A Tarnac, le changement de municipalité a été le théâtre d’un troisième tour électoral sur Internet. Le propriétaire du château, journaliste au Figaro et habitant intermittent, s’étant réjoui du retournement de majorité, de nombreux Tarnacois ont réagit vivement sur le blog “Balade @ Tarnac“ devant une réaction... légèrement réactionnaire ! Pour s’en offusquer, pour s’en moquer ou pour poser les enjeux d’un débat qui dépasse largement le cas de Tarnac et concerne l’ensemble du plateau : que voulons-nous pour nos communes, pour le plateau, pour ses résidents permanents ? IPNS publie ici le mot du châtelain et deux des réactions parmi les dizaines qu’il a immédiatement provoquées.
Adieu les marxistes !
Au nom d’un des habitants intermittents de Tarnac, mais votant régulièrement à Tarnac, membre de la Commission Attali, et propriétaire d’une maison détenue depuis quatre siècles par la même famille, je félicite la liste qui vient d’être élue et qui met fin à un siècle de domination marxiste dans cette commune qui ne méritait pas une si terrible idéologie. Enfin Tarnac dont les charges de personnel ont doublé en cinq ans (un record en Corrèze) va pouvoir être gérée comme une commune normale. C’est vraiment un très grand jour pour tous les Tarnacois qui ont fait preuve d’un immense sursaut civique.
Yves de Kerdrel
Ah ! ça ira, ça ira, les marxistes on les pendra !
Ah mon cher Yvon, vous avez raté la soirée électorale !
Les communistes furent promptement enfermés dans les cabanes à cochon, les drapeaux rouges décrochés, les crucifix sortis des fosses où ils avaient été enterrés quelques huit décennies plus tôt.
La foule en liesse se précipita vers les commerces longtemps réservés aux seuls apparatchiks. On dévora les éclairs et autres mokas de la boulangerie, même les religieuses au chocolat y passèrent tant on était habitué à bouffer du curé !
La cuisine du restaurant, souvent recommandée dans le Figaro du week-end qu’on se passait sous le manteau dans les veillées clandestines, nous régala de ris de veau, saumon fumé, cèpes et girolles (dont la cueillette nous était interdite). Les gosiers asséchés s’adoucirent des meilleurs crus de Bordeaux. Des mères de famille avisées remplissaient leurs cabas rapiécés des victuailles dont rengorgeait le Magasin Général. Les brigades rouges furent chassées sans ménagement du Tagouillou.
On se souvint avec tristesse des premiers opposants emmurés vivants dans les souterrains de La Gorce dans les années 30. On craignait d’aller délivrer la «vermine capitaliste», comme ils nommaient nos braves concitoyens enfermés dans le goulag de La Fage, tant les hurlements des molosses canins qui les gardaient nous effrayaient.
Au petit matin chacun redoutait que le mauvais sort nous frappe à nouveau dans six ans comme ce dimanche passé à Dieppe ou à Vierzon...
La comtesse Banette de Bramefont
Quelques habitants de Tarnac projettent de réunir en recueil les textes issus de cette controverse. Si le projet aboutit nous le signalerons dans un prochain numéro.
Contre les nouveaux “rentiers“ et les “bons gestionnaires“
Il serait intéressant de savoir combien de nos nouveaux électeurs de droite sont enfants ou petits enfants de familles paysannes, communistes ou non. Car ils sont un certain nombre à s’être arrachés aux conditions souvent dites “misérables“ de leurs aïeux par l’exil et le travail dans l’un ou l’autre des foyers de croissance économique. De retour, bon nombre savent être reconnaissants envers un système qui les a promus en rejoignant les rangs des nantis qui ont comme préoccupation centrale celle de préserver leur patrimoine et leur tranquillité – voire éventuellement les quelques vieilles pierres qui leur tiennent lieu de rapport au passé. On imagine leur fierté – assumée ou non – de pouvoir être aujourd’hui reconnus par le dernier des châtelains comme des “libérateurs“. On pourra aussi se demander ce qui reste de l’héritage éthique (si non politique) des dits aïeux.
La situation qui tend à se confirmer ces dernières années sur le plateau est celle de communes qui n’ont plus rien de “communautés“ mais tendent à n’être plus que la juxtaposition de petits nombrilismes en recherche de “qualité de vie“ dans un cadre verdoyant. Pour beaucoup, il semble qu’après avoir tant sué dans la grisaille des métropoles pour se payer quelque sursis oisif dans la campagne natale, l’attention au commun doive être reléguée au placard. Leurs préoccupations civiques se disent essentiellement en termes de tout-à-l’égout, de lampadaires, de bordures de trottoirs et bien sûr de réductions d’impôts. Pour répondre à de telles préoccupations il ne s’agit plus tellement d’élire quelqu’un de bien ancré dans sa commune, connu et à l’écoute de tous, ni même particulièrement au fait des problèmes des habitants du village dans leur diversité, mais de désigner un bon gestionnaire qui sera reconnu comme tel à l’aune de sa réussite sociale individuelle.
En attendant, derrière les façades pittoresques de nos bourgades, une guerre silencieuse continue de se mener entre, d’une part, ces nouveaux “rentiers“, surtout occupés à la réalisation de leur bon plaisir, et ceux qui, dans les coulisses, tentent de survivre des expédients qu’on a bien voulu leur laisser (il faut bien encore quelques tâcherons pour tailler les haies, s’occuper des vieux, entretenir le paysage et rénover les maisons secondaires...). Tarnac, avait jusque-là comme réussi à ne pas s’abandonner complètement à cette pente, grâce notamment à un certain activisme municipal et une vraie disposition à l’accueil, dont Jean Plazanet (l’ancien maire) n’était pas la moindre des incarnations. Combien de temps lui faudra-t-il désormais pour ressembler à d’autres bourgs alentours, sans école, sans jeunes, sans lieux communs... tranquilles et propres à en mourir ?
Nous ne pensons pas toutefois que tout soit dans les mains de la nouvelle municipalité. Que le sort entier d’une commune se joue à une dizaine de voix, dans un sens ou dans l’autre, relève trop de la loterie. Il va de soi que ce qui adviendra de la commune dépendra surtout de ce que nous saurons y faire advenir ensemble – avec ou en dépit des nouveaux élus -, au-delà de l’agitation fiévreuse de ces quelques semaines électorales.
Depuis le Goutailloux, le 19 mars 2008.