3ème partie - Les pesticides dangereux pour nos enfants
Les pesticides sont-ils dangereux pour les enfants ? Sans hésitation, oui... et même très dangereux pour le fœtus. Des études épidémiologiques réalisées chez des familles d’agriculteurs ou dans la population générale ont permis d’établir une association entre l’usage par les parents de pesticides et certaines anomalies congénitales, des leucémies, des tumeurs cérébrales et autres pathologies pédiatriques. Détaillons d’abord les transferts des pesticides dans nos tissus, et plus particulièrement dans ceux de nos enfants.
Chez le fœtus et le bébé
De nombreuses études ont trouvé des pesticides (ou leurs métabolites) dans différents tissus ou annexes du fœtus ou du nouveau-né : tissu adipeux, liquide amniotique, méconium (première selle du nourrisson), sang ou tissu de cordon ombilical. Ceci ne paraît pas anormal au regard d’autres études qui révèlent la présence de pesticides dans le sang maternel, le tissu adipeux ou le placenta de la mère au moment de l’accouchement.
Une mère enceinte contamine son fœtus par ce qu’elle mange et par ce qu’elle respire. En 2006, une analyse du sang du cordon ombilical menée par des chercheurs américains avait montré que 250 substances chimiques s’y trouvent dès la naissance. Une analyse des premières selles du nouveau-né montre également que des centaines de substances chimiques s’y trouvent.
La présence de substances synthétiques dans le sang ou le cordon ombilical indique clairement que le placenta n’a pas joué son rôle de filtre. Ce fait est notamment rendu possible par le caractère lipophile de certains pesticides (ex. le malathion, matière active rencontrée couramment dans les insecticides). Cette contamination précoce est alors une empreinte indélébile car elle s’accumulera dans les tissus de l’individu au fil de ses expositions aux substances chimiques liposolubles.
Une étude réalisée auprès de jeunes espagnols de 18 ans dans la région d’Alméria en Andalousie, région d’agriculture intensive sous serres, a permis d’identifier chez ces individus plus de 200 dérivés chimiques dans le sang. Nos enfants sont donc une population plus sensible aux pesticides.
Pourquoi nos enfants courent-ils davantage de risques ?
Ils mangent et boivent plus que les adultes, toutes proportions gardées. Conséquence : ils absorbent davantage de pesticides proportionnellement à leur taille.
Ils respirent plus rapidement et absorbent la nourriture de manière plus efficace que les adultes.
Ils ont un système moins développé et moins apte à dégrader les pesticides, particulièrement dans le cas des fœtus.
Ils rampent sur le sol et ont tendance à porter leurs mains et les objets à la bouche.
L’enfant n’est pas un petit adulte : il n’est pas capable de métaboliser, de détoxifier et d’excréter les substances toxiques comme l’adulte. Son système immunitaire est immature. Sa peau, très perméable aux agents lipophiles, les absorbe plus rapidement que l’adulte.
Quels effets potentiels ?
- des anomalies congénitales. En 2002, le Professeur Charles Sultan a réalisé une étude à partir de 2043 naissances suivies à la maternité montpelliéraine Clémentville. Sur 1033 garçons, 25 avaient une malformation urogénitale (micropénis, pseudo-hermaphrodisme, hypospadias : l’orifice de l’urètre n’est pas au niveau du gland, cryptorchidie : testicules non descendus ). Il conclut avec ces mots “Un enfant d’agriculteur a quatre fois plus de risques d’avoir une malformation génitale“.
- une insuffisance de poids à la naissance liés à des retards de croissance intra-utérine, avec des risques accrus de diabète
- un retard de développement du cerveau et troubles du système nerveux
- des cancers : notamment leucémies, tumeurs cérébrales et cancers du rein.
Dans une interview réalisée en 2005, le Pr Sultan déclarait que le cancer précoce des testicules a été multiplié par 4 sur les 15 dernières années en France.
- des interférences avec les hormones du corps qui contrôlent la croissance et le développement.
