Le 11 novembre au matin, les usagers du rail sortent de la terreur : on vient d’arrêter les “commandos anti-TGV“. Michèle Alliot Marie parade, sa belle prise est exposée par les médias, embarqués depuis le début dans l’opération. Deux jours plus tard, alors que la justice s’empêtre dans des histoires de preuves introuvables, on semble plutôt reprocher aux interpellés d’avoir eu “l’intention“ de commettre de tels actes. Dans le même élan, ils allaient pouvoir devenir une sorte de “cellule“, appartenant à une “nébuleuse“, qui s’en serait tôt ou tard, dans quelques années, pris aux vies humaines. Magie de l’antiterrorisme : à mesure que les faits se dématérialisent, l’affaire s’aggrave.
La lutte antiterroriste ne s’intéresse pas tant aux actes qu’aux sujets qui pourraient les commettre. Un sujet, cela se fabrique. A partir de vies bien réelles, avec leurs particularités, leurs habitudes, leurs liens. Ces liens constituent d’ailleurs un objet d’investigation privilégié. C’est ainsi que la police construit une “mouvance“, un “réseau“, ou n’importe quelle autre élucubration signifiant une appartenance diffuse.
Fabriquer un sujet terroriste, cela consiste en des procédures concrètes. Annoncer des menaces futures, leur fabriquer des appellations. Faire arrêter neuf personnes au petit matin, par 150 policiers cagoulés, armés jusqu’aux dents, un hélicoptère, des chiens renifleurs d’explosifs, la police scientifique... Les conduire dans des locaux spéciaux. Là, les garder quatre jours en cellule. Quatre jours ponctués d’interrogatoires nombreux et interminables, aux termes desquels n’importe qui serait prêt à avouer que sa grand-mère a conçu les attentats contre le World Trade Center. Pas d’avocat, si ce n’est à la fin, quand on aura eu le temps de les questionner sur ce qui est essentiel dans cette affaire : ce qu’ils vivent, ce qu’ils lisent, qui ils fréquentent. Il faut savoir s’ils ont manifesté, un jour, à Vichy, s’ils ont compris ou commis quelque ouvrage et pourquoi, mais pourquoi ils n’habitent pas seuls, dans un appartement, mais vivent et s’organisent ensemble. Il n’y a plus alors qu’à extraire de cela les éléments adéquats et les retraduire dans le jargon de l’antiterrorisme. Produire ainsi, assortie de détails pittoresques, l’image de neuf clandestins, organisés en cellule, disposant d’un chef, et s’abreuvant d’un manuel de lutte armée.
Qu’importe que le fameux bréviaire secret se trouvât déjà en possession de plusieurs milliers de lecteurs, qui avaient pu se le procurer dans n’importe quelle librairie. Qu’importe qu’il fût impossible même aux journalistes venus accréditer cette thèse de confirmer tant soit peu ce portrait de clandestins reclus, coupés du monde. Le terme de “terrorisme“ a le pouvoir de changer l’eau en vin, et pour ceux à qui on l’applique, chaque aspect de l’existence devient l’objet de soupçons si ce n’est une preuve accablante. L’absence même de preuve devient la preuve qu’on a affaire à des terroristes spécialement retors, des experts de la discrétion. La réalité à partir de laquelle on a construit ici des terroristes, cette réalité, la justice peut toujours la trouver criminelle.
Notons que la SNCF recensait en 2007 vingt-sept mille actes de malveillance contre son réseau ferré. Le sabotage à proprement parler est un acte encore banal dans toute grève, et le mouvement cheminot de l’automne dernier est encore venu le rappeler. Pour autant, et malgré la vive terreur que semble provoquer un blocage du trafic ferroviaire, on n’avait pas encore brandi, dans de tels cas, la catégorie “terroriste“, et l’arsenal judiciaire et policier exceptionnel qui l’accompagne. Ce qui s’est passé le 11 novembre est une provocation objective, qui a valeur de test. On assiste donc bien à une dérive législative qui désormais assimile au délit de terrorisme chaque forme d’opposition sociale qui s’oppose aux gouvernements et aux institutions et permet d’attribuer la visée de terrorisme pour des activités comme des piquets de grève, occupations, boycottages ou sabotages de marchandises et infrastructures, alors qu’elles appartiennent à la longue histoire des batailles sociales du mouvement ouvrier. Il va de soi que si l’affaire s’éteint doucement dans le silence, tandis que croupissent en prison ceux qu’on a si grossièrement désignés à la vindicte universelle comme terroristes, rien n’empêchera que ce silence soit interprété comme un assentiment général donné au procédé, et à ses applications à venir. Ici, comme en Italie, en Allemagne ou ailleurs en Europe et aux Etats-Unis, il est clair que l’antiterrorisme n’est pas une série de lois d’exception que chaque pays s’accorde mais bien la base d’un nouveau régime de gouvernement mondial.
De la couardise à la bassesse
La frappe “chirurgicale“ qui a atteint Tarnac un 11 novembre 2008, a eu des effets collatéraux dans la région, en particulier sur un certain nombre d’élus régionaux.
Une dizaine de jours après ce spectaculaire, et très médiatique, show anti-terroriste, il s’est trouvé que la commission permanente du Conseil régional (Limousin) a été amenée à tenir une réunion afin de statuer sur l’attribution d’aides.
Un certain Bélézy (président de la fédération MoDem 87 – c’est tout dire !) crut bon de signaler à ses collègues un dossier, à ses yeux, des plus sulfureux ! Le dossier d’aide à la création d’entreprise pour le “Magasin Général“ de Tarnac. Et cet individu, sans aucune hésitation, demanda l’ajournement de celui-ci considérant “qu’il est présenté par des personnes mises en cause dans l’affaire des sabotages des lignes SNCF“.
Rappelons lui quelques évidences :
- les personnes mises en cause n’ont pas été jugées, par conséquent elles ne peuvent, aujourd’hui, qu’être considérées comme innocentes. C’est la base même de la loi : la présomption d’innocence. Que certains, tels, peut-être, cet élu souhaite plutôt une “présomption de culpabilité“, c’est leur droit d’opinion mais pour le moment, ce n’est pas ce qui doit être appliqué, que des personnes les condamnent avant même l’enquête et le jugement, cela peut surprendre.
- le dossier a été “présenté par des personnes“. En effet, il y a trois gérants, mais que nous sachions, il n’y a qu’une personne suspectée dans cette affaire. Jusqu’à preuve du contraire, les deux autres sont totalement étrangères à celle-ci. Comment peut-on alors accepter que ces deux personnes se retrouvent responsables collectivement de ce qui a pu arriver à la troisième ?
Après ces rappels élémentaires, on peut s’interroger sur le fait que la demande de l’élu ait été acceptée à l’unanimité ! Cela montre la couardise et la bassesse dont peuvent faire preuve parfois de bonnes gens. Mais gageons qu’à la prochaine présentation du dossier, leur avis, telle une girouette bien huilée, puisse être tout à fait autre si le “vent“ médiatique (et d’une bonne partie de l’opinion) a tourné.
Finalement, quoi de plus atterrant et lamentable que ces passe-passes politiques ?
PS : Nous venons d’apprendre que le Conseil régional vient d’avertir les gérants du “Magasin Général“ que leur demande de subvention sera représentée à la prochaine commission permanente. Comme nous pouvions nous y attendre, la girouette étant parfaitement huilée et le vent ayant tourné, les courageux élus en question, après avoir hurlé avec les loups anti-terroristes, ont pu retourner leurs vestes sans aucune honte apparemment. La vie politique régionale continue.
Francis Laveix