Tout a commencé il y a quatre ans lorsque l’État, en quête de lieux pour réceptionner les migrants qui arrivent en France, a décidé d'implanter ici et là des centres d'accueil de demandeurs d'asile (CADA). Chez nous : à Eymoutiers d'abord, puis à Peyrelevade. Quelques temps plus tard, l'évacuation de la “jungle de Calais“ était à l'origine de la création du Centre d'accueil et d'orientation de Peyrat-le-Château. Très vite, des habitants, voisins de ces centres, ont fait connaissance avec les personnes qui y arrivaient. Pour répondre aux besoins de ces réfugiés qui ne connaissaient personne ici, ils se sont organisés. Des associations “Montagne accueil solidarité“ et des antennes de la Cimade se sont créées dans ces trois communes. Des groupes informels également dans d'autres communes (Faux-la-Montagne, Tarnac, Royère-de-Vassivière, Saint Martin-Château, Felletin...). Une véritable solidarité s'est développée, des liens de sympathie sont nés, des déboutés ont été accueillis ici ou là. Bref, quelque chose d'assez naturel s'est produit. Quand des individus rencontrent d'autres personnes en difficulté, en règle générale ils cherchent plutôt à leur filer un coup de main.
Le problème est que la politique migratoire de la France conduit plutôt à leur filer un coup de pied. Emmanuel Macron, en même temps (!) qu’il se permettait de donner des leçons de morale aux Italiens qui refusaient en juin d'accueillir les réfugiés récupérés en mer par le bateau humanitaire l'Aquarius, faisait adopter sans difficulté une nouvelle loi sur l'asile particulièrement restrictive. Alors qu'il déclarait le 15 juin 2018, à l'issue d'une rencontre avec le Premier ministre italien, vouloir “assouplir le règlement de Dublin“, qui implique que le premier pays d’arrivée d'un migrant soit celui qui examine sa demande d’asile, la préfète de la Creuse, Magali Debatte, en raidissait l'application dans son département trois semaines plus tard en tentant d'expulser un Soudanais accueilli à Faux-la-Montagne depuis 8 mois.
Malheureusement, ce dernier n'était pas le seul à en souffrir. La nouvelle préfète se félicitait même qu'en Creuse les quotas de “dublinés“ soient largement dépassés de 900 % ! Bref, la logique de l'Etat et celle d'un certain nombre de citoyens, une fois encore, entraient en collision.
Le lundi 25 juin 2018, le Soudanais en question, hébergé à Faux, était convoqué à la gendarmerie de Royère pour se voir notifier sa prochaine expulsion vers l'Italie où il avait mis pied à terre après une périlleuse traversée de la Méditerranée (en moyenne, 1 migrant sur 18 se noie au moment de la traversée). Surprise des gendarmes lorsqu'ils ont vu débarquer, aussitôt le jeune homme entré dans leurs bureaux, quelques 150 habitants des environs venus manifester leur opposition à l'expulsion de leur voisin et ami. Ce dernier est ressorti libre... parce qu'il n'y avait plus de place dans un centre de rétention, ce lieu de “privation de liberté“ (une prison, quoi) dans lequel on parque les personnes avant de les mettre dans un avion pour les réexpédier d'où ils viennent. Pas vraiment une victoire pour les défenseurs du jeune homme... D'autant que la nouvelle préfète de la Creuse diffusait le jour même un communiqué sec et péremptoire en affirmant que Noordeen Essak (c'est le nom du jeune homme que, par souci de protection du réfugié en cas malheureux d'un retour au Soudan, ses défenseurs se gardaient bien de rendre public, précaution inconnue du côté de Magali Debatte) serait bien “transféré“ en Italie.
15 jours plus tard, le 9 juillet 2018, même topo à la gendarmerie de Felletin cette fois. Une convocation, 200 soutiens de Noordeen et une préfète toujours aussi raide. Elle savait que le surlendemain, mercredi 11 juillet à minuit, elle ne pourrait plus l'expulser... et a tout fait pour lui trouver une place dans un avion. Pas question pour elle de laisser le jeune homme à Faux-la-Montagne où pourtant il est accueilli, où il s’intègre parfaitement avec trois autres réfugiés soudanais comme lui, où il apprend le français et participe à de nombreuses activités locales.
