industrie

  • Appel pour des forêts vivantes

    stop aux coupes rasesUne quinzaine de structures nationales ou régionales ont lancé début août un appel « pour des forêts vivantes ». Parmi les initiateurs de cette démarche le Syndicat de la Montagne limousine. Nous reproduisons ici ce texte qui annonce un certain nombre de manifestations à venir tout au long de l’année.

     

    Les forêts sont riches, diverses, complexes, bref : vivantes. Mais l’industrie aimerait les transformer en monocultures d’arbres bien alignés, faciles à récolter, maîtrisés. Le gouvernement ne s’y oppose pas, il assume : « une forêt, ça se cultive, ça s’exploite ». Pendant ce temps, loin des ministères, la résistance s’organise. Partout en France, des individus, des collectifs et des associations s’activent, inventent des alternatives et défendent les forêts. Le temps est venu d’unir ces forces, pour faire front commun contre l’industrialisation des forêts !

    Nos forêts sont devenues un champ de bataille en proie aux machines et à l’appétit insatiable des industriels. Partout, dans nos communes, départements et régions de France, nous voyons notre bien commun se faire malmener, les coupes rases et les monocultures se multiplier. C’est un fait palpable que nous éprouvons au quotidien, une violence que nous ressentons dans notre chair. Le productivisme gagne nos massifs forestiers et plie le vivant aux règles du marché. Des paysages séculaires sont dévastés parfois en quelques heures... Les arbres sont moissonnés comme du blé. Partout, les forêts sont vues comme un gisement inépuisable que l’industrie est appelée à exploiter et le bois comme un simple matériau à transformer. 

    Depuis cinq ans, l’action du gouvernement est déplorable. Alors que la Convention citoyenne pour le climat avait émis des propositions ambitieuses pour les forêts, l’Exécutif a tout fait pour s’y opposer, en amoindrir la portée et les vider de leur substance. Quant au plan de relance, il a capitulé devant les lobbies des planteurs d’arbres sans aucune contrepartie environnementale sérieuse. Tout au long du quinquennat, il n’a cessé de démanteler le service public. Plus de 1 000 emplois ont été supprimés à l’Office national des forêts depuis 2017, 475 emplois supplémentaires pourraient disparaître au cours des cinq prochaines années.

    Au sommet de l’État, tout est verrouillé. Les solutions ne viendront pas d’en haut. C’est une certitude. Seule une pression, à la base, sur le terrain, pourra les faire plier. Dans les couloirs feutrés des ministères, les industriels déploient leur stratégie à coup de bulldozers. Le ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie, s’en fait le porte-voix. Dans une lettre adressée à la Commission européenne, il s’est attristé de voir « les forêts réduites à des considérations environnementales en ne tenant pas compte des aspects socio-économiques ». À l’Assemblée nationale, il a affirmé qu’« une forêt, ça se cultive, ça s’exploite ». Le gouvernement veut accroître les prélèvements en forêt de 70 % d’ici 2050 et passer d’environ 60 millions de mètres cubes de bois récoltés par an à plus d’une centaine de million. Nous savons ce que cela implique : une exploitation toujours plus accrue de nos forêts et une intensification des coupes-rases.

    Nous ne voulons pas être les spectateurs passifs de la destruction en cours.

    Il n’y a aucune fatalité à la situation actuelle et il ne tient qu’à nous d’en inverser la tendance. Un grand mouvement populaire est en train de naître autour de la défense des arbres. Après avoir été dépossédé.e.s de tout un pan du territoire national, des habitant.e.s, des citoyen.ne.s, des associations, des forestier.e.s ont décidé de se le réapproprier. Nous refusons que les forêts subissent à leur tour la logique industrielle qui a ravagé et ravage encore l’agriculture, qui détruit des métiers et des savoir-faire reconnus et appauvrit la biodiversité. 