Le développement de la glande mammaire est prématuré chez certaines petites filles, ce qui pourrait s’accompagner d’un risque accru de cancer du sein.
Des études sur l’exposition précoce au Fipronil (substance active du Gaucho, insecticide autorisé pour le traitement des semences des betteraves et des céréales suivantes : blé, orge, seigle, triticale et avoine) ont montré qu’elle pouvait faire chuter les hormones mâles de 20 à 30%. Or, ces hormones ont une action qualitative et quantitative sur le développement du système nerveux. Quantitativement, cette perte hormonale se traduira par des déficiences psychomotrices, qualitativement, c’est l’identité sexuelle de l’individu qui risque d’être perturbée.
L’activité ‘oestrogéno-mimétiques’ des pesticides sur des lignées cellulaires humaines a été démontrée : ces derniers miment l’activité des œstrogènes, hormones femelles, et ont un comportement anti-androgéniques. Cette activité se traduit par des modifications du code génétique contenu dans l’ADN. On peut alors comparer l’action de ces pesticides à celle d’un médicament autrefois prescrit aux femmes enceintes pour le maintien de leur grossesse, le ‘distilbène’. Cet exemple montre que la contamination peut s’exprimer plusieurs années après l’exposition. Il a fait émerger le concept de l’origine fœtale d’une pathologie adulte. Ces pathologies s’expriment par des malformations génitales, des précocités pubertaires, des cancers du sein, de la prostate … De plus, l’exposition multiple aux substances chimiques (pesticides, pollution d’intérieur, pollutions industrielles) rendent ces effets plus nocifs.
Avec ces 3 articles (IPNS n° 23, 24 et 25), nous avons montré que l’usage généralisé des pesticides homologués est une source de pollution pour l’environnement et pour la santé des humains. Comme le rappelait Jean Rostand “Attendre d’en savoir assez pour agir en toute lumière, c’est se condamner à l’inaction“. Comme il est urgent que nous agissions dans notre quotidien, nous évoquerons quelques alternatives aux pesticides dans le prochain numéro d’IPNS.
Monique Douillet
- Scepticisme devant les méthodes d’évaluation des pesticides
L’évaluation de la toxicité d’une matière active sur la santé à long terme repose sur la DES, Dose Sans Effet. C’est la dose la plus élevée d’une matière active qui ne provoque aucun effet décelable chez 2 générations d’animaux soumis à expérimentation (souris, lapin, rat, …).
A partir de la DES, d’autres doses sont définies, notamment la DJA, Dose Journalière Admissible pour l’homme. C’est la quantité de matière active, par kilo de poids corporel, que pourrait absorber une personne, quotidiennement, durant toute sa vie, sans que cela ne lui pose des problèmes de santé (mg/kg/jour). Le calcul de la DJA est une extrapolation de la DES en appliquant des facteurs de “sécurité“, généralement en divisant par mille la DES.
Cette méthode est certes codée scientifiquement. Mais, est-elle fiable pour rendre un produit homologué sécurisant ?
Rien ne prouve que la DES pour un animal divisé par un facteur 1000 soit une garantie de dose sans effet pour l’homme (la DJA).
Ainsi il a été montré in vitro que les cellules humaines précurseurs des lignées hématologiques sont 1 000 fois plus sensibles au Lindane que les mêmes cellules chez le rat.
Chaque matière active est évaluée séparément. Or, dans notre environnement, nous sommes exposés simultanément à plusieurs pesticides, à des doses faibles. Or, aucun effet de cumul de ces molécules sur la santé n’est évalué. Pourtant, plusieurs études montrent qu’il peut y avoir des effets de synergie liés à la présence simultanée de plusieurs molécules.
Une étude de 1996 a mis en évidence des effets de synergie entre des pesticides aux potentiels œstrogéniques faibles. Les effets des mélanges de pesticides étaient de 150 à 1600 fois plus importants que ceux des pesticides pris isolément.
En matière de toxicologie, 1 + 1 est parfois bien supérieur à 2 …