L’apogée de la chasse d’eau
L’assainissement des eaux usées est depuis toujours un problème majeur de salubrité et de santé publique pour lesquels les sociétés antiques ou modernes ont dû trouver des solutions. La chasse d’eau des WC telle qu’on la connaît aujourd’hui, dans les pays riches, est finalement assez récente, même si la première daterait de 1595. Ainsi certains affirment que les deux inventions ayant révolutionné le XXe siècle. furent la télécommande et la chasse d’eau. Démocratisée après 1945, la chasse d’eau est apparue alors comme un bienfait de civilisation, un emblème de modernité. Il est vrai que bon nombre de maladies graves ont disparu sous nos latitudes avec l’arrivée de l’eau courante dans les maisons. La toilette quotidienne devenait facile tout comme l’évacuation des “sous-produits“ de notre métabolisme.
Les bienfaits du tuyau
Malheureusement, la chasse d’eau est arrivée avant le tout-à-l’égout et avant les stations d’épuration. Conséquence, l’émergence de gigantesques pollutions des milieux naturels, comme dans la Seine jusque dans les années 80, ou dans le lac d’Annecy, vaste réceptacle mettant bien en évidence ce qui était peut-être moins visible ailleurs quoique tout aussi pollué. Mandatés par nos politiciens d’alors, nos brillants “ingénieurs du tuyau“ ont investi tout leur génie dans la mise en œuvre des fameux réseaux de tout-à-l’égout et de stations d’épuration. Outre le regain de salubrité, la récupération et le traitement des eaux usées ont permis, dans un premier temps, à nos rivières, fleuves et littoraux de retrouver une odeur acceptable et une santé relative.
L’ère des grands travaux
Réservées aux villes au départ, les techniques “modernes“ d’assainissement, considérées comme “le progrès incarné“ ont finalement gagné la campagne, quitte parfois à engloutir les budgets communaux pour des décennies. Avec la création des six agences financières de bassin en 1964, dénommées aujourd’hui agences de l’eau, il aura fallu mobiliser les fonds de gigantesques programmes financiers pendant 40 ans, pour aboutir au réseau actuel d’assainissement quasi complet dans les villes, même si certains points noirs demeurent. Progressivement a pu naître un véritable business de l’assainissement axé sur la logique du tuyau et du béton et améliorant sans cesse les techniques d’épuration au gré de l’évolution des normes de rejet au milieu naturel : traitement primaire, secondaire puis tertiaire parfois additionné d’une unité de déphosphatation et/ou de dénitrification. Ainsi est apparue toute une cohorte d’installations d’épuration complexes, gourmandes en entretien, en énergie et en compétences techniques, parfois mal dimensionnées et souvent totalement inadaptées au contexte local, notamment en zone rurale. Tout cela pour un rendement épuratoire maximum de 50 à 60%. De plus, cette innovation d’alors était dotée d’un vice majeur : le désintéressement complet du citoyen vis-à-vis du devenir de ses eaux usées et donc aussi de son impact sur l’environnement, trop content de pouvoir laisser cette tâche à l’élu.
Le tout-à-l’égout en question
Derrière le sentiment de propreté instantanée à la maison, se cache toute une cohorte de problèmes croissants et de plus en plus insolubles : consommation exponentielle d’eau potable dont 26% pour les WC, pollution permanente à l’azote et au phosphore des rivières par concentration en un point de flux croissants insuffisamment traités des stations d’épuration, pollution des sols agricoles (métaux lourds en particulier) liée à l’épandage des boues de station, pollutions ponctuelles liées au sous-dimensionnement des stations par temps de pluie du fait de l’imperméabilisation croissante des sols, pollutions par les hormones contraceptives et autres molécules médicamenteuses rejetés à l’amont de captages d’eau potable. Telles sont les tristes réalités du choix généralisé du tout-à-l’égout. Malgré toutes les avancées techniques et la réglementation sans cesse croissante, les solutions trouvées pour l’assainissement des eaux usées depuis 50 ans apparaissent aujourd’hui avec l’expansion démographique des villes et l’émergence de la société chimique initiée avec l’eau de Javel, comme une gigantesque impasse. De plus, à l’heure où trois quarts de la planète souffrent et meurent du manque d’eau potable, nous consommons environ 40 L. d’eau potable par jour et par personne pour évacuer 1,5 à 2 L. d’urine et 150 à 200 g. de matières fécales.
ANC versus tout-à-l’égout
Arrivé au terme d’une certaine politique d’assainissement qui, loin d’avoir réglé tous les problèmes, en a créé de nouveaux, des solutions différentes commencent à être promues. Certaines d’entre elles ont été mises en œuvre depuis longtemps, telles le lagunage ou les filtres plantés, par des élus et techniciens plus clairvoyants. A l’heure où les crises semblent s’additionner, à la fois écologique, climatique, énergétique, il semble que s’amorce un début de prise de conscience pour envisager les choses autrement. La plus faible disponibilité des moyens publics et les textes de lois récents accroissent encore la logique d’épuration à la source en utilisant les capacités épuratoires des sols. Ainsi la montée en puissance de l’assainissement non collectif (ANC) ou autonome témoigne déjà d’une évolution des paradigmes. Accepter cette technique, c’est reconnaître qu’épurer ses eaux est une chose simple et efficace si l’on respecte quelques principes de base, et que cela peut se faire chez soi pour peu qu’on dispose d’un minimum de terrain non arboré. Certains préféreront même l’épuration aérienne par bassins plantés, ou phyto-épuration, qui a le grand mérite de rendre visible la dépollution opérée et les accidents éventuels. De toute façon, désormais, quel que soit le moyen mis en œuvre, seul compte le résultat à la sortie.
Toujours plus loin, les toilettes sèches
Pour autant, concernant les WC, il est possible d’aller plus loin si l’on veut bien réintégrer l’homme au sein de la biosphère et si l’on considère alors que ce qu’il produit doit être réinjecté dans le cycle perpétuel de la matière organique. Dans ce cas, il apparaîtra à chacun comme évident que l’usage de l’eau et de l’égout pour évacuer ses excréments n’est pas la solution la plus opportune. C’est ce que démontre l’utilisation croissante des toilettes sèches ou TLB (toilettes à litière bio-maîtrisée). Cette solution encore complètement marginale en France se généralise en Europe du Nord, à tel point que des villages et quartiers entiers l’adoptent, y compris dans des immeubles bien conçus. Cette technique ne s’apparente en rien aux toilettes du fond du jardin, elle repose simplement sur l’idée que ce que nous émettons doit repartir via un cycle de dégradation aérobie pour permettre la fertilisation des sols et non la pollution des eaux.
Vincent Magnet