    Partout, localement, des résistances sont déjà à l’œuvre. Des alternatives éclosent, des alliances naissent. D’autres imaginaires s’inventent. Ici, on achète des forêts pour les gérer de manière soutenable ou les laisser en libre évolution. Là, on développe des circuits courts de la grume à la poutre. Là-bas, on s’oppose à un projet de méga-scierie. Des associations s’engagent pour faire bouger la loi, des forestiers parviennent à s’extraire de pratiques sylvicoles qu’ils savent nocives pour se tourner vers une sylviculture douce, des habitant.e.s créent des vigies citoyennes. Des syndicalistes de l’ONF se mettent aussi en grève. Nos luttes sont multiples. Nos actions s’enrichissent mutuellement. Elles font bruisser le monde que nous souhaitons voir advenir. Elles lui donnent corps. Mais ce n’est pas suffisant. Pour gagner, nous devons passer à un cran supérieur, tisser la toile d’un récit commun, constituer un front. Tout porte à croire que c’est maintenant ou jamais. Nos forêts sont à la croisée des chemins. Nous appelons à une année de mobilisation pour les forêts françaises. La question des forêts ne concerne pas seulement l’autre bout de la planète l’Amazonie, la Sibérie ou l’Ouest Canadien qui sont touchés par les grands feux ou la déforestation. Elle se joue ici sur nos territoires, en bas de chez nous. Ici aussi, les conséquences du réchauffement climatique se font sentir, les sécheresses représentent une menace devenue réalité, les forêts dépérissent et la vision extractiviste continue de se propager. Ici aussi, les indicateurs sont dans le rouge. L’horizon se couvre. Il y a urgence à agir. Nous appelons chaque collectif et association engagés dans les forêts à participer à une campagne nationale contre leur industrialisation. Celle-ci se déroulera au cours des trois prochaines saisons, en trois temps. C’est une première étape, le début d’une lente montée de sève !

     

    SAISON 1 : En automne, nous ferons éclater les couleurs chatoyantes de nos luttes !

    Le week-end du 16 et 17 octobre, nous invitons chaque association et collectif d’habitant.e.s à organiser une action localement sur son territoire. Pour que le plus grand monde puisse y participer à sa manière, avec son élan et son énergie, nous nous donnons un cadre d’action non-violent ce qui n’exclut pas les actions de désobéissance civile. Nous ferons résonner ces luttes au même moment sous un même cri de ralliement. Contre leur industrialisation et leurs grands projets inutiles, nous montrerons les forces de nos alternatives et défendrons le maintien d’un service public forestier digne de ce nom ! Nous appelons aussi à ce que cesse l’exploitation forcenée des travailleurs de la forêt, bûcherons, débardeurs et de tous les auto-entrepreneurs taillables et corvéables. Nous invitons chaque groupe et ou collectif à nous contacter et à se présenter pour que nous puissions en amont répertorier leur mobilisation sur une carte interactive en nous écrivant à l’adresse : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.. Nous pouvons déjà dire que dans le Morvan, des groupes locaux prévoient de planter une forêt diversifiée sur une ancienne coupe rase. Dans le Limousin, des habitant.e.s et des associations appellent à une marche. Tandis que dans les Pyrénées, le collectif Touche pas à ma forêt se mobilise contre le projet de méga scierie Florian. D’autres actions sont à prévoir.  

     

    stop aux coupes rases afficheSAISON 2 : En hiver, nous ferons fructifier nos imaginaires !

    L’hiver sera propice à la rencontre. Après une première action sur chacun de nos territoires le 16-17 octobre, nous nous retrouverons début décembre pour une grande assemblée des luttes et des alternatives forestières. Si nous voulons construire le mouvement dans la durée, tenir dans l’adversité, cela passe selon nous par une culture commune qui manque encore et que nous devons enrichir puis faire croître comme un maquis.

     

    SAISON 3 : Au printemps, nous lancerons une grande action d’envergure !

    Alors qu’au printemps, tout renaît, nous laisserons nos jeunes pousses se déployer. Nous prévoyons d’organiser tous ensemble une action de désobéissance civile dans un lieu précis pour marquer notre présence et montrer que nous ne sommes pas dupes des tentatives de greenwashing. L’action aura lieu une semaine avant la journée internationale des forêts, un événement devenu lisse et récupéré par les industriels. Avec ce coup d’éclat, nous avons bien l’intention de détourner les projecteurs. A l’étalage des bons sentiments, nous opposerons la vitalité de nos luttes et les espoirs qu’elles soulèvent.

     

    Contact : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
    En savoir plus : https://sosforetfrance.org/index.php/appel-pour-des-forets-vivantes

     

    Depuis la forêt limousine, en écho avec les autres régions forestières de France
    Marche pour des forêts vivantes pour le partage d’une culture forestière sur la Montagne limousine


    En réponse à l’appel pour des forêts vivantes, en terre de la Montagne limousine, nous invitons à une grande marche le samedi 16 octobre de Meymac à Millevaches, de l’école forestière au siège du Parc naturel de Millevaches. Cette marche a pour but de placer au cœur de l’espace public les enjeux environnementaux et sociaux de la forêt depuis l’expérience que nous, habitant-es du territoire, professionnel-les ou non, faisons de nos paysages naturels que nous souhaitons préserver vivants et diversifiés.

