Retour en arrière. En 2005, le poète dramaturge Armand Gatti revient sur le plateau. Il y était né une seconde fois à l'âge de 17 ans, lorsqu'en 1942 il y avait rejoint les maquis à Tarnac (Voir IPNS n° 14). 63 années plus tard, c'est là qu'il veut revenir, travailler, échanger, créer, observer les étoiles et résister au triste cours du moment. Il fait quelques lectures, dont celle de son poème hommage à Guingouin, un an plus tard, en septembre 2006, à la Berbeyrolle, où il fut maquisard (Voir IPNS n° 15). De nouvelles rencontres en découlent. Gatti revient régulièrement jusqu'en ce jour de printemps 2007 où, à Peyrelevade, il découvre le domaine de La Cour. Avec Hélène Chatelain, avec ses compagnons de route d'ici et d'ailleurs, le projet de faire de La Cour un "refuge des résistances" s'impose bien vite comme une évidence. Le vieux projet du poète de créer un observatoire des étoiles y trouve naturellement sa place. L'endroit, habité, reconquis par la vie, pourrait accueillir les résidences de création de Gatti qui rassemblent chaque année plusieurs dizaines de jeunes venus des quatre coins de l'Europe. L'idée d'une "Université européenne de création" s'impose. Des liens et des contacts avec des acteurs locaux laissent deviner de fructueuses et possibles complicités : on peut travailler la terre, entretenir les milieux sensibles qui font la richesse environnementale du domaine, y accueillir des visiteurs, y établir des bibliothèques, etc.
Un site exceptionnel
C'est un petit paradis en son genre. Au dessus du lac Chammet, dans un site magnifique, le domaine de La Cour, d'une surface de plus de 100 hectares, regroupe une grande maison de pierre et tout un ensemble architectural : grange, chapelle, four à pain et vestiges d'une tour médiévale du XIIème siècle. En juin 2005, un rapport du CAUE (Conseil en architecture, urbanisme et environnement) de la Corrèze est réalisé à la demande du maire de Peyrelevade, Pierre Coutaud. L'intérêt patrimonial du domaine est souligné, tant pour la qualité du bâti que pour la richesse exceptionnelle de ses écosystèmes naturels. Ce dernier aspect fait à la même époque l'objet d'une étude écologique menée par le Conservatoire régional des Espaces naturels en Limousin qui souligne la présence de landes sèches, de pelouses sèches à Nard, de tourbières et de hêtraies à houx. La Cour offre donc "un agencement des habitats naturels typiques du plateau de Millevaches", dont certains, comme les pelouses sèches à Nard, "représentent des milieux devenus extrêmement rares sur le plateau". Il ressort de ces deux études que le domaine de La Cour présente une configuration unique en son genre, où intérêts écologique, paysager et pédagogique se conjuguent pour en faire un véritable condensé naturel et patrimonial du Millevaches.
Une maison du Parc idéale
La municipalité de Peyrelevade apprenant que le domaine risquait d'être mis en vente prend les devants. Souhaitant que l'ensemble du domaine garde sa cohérence foncière et son statut de lieu "ouvert" plutôt qu'il ne devienne un lieu clôturé ou qu'il ne soit démantelé, la commune avertit il y a deux ans le parc naturel régional, suggérant que soit étudiée la possibilité d'installer à La Cour la maison du Parc.
Mais le parc ne réagit pas. Ni aux courriers du maire, ni aux rapports du CAUE et du Conservatoire qui lui sont envoyés. Personne ne vient visiter le site. Les mois passent, et... le propriétaire décide de mettre en vente le domaine. Mise à prix : 1 million d'euros (finalement descendu à 800 000 euros). Les premiers candidats à l'achat sont des promoteurs de chasses privées ou des opérateurs touristiques qui voudraient y implanter des gîtes pour les vacanciers. Les craintes de la municipalité se trouvent confirmées au moment même où La Cour fédère diverses initiatives qui pourraient transformer l'endroit en un lieu unique où se conjugueraient, dans l'esprit de résistance du plateau, création, invention, réflexion et action. Une université, un refuge, un théâtre, un carrefour... Les mots ont du mal à résumer le projet protéiforme qui pourrait s'incarner à La Cour. Mais les tergiversations du Parc et l'absence de moyens immédiatement mobilisables de la part de la municipalité ne permettront pas de faire de ce domaine exceptionnel ce qu'il aurait pu être : il vient d'être acheté par un privé décidé à y développer une activité d'élevage équin et d'accueil touristique.
