Avec les gouvernements successifs de Nicolas Sarkozy et de François Hollande, les réformes territoriales promulguées selon la logique autoritaire, productiviste et de compétitivité de l’Europe néolibérale ont abouti à un cadre institutionnel du pays où les déséquilibres territoriaux se sont renforcés ; à une baisse drastique des dotations de l’État aux collectivités ; à un recul notoire des services publics ; à la mise en place de régions et d’intercommunalités XXL qui éloignent les populations des lieux de décision. L’idée même d’un aménagement du territoire national s’est évaporée.
Mais le projet de loi macronien sur le droit à la différenciation territoriale présenté en conseil des ministres en juillet 2020 se caractérise par une mise en cause grave et délibérée de l’universalisme républicain et constitue un nouveau palier dans l’émiettement territorial. Sous les prétextes fallacieux « de mieux adapter les politiques publiques aux réalités des territoires » (Jacqueline Gourault, ministre des relations avec les collectivités), « de libérer la créativité et l’énergie du terrain » (Macron) ou de « se rapprocher des territoires pour une prise de décision plus rapide », on casse en réalité l’égalité républicaine, la norme se modulant selon la collectivité. De quoi s’agit-il ? En 2003, la révision constitutionnelle a donné la possibilité aux collectivités territoriales de recourir temporairement à une expérimentation et si elle s’avérait bonne de la généraliser. Dans le cas contraire, elle était abandonnée. Avec le droit à la différenciation, le constitutionnaliste Benjamin Morel nous dit que « l’expérimentation pourra être perpétuée mais sur certains territoires seulement. À cela s’ajoute à terme la différenciation des compétences. Sur le RSA par exemple, certains départements pourront le centraliser, le transférer aux régions alors que d’autres ne le feront pas ».
Cette modification de la norme aux quatre coins du pays va creuser plus fortement encore les inégalités entre les citoyens et les territoires. C’est une rupture sans précédent dans l’égalité républicaine, une atteinte à la cohésion du pays avec une mise en concurrence aggravée des territoires. Une France à plusieurs vitesses. Une rupture qui permet aussi aux Régions « de se comporter comme des États dans l’État » (André Chasseigne). Ce droit à la différenciation, base d’un vaste projet de « décentralisation » appelé 3D (décentralisation, déconcentration, différenciation) dont l’objectif inavoué est de réduire l’aire de souveraineté de l’État, est un objectif en adéquation avec l’Europe des régions à rebours d’une République une et indivisible. C’est-à-dire le contraire absolu de la possibilité d’un aménagement planifié des territoires tenant compte à la fois de leur diversité mais aussi de leur égalité.
Ainsi, après avoir mis en place les grandes régions, comparables aux Landers allemands, dotées de compétences accrues, après avoir crée des agences régionales dans nombre de secteurs (par exemple la santé), la réforme du gouvernement Macron parachève le processus qui conduit à privilégier le niveau supranational européen au détriment des prérogatives de l’État national. Des prérogatives qui représentent encore à mes yeux, notamment en France, des entraves politiques et juridiques à une domination accrue des puissances économiques sur les territoires. Cette réforme est un vrai danger pour l’unité de la République car la différenciation est synonyme d’inégalité, de concurrence, d’une possible affirmation de revendications identitaires encouragées par de possibles baronnies locales. Au bout du compte, un renforcement inouï du néolibéralisme sur le pays. Ce projet de réforme adopté en conseil des ministres en catimini en plein été1 doit être dénoncé et combattu. La mobilisation organisée. Les élus ont un rôle particulier à jouer dans cette bataille.