Décembre 2006 fermeture de l’abattoir de Guéret. Il était le dernier en Creuse. Début 2007 c’est au tour des abattoirs d’Eymoutiers en Haute Vienne et Giat dans le Puy-de-dôme. Il n’en reste plus que neuf en Limousin, quatre en Haute-Vienne et cinq en Corrèze. Quelques bouchers et les éleveurs qui valorisent leur production de viande en vente directe sur le Plateau de Millevaches et en Creuse n’ont plus d’abattoir de proximité. Devant cette situation une vingtaine d’éleveurs soucieux de préserver leur outil de travail ont constitué une association : Collectif Abattre et Valoriser la Viande en Limousin. Ils ont sollicité l’A.R.D.E.A.R. (association régionale pour le développement de l’emploi agricole et rural) pour mener un diagnostic sur la situation en France et en Limousin et leur proposer des éléments de réponses.
Concentration et privatisation
Le secteur d’abattage en France est en constante évolution et caractérisé par la concentration, la spécialisation de l’activité par catégorie d’espèce animale : bovine, ovine, porcine et volailles, et la privatisation. Les abattoirs de proximité non spécialisés ferment les uns après les autres. En 1990 le tonnage moyen annuel par abattoir était de 6 800 tonnes il est à plus de 12 000 tonnes/an aujourd’hui. Il y a désormais plus d’abattoirs privés que de publics. En 1994 les abattoirs publics réalisaient 35 % du tonnage total, ils atteignent 13 % en 2006. Le secteur privé n’a d’autre ambition que sa rentabilité économique et la réduction de ses coûts de production.
La restructuration du secteur d’abattage est liée à l’évolution et au durcissement des réglementations sanitaires. En 1965 la loi de modernisation du marché de la viande a créé le service d’Etat d’hygiène alimentaire dans «l’intérêt de la protection de la santé publique». La mise aux normes sanitaires entraîne des investissements importants. Dans les années 1970-1990 l’obligation d’agrément aux normes communautaires conduit à la fermeture de trois abattoirs sur cinq. Il s’agit surtout d’établissements modestes et souvent publics.
Nul doute que la concentration du secteur d’abattage est en lien direct avec la concentration, l’intensification et la spécialisation de l’élevage à l’échelle régionale comme par exemple pour la Bretagne qui à elle seule produit deux tiers du cheptel porcin, avec l’impact désastreux sur la qualité de l’environnement.
Les abattoirs de proximité, un service public
La disparition des abattoirs de proximité, le plus souvent gérés en partenariat avec les collectivités territoriales porte atteinte aux acteurs du territoire. Aux éleveurs en premier lieu lorsqu’ils développent des filières courtes pour la valorisation de leur production et le maintien de structures d’exploitations à l’échelle humaine. Aux artisans bouchers qui abattent leur marchandise en lien avec une clientèle d’éleveurs pour ne pas être à la merci des grossistes. Aux consommateurs habitants du territoires qui sont assurés d’un produit de qualité à un plus juste prix et dont ils peuvent mesurer la traçabilité tant du côté du bien-être de l’animal que pour leur garantie sanitaire.
La disparition de ce service de proximité a aussi de graves répercussions sur notre sécurité sanitaire. Un rapport de la Commission économique du Sénat en 2002 a montré combien l’allongement des trajets entre les exploitations et les abattoirs avait de graves répercussions sur les animaux qui perdent du poids et de la qualité par le stress des conditions de transport. Il souligne en outre que l’épidémie de fièvre aphteuse avec la limitation des mouvements d’animaux a montré la nécessité d’établir un réseau d’abattoirs plus conséquent. La rapidité avec laquelle s’est propagée l’épidémie de fièvre aphteuse au Royaume-Uni a montré que le transport des animaux vivants multipliaient les risques de transmission d’épizooties. Plus récemment encore un avis de la Commission de l’agriculture et du développement rural de 2003 a signalé que les règles d’hygiène n’ont pas pu nous protéger de la crise de la vache folle et de la fièvre aphteuse. Et de conclure que pour éviter les épizooties des petites structures, voire des abattoirs mobiles, répondaient mieux aux règles d’hygiène.