Une occasion perdue mais un projet toujours vivant
Hélène Chatelain qui porte avec Gatti le projet de Refuge, explique : "Ce lieu préservé, à l’écart des tumultes, pouvait devenir à l’échelle européenne un foyer de création, de partage et d’échanges de pensée, fondamental parce que enraciné. Enraciné dans une terre, une communauté d’esprit, une réflexion sur les apprentissages et les savoirs. Sur un processus de création et de partage et une volonté d’ouverture sur d’autres questions, sur d’autres langues, sur d’autres langages. Une Université ? Un pôle ? Un phare ? Un centre ? Un catalyseur ? (Les mots sont si rapidement colonisés par la voracité langagière actuelle, qu’il faut les manier avec précaution de peur qu’ils ne se dessèchent ou se muent en leur contraire…).
Ce qui est clair, c'est que le futur du domaine était un choix. Profond, radical. Ou il était cédé à des entreprises de rapport fondées sur le tourisme (et chacun sait aujourd’hui qu’elles peuvent devenir l’équivalent moderne des détrousseurs de voyageurs – comptant sur ceux qui passent et non sur ceux qui restent). Ou s'y incarnait la volonté puissante, concrète de renverser la fatalité historique de cette terre. Depuis la nuit des temps, les hommes partent du plateau. Aujourd’hui, ils veulent rester. Non au prix d’un enrichissement fallacieux, mais à celui de la dignité et du respect d’eux-mêmes et de cette terre, autonome, responsable. Des gîtes pour accueillir les passants, des granges où l’on pourra louer des carrioles à la semaine - il y en aura et c’est tant mieux - car la beauté du plateau le mérite.
Le Limousin a été naguère le centre d’un monde.
Le Plateau des mille sources fut le centre d’une résistance.
La Cour pouvait devenir le centre d’une réflexion - multiple - sur le monde qui s’annonce, face à la destruction programmée des langues, des langages et des espèces.
Il y avait là aussi une fatalité á refuser. Et une opportunité - rare - à saisir.
L'occasion perdue ne détruit cependant pas les envies qui s'étaient exprimées. D'autres lieux sur le Plateau, sur la commune même de Peyrelevade, pourraient accueillir le projet de Refuge des résistances ou quelque chose qui n'a pas encore de nom, quelque chose qui n'a pas encore de "programmes" ou de "cahiers des charges", mais qui émane du désir et des rêves de quelques-uns. Quelque chose qui n'a pas encore d'identité, mais déjà une âme.
Autour d'Armand Gatti, de Pierre Coutaud, de leurs amis limousins du plateau, de Limoges (Cercle Gramsci) ou de Tulle (Peuple et Culture), le projet émerge, se construit, se fédère. Il n'est ni limité, ni arrêté. Encore en devenir. Ses promoteurs veulent le partager, l'élargir et appellent tous ceux qui se sentent concernés ou attirés par cette expérience à venir les rejoindre. Déjà des actes concrets sont posés. Un autre lieu est recherché. Une résidence de création au cours de l'été 2008 est prévue sur le Plateau autour de Gatti et de personnes venues de toute l'Europe – résidence à laquelle sont également conviés les gens du Plateau ou du Limousin qui voudraient s'associer à une telle expérience. Un blog existe sur Internet qui donne toutes les informations actuellement disponibles sur le projet de Refuge. Une association sera peut-être créée prochainement. Une réunion enfin est programmée pour présenter le projet en ses limbes et l'accompagner avec tous ceux qui sont motivés par cette idée urgente et nécessaire : il faut résister.
Michel Lulek