Régis est un engrangeur. Ne cherchez ni le mot ni le métier sur Wikipédia, il n’existe pas ou pas encore. Régis a peut-être 80 ans, ou plus. Il a été paysan. Sélectionneur de vaches aussi. Il est de Meilhards, en Corrèze.
Les vaches, il les a toujours aimées. Des vaches grand format, mais aussi format de poche comme celle en fer qui lui sauva la vie lors de la Guerre d’Algérie parce que la balle tirée s’est fracassée sur le jouet au lieu de lui perforer le poumon ou le cœur ! Petite vache qu’il traînait partout avec lui depuis l’enfance jusqu’à l’âge adulte, comme un gri-gri.
Régis est un collectionneur compulsif, maladif, il le dit lui-même, de tout ce qu’il peut trouver autour de lui dans le monde paysan, surtout des outils mais aussi des jouets. Au fil de la caméra, on s’attarde doucement sur cette caverne d’Ali-bric-à-brac. Cette soif de tout garder, de tout stocker, a envahi la grange, la maison, de la cave au grenier. Des boîtes, des étagères débordantes... Plusieurs centaines de serpes, mais pas une pareille. Et Régis cherche encore l’originale, celle que le forgeron aura frappée spécifiquement pour couper l’herbe verte. Car le forgeron, ce maître artisan qui joue avec le feu, indépendant, souvent anarchiste ou anticlérical, qui vous donne le soir les 22 clous que vous lui aviez demandés le matin, quand aujourd’hui, habitant de Meilhards, vous iriez à Chamberet ou à Tulle acheter 5 kg de pointes, ce forgeron donc, est un monsieur important, celui qui rythme, avec son marteau, la vie paysanne.
Dans son univers particulier, on croise régulièrement trois autres personnages. Son fils, Thierry, qui est devenu marchand d’objets, avec qui il entretient depuis des années une forte complicité. Le père « braconnier » d’objets, le fils chasseur de gros gibier. Mais Thierry se définit d’abord comme un marchand, alors que son père est un collectionneur. Le marchand fait circuler les objets, les répare, leur donne une deuxième vie, alors que le collectionneur entretient, mais surtout conserve. Merveilleuse séquence que celle où père et fils, dans une école ou une salle avec du public, exhument quantité d’objets étranges, un tout petit fusil pour tuer la taupe dans le tunnel, une pince à anguille, un trancheur de croûte de pain vieux, ou encore une pince à tuer les poules...
Le deuxième personnage, c’est le petit-fils, Geoffrey, jeune paysan passionné d’engins agricoles mais surtout de modèles réduits. Le virus se transmet. Geoffrey ne jette rien : tout se conserve et peut servir un jour. Car un paysan, ce n’est pas très riche, ça doit savoir tout faire, se débrouiller avec n’importe quoi. Alors, on ne jette rien.
Le troisième personnage, c’est le filleul, Stephen, qui se revendique d’abord comme agriculteur, avec son petit troupeau de vaches limousines et d’Aubrac et ses moutons. Un homme heureux qui considère que son vrai métier c’est de nourrir les gens et pas n’importe comment. Stephen dit à Régis qu’il lui est redevable d’avoir appris à regarder, observer et réfléchir.
N’oublions pas les deux amis de Régis qui, au fil du film, avec notre engrangeur comme directeur artistique, réalisent une installation d’art contemporain dans le jardin avec des serpes et des pics plantés dans la terre ou suspendus à des ficelles. Un clin d’œil à l’étonnante réalisation intergénérationnelle (les arrière-petits-enfants étant associés) d’une grande maquette naturaliste montée sur un plateau de remorque agricole où les jouets, figurines animales et humaines, charrettes, tracteurs et laboureurs en modèles réduits sont mis en scène avec terre et brins d’herbe, pour les labours et les récoltes. Ne manque que le petit train électrique ! Et un petit regret peut-être : c’est un film aux personnages presque exclusivement masculins.
Régis conserve tellement, qu’au crépuscule de sa vie, quand il revisite régulièrement son petit paradis d’objets, il s’émerveille de redécouvrir toutes ces choses qu’il avait complètement oubliées. « C’est sans fin » dit-il avec les yeux qui brillent. Une caméra qui chine, certes, mais en filigrane une agriculture paysanne traditionnelle, une histoire des choses passées qui ne manque pas d’interroger en creux notre monde rural contemporain. Stephen, quant à lui, revendique clairement une autre façon d’envisager l’élevage, la gestion du territoire, et tranquillement de dire qu’il est préférable d’avoir plus de voisins que plus d’hectares... Derrière le portrait posé et attachant d’un homme original, Régis l’engrangeur, sourd donc en arrière plan un regard sur notre monde rural.
Olivier Davigo