Etat et Citoyens : le dialogue impossible “C'est vous qui avez versé le premier sang !“
Le mouvement des gilets jaunes a mis en évidence le fossé qui sépare une grande partie de la population et les pouvoirs publics. Moins un dialogue de sourds que la négation de toute concertation, de toute écoute dès lors qu'elle ne roule pas dans le sens décidé par l'Etat. On en a eu un exemple caricatural le 18 septembre 2018 à Guéret, lorsque le secrétaire général de la préfecture, Olivier Maurel (évoqué dans le discours de Marc Bourgeois, page 6) a reçu une délégation de six habitants venus évoquer avec lui le cas d'Abdel, ce jeune Soudanais expulsé la veille par ses services. Nous reproduisons ici quelques extraits de ce “dialogue“, tels quels. Ils parlent d'eux-mêmes.
Olivier Maurel (OM) : Bien, so what ? On commence. Bon je vais faire comme vous je vais mettre un enregistreur.
La délégation (D) : C’était plutôt pour mettre mon téléphone en veille. On va peut-être commencer par se présenter…
OM : Oui, donc Olivier Maurel, secrétaire général, accompagné du directeur de la sécurité et de la légalité.
(…)
D : Notre revendication, ce que l’on demande aujourd’hui, ce que l’on souhaite, c’est pouvoir parler avec vous de la situation d’Abdel et de remettre sur le tapis la décision qui a été prise par la préfète de le renvoyer en CRA (Centre de rétention administratif - NDLR) puis en Italie et de voir comment dans le cas particulier qui est le sien, on peut trouver une autre solution. Voilà en gros ce qui nous motive à venir aujourd’hui. On ne va pas parler dans le vide ou dans le général de la politique d’accueil, on n'est pas là pour ça… et on sait à peu près ce que et les uns et les autres on en pense...
OM : Je vous remercie pour cette dernière précision parce qu’il est vrai que vous et nous, nous avons une position qui est irréconciliable. Il n’y a pas de possibilité de terrain d’entente parce que nous, notre travail c’est de mettre à exécution une politique qui est celle du gouvernement (…), nous il nous revient la lourde tâche de mettre cela à exécution. Donc voilà, premier point. Deuxième point, mon mandat aujourd’hui c’est de vous recevoir, mais il n’y a pas de négo possible.
“Je suis prêt à discuter mais pas en temps de guerre“
Pas de négociation. On ne va pas reparler de votre ami qui est parti en centre de rétention hier, et je ne vais pas pousser l’irrespect à vous faire croire que je vais vous…comment dire… qu’on va rentrer dans le détail de ce cas là parce qu’il y en aura d’autres (…) Je ne vais pas vous faire croire que parce que vous avez manifesté hier, parce que vous avez envahi la mairie, la politique du gouvernement va s’arrêter et que l’on va faire un rétro pédalage. Je vais simplement vous préciser ce qui va se passer : Abdel bénéficie d’une protection (le droit des étrangers en France est très protecteur), il aura le droit de faire tous les recours qu’il souhaite au centre de rétention. Nous allons ensuite le faire partir par un vol pour l’Italie où il pourra faire valoir ses droits à l’asile. Maintenant je vais peut-être vous préciser un point supplémentaire : depuis la loi immigration-asile, j’attire votre attention sur le fait de ne pas aggraver encore plus la situation d'Abdel, parce que aujourd’hui un “dublin“ comme lui, qui est déjà revenu une première fois sur le territoire, qui va repartir une deuxième fois, et qui reviendrait, ce sera constitutif d’un délit. La prochaine fois ce sera un cran au dessus, donc voilà. Nous on fait ça sans haine et sans colère, simplement parce que l’on est payé pour le faire, après...
D : Avec du zèle quand même !
OM : Aujourd’hui je ne suis pas venu négocier, d’accord ? Dans les réseaux sociaux, vous avez appelé à la mobilisation cet après midi, donc à un moment donné, je respecte votre position, je respecte également que vous nous ayez dit que l’on était d’un côté et de l’autre de l’échiquier, encore une fois le seul message que je fais passer c’est, qu’il faut maintenant sortir de la mairie. Ce sera le préalable à toute autre discussion, parce que il faut tenir compte d’une chose c’est que moi je suis prêt à discuter mais pas en temps de guerre.
(…)
D : Nous on ne vient pas ici uniquement pour se redire ce que l’on s’est déjà dit par d’autres modes d’interventions, on vient ici, alors est-ce que c’est le mot “négocier“ qu’il faut employer, peut-être…
OM : Ah non ! Non, pas de discussion, pas de négociation.
D : Alors pourquoi on est là ? Pourquoi on est là ?
OM : Mais il n’y a pas à parler sur le fond il y a simplement un problème de forme, c'est-à-dire que tant que vous occupez la mairie, il ne peut pas y avoir de discours de la part de l’Etat…
D : Mais on n’occupe plus la mairie à l’heure qu’il est ! A minuit tout le monde est sorti de la mairie,
“Non Madame, la confiance, c’est quand on est en temps de paix“
(...)
OM : On a pratiqué la même chose avec GMS, il faut que la chose soit claire, vous êtes en mode lutte, vous êtes en mode occupation de la mairie, nous on discute pas.
D : Mais comment peut-on discuter avec vous si vous ne répondez pas aux demandes orales, si vous ne répondez pas aux mails, si vous ne répondez pas aux courriers, c’est quoi la voie normale ?
(…)
OM : Vous représentez qui ? Moi je connais les élus, je connais les associations, vous vous rendez compte que si je commence à recevoir, si on commence à recevoir les citoyens, parce qu’ils ne sont pas contents, qu'ils ont envie de manger des bananes, hein, ils ont envie de moins manger de viande, mais on passerait notre temps…
D : Si les services de l’Etat ne discutent pas avec les citoyens, à quoi servent-il ?