L’agriculture limousine est caractérisée par la production de viande bovine et ovine. Les éleveurs privilégient de plus en plus les conditions naturelles de production, la qualité et la traçabilité des produits. Entre 2000 et 2005 la part des exploitations engagées dans un Signe Officiel de Qualité (Label et autres) est passée de 40 à 48 % toutes productions confondues. La filière ovine du Limousin représente le quart des agneaux français vendus sous signe officiel de qualité. Outre le marché, forme traditionnelle du rapport entre producteurs et consommateurs, de nombreuses formes de circuits courts se sont développées depuis quelques années dans les zones périurbaines et même plus éloignées. Elles ouvrent à de nouveaux échanges entre milieu rural et milieu urbain.
Les propositions des éleveurs limousins engagés dans le Collectif Abattre et Valoriser la Viande en Limousin.
La perte des abattoirs de Guéret et Eymoutiers pénalise entre autres les éleveurs locaux écoulant toute ou partie de leur production en vente directe. Ils sont alors obligés d’amener leurs animaux dans des abattoirs plus éloignés ce qui a des conséquences négatives sur l’activité : l’augmentation des coûts de transport et du temps passé sur les routes et par conséquent une perte de valeur ajoutée.
Ensuite les éleveurs amenant un nombre restreint d’animaux ont parfois eu la mauvaise surprise de ne pas récupérer leur carcasse. Dans de grands abattoirs il est plus difficile de surveiller les mouvements de carcasse. Il arrive qu’elles disparaissent.
Ensuite, une des bases de la vente directe est la confiance qui s’instaure entre l’éleveur et le consommateur. L’éleveur s’engage à lui vendre des produits de sa ferme. Il n’est donc pas acceptable pour les éleveurs de ne pas récupérer les abats de leurs animaux. Or sur de grande chaînes d’abattage il est impossible d’assurer la traçabilité des abats. De plus les grandes chaînes d’abattage ne permettent pas de récupérer les sous produits très bien valorisés en vente directe tels que le sang, la crépine ou encore les testicules d’agneaux...
A terme la fermeture de l’abattoir peut aboutir à l’arrêt de la vente directe par certains éleveurs, ainsi que la disparition d’ateliers comme les veaux de lait qui sont des animaux fragiles ne supportant pas les transports trop longs. Tout ceci aboutissant à la perte de valeur ajoutée pour les producteurs anciens utilisateurs de ces abattoirs et l’impossibilité pour les consommateurs d’avoir accès à des produits locaux de qualité.
A la suite d’une enquête auprès de trente quatre éleveurs, les demandes suivantes ont été définies :
- Obtenir un abattoir de proximité multi-espèces et de petite capacité (environ 300 tonnes équivalent carcasse). Des projets d’abattoir mobile existent déjà au Canada et en Autriche. Un groupe de paysans et d’élus ira début 2008 en Autriche voir cet outil.
- Besoin d’ateliers de découpe et de transformation sur le territoire. Une formation débute en décembre 2007 pour toute personne intéressée par la vente directe.
- Besoin d’outils de transport des animaux vivants et des carcasses.
- Valoriser les animaux accidentés plutôt que de les euthanasier.
- Eviter le stress des animaux par des transports trop longs.
- Valorisation des abats.
Le collectif avec l’appui de l’A.R.D.E.A.R, (en partenariat avec le PNR Millevaches) des organismes agricoles et des collectivités locales, souhaite continuer l’étude sur tout le territoire pour recenser les besoins et les attentes de tous les producteurs et acteurs de la filière afin de proposer des solutions pour la création d’un outil de proximité pour l’abattage, la découpe et la transformation. Réponses dans quelques mois.
A.R.D.E.A.R., Maison de l’agriculture, avenue du Général Leclerc, Limoges,
Collectif Abattre et Valoriser la Viande en Limousin, Mairie, 23500 Saint-Christophe