D’où vous est venue l’idée de réaliser cette étude : les STOC EPS ?
Il s’agit d’une étude qui est réalisée par plusieurs pays européens. En France, elle est animée et coordonnée par le Muséum National d’Histoire Naturelle qui nous a sollicités pour que nous soyons un relais à l’échelle du Limousin.
En quoi consiste cette étude ?
Il s’agit de mesurer l’évolution des espèces dites communes, c’est à dire celles que l’on observe le plus couramment.
Le principe est de réaliser sur dix points répartis dans un carré de 4 km2 un recensement exhaustif des espèces d’oiseaux présents, pendant 5 minutes sur chaque point. Leur recensement se fait en grande partie par l’écoute et donc au printemps (période où les oiseaux chantent le plus). Chaque volontaire qui souhaite participer au STOC EPS se voit attribuer au hasard, un carré sur lequel il doit réaliser deux passages par printemps, c’est à dire deux fois cinquante minutes d’observation et d’écoute.
Quelle est l’intérêt de cette étude ?
D’habitude, seules les espèces “patrimoniales“ comme les rapaces ou d’autres oiseaux assez rares, retiennent l’attention. Et les espèces “communes“ (Merle, Rouge gorge...) sont négligées. Pourtant, il faut bien comprendre que les espèces communes du siècle dernier ne sont plus celles d’aujourd’hui.
Par exemple, la Rousserolle effarvate qui était commune il y a un siècle sur les étangs est devenue rare en Limousin. A contrario, des espèces peu présentes à la fin du 19éme siècle comme le Serin cini ou le Choucas des tours, sont aujourd’hui très présents. Vous en avez un exemple à Eymoutiers avec la colonie de Choucas que l’on peut entendre et apercevoir en vol autour du clocher. Les merles qui sont très familiers de nos jours et se montrent très à l’aise dans nos jardins, se cantonnaient dans les bois il y a un siècle et semblaient particulièrement farouches.
Dans le cas du merle, l’introduction des cotoneasters et pyracanthas, couverts de baies en hiver a sûrement joué un rôle crucial.
L’évolution de la nature ordinaire rend donc elle aussi compte des évolutions du milieu. Et sans doute est-elle un très bon moyen de mesurer l’impact des activités humaines sur l’environnement.
Il faut savoir que parmi les 40 indicateurs utilisés par l’Institut Français de l’Environnement pour mesurer la qualité de l’environnement (qualité de l’air, de l’eau, du sol...), seuls les STOC EPS sont retenus pour mesurer la biodiversité.
Quels sont les premiers résultats obtenus ?
C’est un outil qui commence juste (six ans), donc plus le temps passera, plus nous aurons de données et plus les résultats seront pertinents. Mais les premières tendances en Limousin sont en phase avec les tendances nationales et surtout avec celles des pays européens qui, pour certains, ont déjà 20 ans de recul sur la pratique des échantillonnages d’oiseaux communs.
Globalement, nous observons un recul des espèces granivores (Chardonneret élégant, Verdier d’Europe...) et des oiseaux forestiers comme les Mésanges noire et huppée, les Roitelets à triple bandeau et huppé. Parmi celles qui voient leur effectif croître, nous avons les espèces généralistes (Pinson des arbres ...) et urbaines (Rouge queue noire ...). Une espèce d’oiseau est dite généraliste lorsque nous l’observons communément dans tout type de milieu. Et lorsque nous parlons d’espèces urbaines, il s’agit d’oiseaux surtout présents dans les villes et les villages.
Une des tendances intéressantes qui se dégage mais pour laquelle nous n’avons pas encore assez de recul, est l’augmentation des espèces des régions chaudes et le recul des espèces des régions froides. De là à faire un parallèle avec le réchauffement climatique, il est trop tôt pour le dire. Le Muséum National d’Histoire Naturelle le valide cependant de manière très forte au niveau national.
J’invite les personnes intéressées par l’étude que nous menons à se connecter sur notre site internet où elles pourront télécharger la plaquette réalisée en partenariat avec le région Limousin et qui présente l’ensemble des résultats obtenus à ce jour (https://www.limousin-lpo.fr)
Est-ce qu’un territoire boisé comme le Plateau de Millevaches est concerné par la baisse des effectifs d’oiseaux forestiers ?
Nous n’avons pas d’analyse suffisamment fine pour le dire, ni même assez de carrés STOC EPS sur le Plateau de Millevaches pour dégager des tendances à cette échelle. Pour l’heure, les STOC EPS ont pour objectif d’alimenter un observatoire régional des oiseaux communs qui doit donner des tendances à l’échelle de la région et alimenter une étude nationale.
Pour ce qui est de la baisse des effectifs des oiseaux forestiers, nous avons informé l’ensemble des structures liées à la forêt (ONF, DRAF, CRPF, CREN, Région, DIREN et LNE) pour leur faire part de nos résultats mais aussi de notre inquiétude sur la disparition programmée des dernières hêtraies sur le plateau de Millevaches. En effet, même si elles n’ont pas de grande valeur économique, elles ont une forte valeur écologique. Elles contribuent aussi à l’identité du plateau, Ne plante-t-on pas des hêtres le long des routes, en vitrine ? Au-delà de la zone de visibilité immédiate on ne leur réserve pas les mêmes égards, mais je sors là du strict cadre ornithologique. Actuellement les dernières hêtraies continuent à être rasées pour laisser la place à de jeunes plantations de douglas plus rentables, pour le moment. Cette disparition des vieux peuplements de hêtre est préoccupante car ce sont des espaces qui jouent un rôle important dans la sauvegarde des espèces “patrimoniales“. Par exemple, en milieu forestier, plus de 50% des nids de rapaces suivis par l’association “le Pic noir” se trouvent dans des hêtres. De même, la présence de la Chouette de Tengmaln qui est une petite chouette forestière et montagnarde assez rare en France, semble liée à la présence de vieux hêtres car elle utilise les anciennes loges de Pic noir qui les creusent dans cette essence.
Face à ce constat, avez-vous des propositions ?
Le plateau de Millevaches a aujourd’hui un véritable patrimoine forestier. Il est nécessaire de concevoir sa gestion sur du moyen et long terme en s’inspirant des modes de gestions forestières pratiqués dans le Nord-Est de la France, comme dans les Vosges. Pour préserver la richesse environnementale, il faut éviter les modifications trop brusques du milieu donc éviter les coupes à blanc, ne plus concevoir la gestion de la forêt comme celle d’un champ de maïs.
Pour nous, la solution passe par :
Vous pensez que vos propositions pourront s’appliquer face aux enjeux économiques de la forêt ?
La DIREN et la région Limousin se sont montrées sensibles à nos propos. Après, bien sûr, notre parole ne pèse rien face aux enjeux économiques. Mais une gestion durable de la forêt n’est pas plus onéreuse que celle pratiquée actuellement. Après une coupe à blanc, il faut désoucher, replanter, nettoyer la parcelle pour que les ronces, sureaux et genêts ne recouvrent pas les jeunes plants. On ne touche d’ailleurs pas les subventions après les plantations si on n’opère pas de la sorte.
Si davantage de propriétaires pouvaient suivre l’exemple de ceux qui inspirent nos propositions, le plateau de Millevaches pourrait intégrer pleinement la noblesse de sa vocation et de son identité forestière.
Propos recueillis par Frédéric Thomas