Dans le cadre de deux résidences d’artistes mises en place par l’association La Métive en Creuse, dont l’une s’est déroulée en juin 2005 et l’autre en avril 2006, le photographe Cédric Martigny a réalisé un travail photographique mettant en scène les habitants du Foyer creusois d’hébergement et de réadaptation sociale de Guéret et leur environnement rural proche. Il a choisi 4 photos extraites de ce travail pour IPNS et nous explique sa démarche.
Le Foyer creusois de Guéret accueille des personnes en réinsertion ainsi que des exilés politiques demandeurs d’asile. Mon projet fut d’installer un studio photographique dans la cantine, préalablement vidée de ses meubles, et de photographier chaque personne devant un fond unique, près de la fenêtre. L’appareil que j’ai utilisé est une chambre photographique de grand format dont je me suis attaché à expliquer le fonctionnement à chaque participant. La manipulation lente et contraignante de l’appareil ainsi que le temps de pose prolongé conféraient à chaque prise une forme de solennité qui tendait à mobiliser le sujet. Le modèle était obligé de prendre conscience de son maintien comme d’une construction, presque une image.
j’ai cherché à redonner un droit de regard à des personnes trop souvent anonymes et invisibles !
De ce qui naît de la simple confrontation avec un appareil photographique et d’une réalité quotidienne caractérisée par l’attente et la solitude, j’ai tenté de faire naître une image.
Aux visages flous croisés dans la presse et aux portraits d’identité épinglés dans un dossier, j’ai tenté d’opposer des images dignes, justes et humaines. En responsabilisant les sujets à la fabrication de leur propre image et en les intégrant pleinement dans le processus de présentation, de la planche contact à l’exposition, j’ai cherché à redonner un droit de regard à des personnes trop souvent anonymes et invisibles. Ainsi, loin de tout voyeurisme ou d’empathie mercantile, ce travail expose des personnes qui ne demandent qu’à être regardées.
Chaque jour, un rituel me conduisait de mon lieu de résidence au foyer creusois, distants d’une trentaine de kilomètres. La route départementale traversait de nombreux petits bois, des parties en friche. En marge des chemins et des sentiers, ces lieux abandonnés m’apparaissaient comme des formes organiques et végétales, des lieux dont je me sentais totalement étranger. Par la marche et par des trajets plusieurs fois répétés, je décidai de m’approprier ces morceaux de paysage.
Lieux obscurs et primitifs, ruines végétales, ces bois révélaient une topographie anarchique qui semblaient avoir recouvert les traces de leur histoire. Loin du pittoresque campagnard ou de l’idée d’un “bon vieux pays natal“, ces morceaux de territoire m’offraient un espace dont les signes restaient à déchiffrer. Lentement ces lieux inhospitaliers me sont devenus intimes, j’en avait fait ma demeure.
Qu’est-ce qu’habiter un pays ? Comment faire corps avec une histoire et un environnement étrangers ? Ces questions me semblaient rejoindre celles des habitants du Foyer creusois.
Ce travail, ancré dans le territoire et l’histoire du Limousin, cherche à tisser un lien inédit entre des personnes temporairement privées de droits et d’endroit et un terroir séculaire, enseveli sous le poids du passé. De la confrontation de ces corps privés de lieu et d’un lieu privé de corps naît un espace poétique, où la reconstruction d’une identité semble possible.
Cédric Martigny
- foyer n. m. Lieu où on fait le feu; le feu même.
Partie du théâtre où se rassemblent les acteurs.
Lieu où se réunit une famille.
(Le Petit Larousse illustré)