Puçage électronique des petits ruminants, obligation de nouvelles balances sur les marchés (électroniques, connectées…), étiquetage toujours plus compliqué des produits (comme l’interdiction de mettre le nom de la commune et l’obligation de mettre le pays sur un marché de producteurs locaux), normes d'abattage et d'hygiène toujours plus absurdes, etc. Des paysans résistent et prennent la parole.
Image issu d’un tract du collectif du Puy-de-Dôme contre les normes administratives et industrielles,
élaboré lors d’un rassemblement en mémoire de Jérôme Laronze, éleveur en Saône-et-Loire, assassiné par un gendarme.
Nous, paysan.ne.s et petits producteurs, subissons ces obligations et contrôles. Nous sommes nombreu.ses à considérer que cela ne protège ni nous, ni les personnes qui consomment nos produits. Nous partons en effet du constat que la multiplication des normes n'a en rien empêché des scandales sanitaires et les diverses pollutions qui continuent de s'aggraver depuis ces vingt dernières années. Elle a seulement encouragé une industrialisation et une technicisation croissante des exploitations agricoles, laissant les paysan.ne.s devant des choix difficiles : s'endetter, changer de manière de travailler, dépendre de plus en plus de l'administration agricole et de la technique, ou bien changer de statut, chercher d'autres sources de revenus, voire mettre la clef sous la porte...
Des collectifs contre les normes
Depuis quelques mois, des groupes de personnes, agricultrice.eur.s ou pas, se forment pour s'organiser collectivement et résister à l'ultra-réglementation dans tous les domaines de la vie et notamment dans la production agricole. Suite à la publication du livre de Yannick Ogor Le paysan impossible et celui de Xavier Noulhianne Le ménage des champs, et choqués par la mort de J. Laronze (voir encadré), des groupes locaux appelés “collectifs contre les normes“ se sont formés dans plusieurs régions.
Un système de production alimentaire paysan a plus besoin de liens, de confiance, de solidarité, d’échanges de pratiques et de savoirs que de normes binaires et figées
Lors d’une première rencontre le dimanche 6 mai 2018 à Gentioux-Pigerolles, nous étions plus d’une cinquantaine de personnes venues de tout le Limousin (des Combrailles à Limoges, des Monts de Guéret à la Haute-Corrèze) : certaines ayant une activité agricole déclarée, d’autre pas. Mais aussi d’autres personnes qui se sentent concernées par la gestion administrative par les normes, en lien ou non avec l’alimentation : des enseignant.e.s, des artisan.ne.s et autres consommatrices de produits agricoles ; cette question de la gestion par les normes – et cette rencontre nous en a montré un aperçu – va bien au-delà du secteur agricole (enseignement, artisanat, etc.). Cela nous a permis d’échanger sur nos problématiques face aux normes et à l’administration, nos craintes et nos solutions. C’était aussi l’occasion d’envisager une organisation collective et solidaire pour se sentir moins seul.e face aux contrôles dans les fermes – qui parfois nous freinent dans nos pratiques, voire nous humilient et nous renvoient à des postures infantilisantes de personnes incapables. Nous avons aussi pu aborder les possibilités de résistance et de libération de la parole au sein du monde agricole en Limousin. Que ce soit dans l’élevage traditionnel ou dans des formes nouvelles de vente directe, nombreuses sont les personnes fortement touchées par les normes françaises et européennes, de production, de transformation et de vente. Cela participe à la désertification du milieu rural avec la disparition des paysan.ne.s et au mal-être dans les fermes – la profession agricole est, proportionnellement, la plus touchée par le suicide.
Un réseau de solidarité
Concrètement, à la suite de cette première rencontre, nous mettons actuellement en place un réseau nous permettant de réagir solidairement en cas de contrôle : soutenir la/les personnes concernées selon leurs besoins et envies. Nous rédigeons aussi un texte pour informer les personnes qui fréquentent les marchés, fermes et autres lieux de ventes de nos productions, de ce que les normes et leurs contrôles peuvent impliquer dans nos pratiques, les dilemmes face auxquels elles nous mettent. D’autres rencontres sont à venir, pour continuer à s’organiser et à échanger (des craintes, des envies, des bidouilles, des bons plans, des bons produits).
Être dans une logique d’opposition à certaines normes/ à un système de normes, cela pose la question d’une certaine forme de transparence sur ce qui est produit pour les autres. Si les contrôleurs et contrôleuses de l’administration agricoles sont, pour beaucoup d’entre nous, dans de nombreuses situations, malvenu.e.s dans nos fermes (à cause du système pour lequel ils travaillent, qui nous écrase), nous voulons par contre que nos pratiques soient l’occasion d’échanges et de rencontres avec cell.eux qui consomment nos productions. Un système de production alimentaire paysan a plus besoin de liens, de confiance, de solidarité, d’échanges de pratiques et de savoirs que de normes binaires (respect/non respect) et figées. Défendre nos fermes, nos pratiques, notre autonomie et nos savoir-faire implique toute autre chose que de la réglementation.
En attendant, le système agricole actuel mènent de nombreux.ses agriculteurs et agricultrices vers des impasses et les conséquences sont inacceptables (isolement, renoncement, voire internement ou suicide). Ne restons pas seul.e.s. Réfléchissons à développer la confiance et la solidarité au niveau local contre l'administration de nos vies et l'industrialisation de nos conditions d'existence.
Des personnes à l’initiative de la création d’un groupe limousin contre la gestion par les normes en agriculture
Contact du groupe local d'organisation par rapport à la gestion par les normes de l'agriculture : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
Lien audio vers un reportage sur la gestion par les normes et ses conséquences : http://radiovassiviere.com/2018/03/hyper-administration-du-monde-agricole-et-normes-un-poids-tragique/
Autre contact utile pour les agricultrices et agriculteurs en difficulté (sociale ou économique) : Solidarité Paysans (en Limousin) : 05 87 50 41 18 - Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
- Un éleveur a été tué de plusieurs balles dans le dos par des gendarmes, en mai dernier, en Saône-et-Loire. Il s’appelait Jérôme Laronze.
Il n’était ni forcené ni irresponsable. C’était un paysan et il défendait les paysans. Mais il n’était pas à jour dans ses formalités administratives. Et ce fut le prétexte d’un harcèlement par les services vétérinaires, qui n’ont pas hésité à immobiliser ses vaches sur la ferme, ni à le menacer “d’euthanasier“ son troupeau. Les contrôles, menés en présence des gendarmes, ont même une fois causé la mort de plusieurs vaches. Le 11 mai 2017, menacé de saisie du troupeau et d’hospitalisation forcée, il n’a plus supporté. Il a fui, neuf jours durant. Le 20 mai 2017, les gendarmes l’ont retrouvé et l’ont tué. Pendant sa traque, il a contacté le journal local pour s’expliquer. Ils ont publié sa lettre, dont voici un extrait : “L’hyper-administration n’apporte rien aux agriculteurs, sinon de l’humiliation et des brimades. Cela ne rapporte qu’aux marchands et aux intermédiaires. Mon cas est anecdotique, mais il illustre l’ultra-réglementation qui conduit à une destruction des paysans...“
Plus d’informations par voie numérique :
http://luttesagricoles.info/2018/01/14/article-du-jsl