(...)
OM : Il n’y a pas 36 solutions : vous sortez tous de la mairie.
D : Mais il n’y a plus personne dans la mairie ! Et est-ce que chaque fois qu’il y a des gens dans une salle des fêtes, il y a une occupation ? Parce que dans ce cas là toutes les mairies sont occupées !
OM : Madame, vous avez un langage très très pro, vous êtes très très pro et très habile dans ce type de manip, d’accord…
D : Monsieur, est ce que vous pouvez nous faire confiance…
OM : Non Madame, la confiance, la confiance, la confiance, c’est quand on est en temps de paix.
(...)
Les élus de la délégation : Vous imaginez ce que nous en tant qu’élus on va devoir gérer, au niveau de la paix sociale, ce qui est notre rôle ? Je ne sais pas si vous vous rendez bien compte…
OM : Je connais les techniques de toujours envoyer la culpabilité à l’adversaire, je ne marche pas dans ce truc là, c’est vous qui avez versé le premier sang (…) C’est vous qui avez cherché l’affrontement, c’est vous…
D : Si vous répondiez aux demandes de rendez vous, on serait pas dans cette situation…
OM : Est-ce que vous imaginez la préfète descendre papoter avec les manifestants dans la rue, parce qu’on l’appelle au mégaphone ?
D : Mais avant il y a eu des demandes de rendez vous...
OM : C’est un jeu, c’est une technique, vous faites de la politique...
D : Bien si c’est ça de la politique, très bien.
(…)
“Mais il n’y a pas de dialogue à avoir !“
OM : Vous faites de la politique.
D : Mais non, nous sommes des habitants, Monsieur. Et peu importe : c’est mauvais la politique ?
OM : Vous faites de la politique (…) Je juge les actes, vous avez un mode opératoire qui est un mode, en tous cas celui que nous avons constaté hier, qui est un mode activiste
D : Mais il n’y a que comme ça que vous nous écoutez, qu’on peut parler avec vous !
OM : Il ne peut pas y avoir de terrain d’entente par rapport à vos demandes. Vous êtes en opposition face à une politique du gouvernement, nous, nous menons, nous faisons en sorte que cette politique soit menée sur les territoires.
(...)
OM : [Lorsque vous avez] appelé la préfète en disant on veut discuter, la préfète vous a clairement dit qu'il n’y a pas de discussion possible.
D : Non, non, non, non, non, elle nous a dit il y aura rendez vous, le dialogue est ouvert. Le dialogue est ouvert, cela veut dire quoi le dialogue est ouvert ? (...)
OM : Mais il n’y a pas de dialogue à avoir ! Si c’est pour organiser des réunions où on parle des heures à tourner en rond, où vous nous parlez d’humanisme, nous dire qu’effectivement vous êtes touchés par la situation individuelle de tel ou de tel, je vais vous dire : on a une pratique, on a une politique à mettre en place. Nos positionnements sont irréconciliables.
(...)
OM : Notre conversation, depuis toute à l’heure, n’est que la démonstration qu’il ne sert à rien de nous retrouver autour d’une table, nous ne serons jamais d’accord (…) Vous faites, on fera. C’est tout.
D : Non, non, vous dites : la préfecture de la Creuse a décidé d’appliquer avec le maximum de rigueur toutes les lois sur l’immigration.
OM : C’est notre travail Monsieur,
D : Non, vous devez appliquer la loi et quand la loi laisse des marges de manœuvre, en l’occurrence, vous, vous avez décidé de ne pas les prendre. Vous affichez que vous faites un choix dans le mode d’application de la loi.
OM : Monsieur, l’État bien souvent agit en effet miroir, c'est-à-dire que quand en face il y a de la radicalisation l’État se durcit un petit peu.
(…)
D : Votre satisfaction du devoir accompli c’est de renvoyer des jeunes mourir au Soudan !
OM : Nous on cherche les intentions derrière...
D : Vous voulez dire quoi ?
OM : Vous faites de la politique avec une stratégie, avec des moyens.
Gilets jaunes et gilets pare-balles
Dans le but de manifester contre le projet de fermeture de la ligne SNCF Limoges-Ussel, environ 80 personnes, familles et enfants, ont embarqué dans le train de 11h33 le samedi 8 décembre 2018 à Eymoutiers pendant que presque autant de personnes les rejoignaient par la route ou depuis Limoges. Surprise à l'arrivée : une grosse trentaine de policiers casqués, armés, cagoulés et harnachés de gilets pare-balles, ont bloqué la descente du train pour sortir un à un les 80 à 100 voyageurs qui ont subi une fouille au corps avant d'être autorisés à partir. 4 personnes qui avaient un opinel au fond de leur sac ou d'une poche ont été interpellées et menottées avant d'être finalement libérées. Les policiers disposaient d'un trombinoscope sur lequel plusieurs habitants du Plateau étaient fichés. Une illustration de la paranoïa policière vis-à-vis du Plateau et de ses habitants qui relève du même imaginaire de guerre civile et de guérilla politique que celui dont témoigne l'entretien avec Olivier Maurel. Un exemple supplémentaire de l'inquiétant référentiel qu'ont les pouvoirs publics d'un territoire qui a le tort d'être, à leurs yeux, un peu trop agité...
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ThèmeLettre ouverte à la préfète de la Creuse
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CRS | gilets jaunes | dialogue | préfecture | Guéret | gare | expulsion | demandeurs d'asile | Limoges
IPNS - 23340 Faux-la-Montagne - ISSN 2110-5758 -
©2011 le journal IPNS - Journal d'information et de débat du plateau de Millevaches - Publication papier trimestrielle.
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