Résumons la suite de l'affaire qui a été largement médiatisée. Devant la détermination des manifestants, la préfète a décidé de jouer le grand jeu et d'envoyer entre 60 et 80 gendarmes pour disperser la manifestation et permettre l'exfiltration de Noordeen Essak en pratiquant un trou dans le grillage à l'arrière de la gendarmerie. Un gendarme de Guéret raconte : “À 18h, mon unité est appelée en renfort sur la communauté de brigades de Felletin (…) Nous avons rendez-vous à un endroit convenu à l'avance à l'entrée de l'agglomération de Felletin.“ Là il y retrouve des dizaines de collègues venus de Saint-Vaury, Dun-le-Palestel, d'autres gendarmeries de Creuse et même de Haute-Vienne. “À 20h, nous recevons l'ordre de nous rendre au niveau de la brigade de gendarmerie de Felletin“. Et c'est là que se produit la collision : coups, gaz lacrymogènes, évacuation musclée (des manifestants jetés à terre, blessures...). Il suffit pour se rendre compte de ce qui s'est passé de regarder le reportage de Télé Millevaches (http://telemillevaches.net/videos/felletin-9-juillet-2018).
Le lendemain la préfète de la Creuse se félicitait du travail des gendarmes et justifiait l'expulsion de Noordeen Essak en s'emmêlant les pinceaux, accumulant erreur sur erreur. Elle indiquait par exemple qu'il avait déposé sa demande d'asile en Italie, ce qui est faux, une erreur parmi d'autres qu'ont relevées avec précision les défenseurs du réfugié, qui organisaient une semaine plus tard une conférence de presse également visible sur Télé Millevaches (http://telemillevaches.net/videos/fiche-es-f-comme-fraternite). Le lendemain la préfète stigmatisait les manifestants (dont plus de la moitié étaient des habitants et habitantes de Faux-la-Montagne) en disant qu'ils n'étaient en réalité pour la plupart pas de Faux mais des militants de “l'ultra-gauche“... Quand on veut tuer son chien, on dit qu'il a la rage.
Pendant ce temps, le Soudanais, entravé pendant tout son voyage jusqu'à Paris, frappé au passage par un gendarme, sera remis en liberté à l'aéroport de Roissy... Revenu en Limousin le 23 juillet pour faire reconnaître par le tribunal administratif de Limoges son droit à déposer sa demande d'asile en France, il assiste alors à un petit coup de théâtre : la préfecture de la Creuse fait machine arrière moins d'une heure avant l'audience et affirme que Noordeen peut désormais déposer sa demande d'asile (ce qu'il a fait depuis). Ainsi tout ce tintouin et toute cette énergie pour au final aboutir sur ce qui aurait pu être octroyé sans problème ! La préfecture a clairement perdu la bataille sur ce cas. Mais elle ne change pas sa politique pour autant. Et si la préfète de la Creuse fait montre d'un zèle particulièrement féroce, les autres préfectures de la région appliquent peu ou prou la même politique... C'est la raison pour laquelle, au-delà du cas de Faux-la-Montagne, les habitants et habitantes engagées dans l'accueil des personnes exilées sur le territoire ont décidé d'afficher haut et fort leur volonté de ne pas obéir aux injonctions inhumaines de reconduite à la frontière de personnes qui, en fuyant leur pays, ont fui légitimement la guerre, la misère et la mort. Ce texte, “Il n'y aura pas d'expulsions sur la Montagne limousine“ (voir page suivante), peut être signé par tous ceux qui s'y reconnaissent en se rendant tout simplement sur le site d'IPNS (https://www.journal-ipns.org/petition-il-n-y-aura-pas-d-expulsion-sur-la-montagne-limousine/inscription-petition-2018).
Michel Lulek