2ème partie : l’impact des pesticides sur notre santé
Tout d’abord, un coup d’œil sur quelques particularités de ce sujet.
Comme pour toute pollution, l’impact des pesticides sur la santé dépend des facteurs suivants :
- de l’intensité de l’exposition, concentration du pesticide dans l’atmosphère respirée ou/et dans l’eau et/ou dans les aliments ingérés,
- du temps de l’exposition de la personne,
- du type de pesticides : sa famille chimique (liée à sa matière active), ses métabolites, sa formulation,
- de l’accumulation et de la persistance du produit dans l’organisme,
- de la “sensibilité“ de l’individu exposé.
Mais, ces raisonnements peuvent-ils être sensés au vu de l’omniprésence de la pollution par les pesticides (cf 1ère partie Les envahisseurs IPNS n°23).
D’autre part, les mécanismes de toxicité des pesticides ne sont véritablement connus que pour quelques molécules : induction enzymatique pour les organochlorés (lindane), inhibition enzymatique pour les organophosphorés et pour les dithiocarbamates. Pourtant, d’autres modes d’action sont probables au vu des effets sur la santé, notamment les modes d’action de type immunitaire et de type hormonal.
Ces données suffisent déjà à nous alerter sur les limites de l’utilisation des pesticides commercialisés légalement (en 2005, plus de 74 000 tonnes en France ).
La toxicité aiguë
Elle est liée à l’effet des pesticides suite à une exposition importante ponctuelle. Elle s’inscrit dans le concept de Paracelse “C’est la dose qui fait le poison“. L’exposition se fait par voie cutanée, par voie respiratoire, voire par ingestion principalement pour les utilisateurs de pesticides, mais concerne aussi la population générale notamment par ingestion accidentelle de pesticides.
Les intoxications aiguës dues aux pesticides peuvent entraîner des troubles graves digestifs, respiratoires ou neurologiques, avec une atteinte importante de l’état général. Certaines peuvent évoluer vers le coma et la mort.
En France, il existe un “Réseau français de toxivigilance agricole“ permettant de collecter les effets indésirables observés chez des professionnels utilisateurs de pesticides.
ce n’est pas la dose qui fait le poison, mais la répétition de l’exposition aux pesticides
La toxicité chronique
Elle est liée à l’effet des pesticides suite à une exposition répétée dans le temps à des faibles concentrations. Cette forme de toxicité est insidieuse, sournoise, on ne la voit pas,
et pourtant elle a de quoi nous alarmer. Tant il existe des controverses dans l’identification des effets à long terme des pesticides, tant il existe suffisamment d’hypothèses validées par des preuves pour affirmer des liens indéniables entre les pesticides chimiques et les effets suivants sur la santé : la perturbation du développement du fœtus et de l’enfant et le dérèglement des systèmes reproducteur, endocrinien, immunitaire et/ou neurologique.
Pesticides et cancer : que retenir ?
En vrac, différentes études montrent les faits suivants :
- lien montré entre le cancer des lymphocytes et les pesticides (Fondation Américaine contre le Lymphome), augmentation de la fréquence des cancers (estomac, prostate, vessie, cerveau, lèvres, leucémies,…) chez les utilisateurs de pesticides démontrée dans des dizaines d’études américaines.
- surcroît de cancers de la thyroïde chez des utilisateurs d’organochlorés.
- augmentation des cancers chez les enfants : leucémies (augmentation du risque de 50% lors d’une exposition professionnelle de la mère), tumeurs du cerveau, sarcomes, lymphomes et tumeur rénale.
- risque multiplié par 2,8 de développer un cancer du sein chez les agricultrices démontré au Canada.
Une réalité en France, l’augmentation du nombre des cancers est considérable : entre 1980 et 2000, le nombre de nouveaux cas annuels de cancer chez l’adulte est passé de 170 000 à 278 000, soit une augmentation de 63% du nombre des cancers annuels. Les cancers de la prostate et du sein représentent à eux seuls plus de 50% des cas supplémentaires de cancers.
La MSA reconnaît que les agriculteurs ont des cancers surreprésentés par rapport à la population générale pour les organes suivants : cerveau, lèvres, estomac, sang, peau, prostate, ovaire, …
Une étude du CNRS de Roscoff a démontré que le Roundup et plusieurs autres produits contenant du glyphosate induisaient une dérégulation du cycle cellulaire, ce qui pourrait être la marque d’une possible cancérogénicité.
Pesticides et troubles de la reproduction : que retenir ?
Une réalité s‘impose, la perte de la fertilité au niveau de la population en général illustrée par la figure ci-contre pour les hommes.
Plusieurs études ont associé des problèmes d’infertilité, chez l’homme et chez la femme, avec le travail d’agriculteur et la manipulation de pesticides (International Programme on Chemical Safety, 2002). L’effet de certains pesticides sur la reproduction humaine a été démontré, ainsi le DBCP Dibromochloropropane diminue la fertilité masculine. D’autres effets fortement suspectés sont en cours d’études : mort fœtale, infertilités masculine et féminine, prématurité, hypotrophie du fœtus, retard de croissance utérin, malformations congénitales
Des études épidémiologiques rapportent une association significative entre l’exposition parentale à certains pesticides et des troubles de la reproduction tels que avortement spontané, enfant mort-né, malformations congénitales. Le parent exposé est généralement la mère, mais certaines malformations peuvent être liés à une exposition du père.
Relevons aussi une étude publiée dans les comptes rendus de l’Académie des Sciences Américaine en 2002, qui montre une démasculinisation des larves de grenouilles mâles exposées à des concentrations supérieures ou égales à 0,1 µg/l d’atrazine (valeur limite autorisée dans l’eau de boisson pour ce pesticide, avant que son usage ne soit interdit en 2003). De quoi alimenter une angoisse de castration et remplir les cabinets de psychanalystes pour grenouilles !
Parmi les substances suspectées d’être des perturbateurs endocriniens, on trouve des pesticides tels que des organochlorés, des triazines, des pyréthrines de synthèse, des organophosphorés, des carbamates, le linuron, le dicofol et le glyphosate.
Pesticides et troubles neurologiques : que retenir ?
Une étude française récente montre que, chez des agriculteurs hommes utilisant des pesticides, le risque de développer la maladie de Parkinson était multiplié par 5,6 et celui de développer la maladie d’Alzheimer multiplié par 2,4 par rapport à des groupes non exposés à des pesticides ! La maladie de Parkinson a été reconnue “maladie professionnelle“ par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Bourges pour un ancien ouvrier agricole (Le Figaro du 27 sept. 2006).
En France, une étude suggère des effets négatifs sur les fonctions cognitives des adultes soumis à une exposition chronique de faibles doses de pesticides employés en viticulture. D’autres études montrent que les effets neurocognitifs des pesticides organophosphorés sur les populations exposées professionnellement sont les troubles de la mémoire, l’anxiété, l’irritabilité et la dépression.
Même si nous n’avons pas détaillé toutes les perturbations liées aux pesticides sur notre organisme (effets sur les systèmes immunitaires et hormonaux non traités), il semble déjà flagrant que nous jouons déjà à l’apprenti sorcier à nos dépens et aux dépens des générations futures. C’est ce que nous évoquerons dans le prochain article ainsi que les limites des méthodes d’évaluation des pesticides.
Monique Douillet