie (c'est à dire sur un substrat de laine de roche, avec alimentation en eau et en engrais par goutte-à-goutte), avec maîtrise de la chaleur et introduction de gaz carbonique stocké à l'extérieur des serres dans une cuve de 34 tonnes.
Que reprochez-vous à ce projet ?
Sur le fond, nous sommes opposés à l'industrialisation de l'agriculture qui entraîne en général des conséquences néfastes. À chaque fois qu'on industrialise l'agriculture, que ce soit pour les poules, les porcs ou les légumes, comme c'est la loi du marché qui domine, on s'oriente vers des catastrophes économiques, avec souvent des pertes financières considérables. Pour nous c'est clairement un système qui n'est pas durable. Le modèle industriel entraîne toujours les prix vers le bas, avec des marges les plus faibles possibles, ce qui élimine les petits agriculteurs. C'est inhérent à l'industrialisation de l'agriculture comme on le voit avec ce qui s'est passé pour le foie gras.
De plus, ce modèle agricole ne correspond pas à la demande grandissante des consommateurs qui recherchent des productions liées au terroir, à la terre... De ce point de vue c'est aussi une très mauvaise image pour notre territoire qui est donnée. D'un côté on joue la carte de la qualité, de la production du terroir, on valorise le veau de lait ou les petits vignobles et de l'autre on promeut l'accouplement d'un incinérateur et 8,5 hectares de serres ! On est en pleine contradiction.
Il y a une seconde contradiction...
Oui, c'est celle posée par le traitement de nos déchets. D'un côté nous avons le ministère, la COP 21 et tous les discours des pouvoirs publics qui invitent à réduire nos déchets, à les trier, à les recycler plutôt que les brûler, et d'un autre côté en adossant 8,5 hectares de serres à un incinérateur on ne fait que conforter une usine d'incinération. Bref on perpétue le système qu'on critique par ailleurs. Le fait que le président du SYTTOM, Marc Chatel, ait été l'ancien directeur des services du département de la Corrèze qui a mis en place l'incinérateur laisse du reste penser qu'on est encore loin d'être sorti de cette logique. Il y a d'autres aspects qui sont très critiquables dans ce projet. Le fait par exemple qu'il va s'installer sur une zone boisée avec une tourbière – ce qu'on appelle une zone humide. Deux études menées, l'une par l'Agence française pour la biodiversité, l'autre par le Conseil national de la protection de la nature (qui dépend directement du ministère de l'Environnement) ont donné des avis défavorables.
Y a-t-il d'autres problèmes ?
Oui ! Il y a la question financière d'abord. C'est un projet très subventionné. Le coût global de l'opération est de 11 millions d'euros. Selon le porteur du projet il y aurait 20% de subventions (un peu plus de 2 millions), mais, dans des projets similaires, les subventions, une fois toutes les possibilités additionnées (Europe, France, région, département, com com...), représentent souvent 40%. Sans compter que les 21 hectares de terrains concernés vont être défrichés et viabilisés par la communauté de communes Ventadour-Monédières-Egletons (estimation du coût : 2 millions) puis que le bail sous forme d'une location-vente permettra que l'industriel devienne au final propriétaire du site.
Le coût de l'énergie et l'emploi sont toujours les variables d'ajustement de ce genre de projet
Cela fait beaucoup d'argent public pour un projet privé ! Mais le plus important n'est peut-être pas là. Pour que le projet soit économiquement équilibré, l'énergie qui sera vendue aux serres à tomates le sera à un coût de 140 000 € par an, ce qui générera pour la collectivité un déficit annuel de 105 000 €. C'est écrit en toute lettre dans la délibération du SYTTOM du 9 novembre 2016 : “Le déficit annuel est encore de 105 000 € que le SYTTOM 19 doit financer pour valider le contrat avec les maraîchers.“ Et dans la même délibération on lit : “Monsieur Marc Chatel [le président du SYTTOM] propose de prendre en charge ces 105 000 € restant, afin de permettre la réalisation des serres, vu l'intérêt économique que représente cette opération.“
Par ailleurs nous craignons que l'existence des serres puisse impacter la fourniture actuelle du réseau de chaleur de la ville d'Egletons par la chaleur issue de l'incinérateur. On nous dit : “Non, non, l'énergie des serres ne viendra que de la chaleur fatale“ et on lit dans un rapport du conseil départemental que “l'exploitation de la chaleur fatale par le GFA n'aura aucune conséquence sur la production d'électricité de l'usine ou sur le réseau de chaleur urbain.“ Dans ce cas pourquoi, dans sa délibération du 27 juin 2017, le SYTTOM a-t-il fait un avenant à la convention avec la ville d'Egletons dans lequel on lit : “La convention de fourniture de chaleur au réseau de la ville doit être modifiée pour tenir compte des nouvelles conditions techniques liées au projet agricole et permettre une compatibilité entre les usages pour le chauffage et les maraîchers.“ Qu'est-ce que ça veut dire ? L'avenant prévoit ainsi dans la phase actuelle (“sans les serres“) que l'incinérateur garantie une puissance de 4 MW au réseau de chaleur, tandis que dans la phase ultérieure (avec les serres) la puissance garantie tombe à 1,5 MW...
Le dernier argument pour ce projet ce serait donc l'emploi ?
L'emploi, c'est le gros mirage ! Au nom de l'emploi on manque totalement de vigilance. Les porteurs du projet annoncent la création de 25 CDI et l'embauche temporaire de 60 à 80 saisonniers sur les périodes de cueillette. Nous doutons déjà beaucoup de la réalité de ces chiffres. Le projet prévoit à terme 8,5 hectares de serres. Or, une entreprise équivalente, Tom d'aqui, qui exploite 25 hectares de serres à tomates à Parentis-en-Born (Landes) – soit 3 fois plus que le projet de Rosiers d'Egletons – ne déclare que 10 à 15 salariés ! De plus la plupart des autres emplois sont des emplois précaires, qui demandent peu de qualification, sous-payés et pénibles... Il n'y a qu'à voir ce qui se passe pour le ramassage des melons en Charentes : ce sont des ouvriers bulgares qui viennent pour travailler... Le monde capitaliste étant ce qu'il est, les marges étant extrêmement faibles, je ne pense pas que ces serres soient la solution qui conviendra aux quelques 900 demandeurs d'emploi qui se trouvent sur la communauté de communes. Si la solution était si simple, cela aurait déjà été prouvé ! Nous savons bien, au contraire, que le coût de l'énergie et l'emploi sont toujours les variables d'ajustement de ce genre de projet. Est-ce la vocation de l'argent public de financer ainsi de l'emploi précaire ? Nous ne le pensons pas.
Une pétition en ligne a été lancée pour s'opposer au projet : https://bit.ly/2sohOtF - Les mots pour le dire
En lisant le rapport additif en date du 18 mai 2018 de la commission permanente du conseil départemental de la Corrèze à propos du projet de Rosiers-d'Egletons, vous apprendrez que tout est dans la manière de parler ! Il ne faut pas parler de serres, mais d' “écoserres“ et remplacer le mot incinérateur par “usine de valorisation énergétique“. Il suffit juste d'employer les bons mots !