    En solidarité avec un grand nombre des acteurs du bois, dont les professions sont mises à mal par des exigences de rendement intenables et dont le rôle pour la protection des forêts disparaît à mesure que son industrialisation s’impose à l’ensemble de la chaîne de production, nous souhaitons provoquer avec cette marche une dynamique populaire de prise de conscience collective d’un contexte environnemental qui nous concerne tous. Ainsi nous appelons chacune et chacun qui se retrouve dans l’idée de se réapproprier les questions environnementales dont elles et ils ont été écartées, à dépasser leurs préjugés et à rejoindre cette marche pour des forêts vivantes. Sur la route, nous ferons deux haltes pour échanger nos points de vue et interroger nos certitudes. Lors de la première halte, au Mont Bessou, nous parlerons de ce qu’est une forêt authentiquement vivante parmi les milieux diversifiés de la Montagne limousine. Lors de la seconde, nous parlerons de la forêt française dans l’espace de la globalisation, de la filière bois et des biens communs.

    Notre histoire se poursuit et nous réserve des surprises. En 1977, aux Bordes, on marchait contre l’enrésinement du plateau et les horizons bouchés par les plantations. Quarante-cinq ans après, mal aimée, en libre évolution depuis la déprise agricole ou plantée, la forêt limousine est devenue une composante essentielle de nos milieux de vie. Le 16 octobre, nous marcherons contre les coupes qui transforment n’importe quel arbre de n’importe quel âge en matière brute pour l’industrie. Marcher pour la forêt en 2021, ce n’est qu’une autre façon de combattre la même logique folle qui entraînait à l’époque la brutale transformation des paysages au nom du productivisme.

    En participant à cette marche sur la Montagne limousine, rejoignez l’Appel pour des forêts vivantes pour faire face à la destruction galopante des régions forestières. Rendez-vous devant le lycée forestier de Meymac à 9h30, départ à 10h précises. Arrivée à Millevaches prévue à 17h00. Apportez de quoi vous restaurer. Une navette à Millevaches sera là pour raccompagner les participant-es à Meymac.
  • De la ville noire à la ville rouge

    1905 le printempsAvec 1905, le printemps rouge de Limoges, trois jeunes historiens limougeauds déroulent le fil conducteur des évènements qui ont donné à Limoges son "image internationale de ville rouge". Entre histoire et mémoire l'ouvrage est construit comme une tragédie dramatique.

    En premier acte Dominique Danthieux décrit les bouleversements de la transformation industrielle de la ville.

    Au cours de la seconde moitié du XIXème siècle la capitale limousine double sa population. Les 30 manufactures de porcelaine et les 19 usines de chaussure ont recomposé le paysage urbain. La rationalisation de la production industrielle introduit la déqualification de la main d'oeuvre, et le durcissement de l'autorité patronale. La réplique ouvrière s'organise en chambres syndicales où se diffusent les idées du socialisme. Elles s'incorporeront tout naturellement dans la CGT lorsqu'elle sera créée à Limoges en 1895. Au 1er janvier 1905 Limoges compte pas moins de 4 000 syndiqués.

    Dans l'acte 2 Philippe Grandcoing fait le récit des événements. Chez Haviland - le parangon de la réussite industrielle - des ouvriers se mettent en grève contre le pouvoir tyrannique et arbitraire d'un chef d'atelier. La solidarité ouvrière s'organise autour d'une souscription en faveur des victimes de tous les conflits d'autorité, alors nombreux dans les industries limougeaudes. Face à la mobilisation ouvrière le patronat s'organise et en appelle au lock out. Décrété le 13 avril, il met toute la ville en ébullition. Manifestations et défilés se succèdent autour des manufactures. De leur côté, socialistes révolutionnaires et anarchistes rameutent la vindicte populaire contre l'Armée et l'Eglise. Des barricades s'érigent pour faire obstacle aux charges de la cavalerie. L'émeute gronde. Des meneurs sont emprisonnés. Devant le refus de leur libération par le préfet les manifestants courent vers la prison. L'intervention massive et brutale de l'armée disperse la foule. La fusillade laisse un mort au jardin d'Orsay. Les funérailles de Camille Vardelle marqueront la fin du cycle de la porcelaine et de la combativité ouvrière à Limoges.

    Au dernier acte Vincent Brousse tempère cette affirmation. Il discerne quelques répliques sociales et surtout politiques des événements de 1905 dans l'histoire du socialisme au cours du premier tiers du vingtième siècle en Haute Vienne. Il évoque quelques conflits. Montrant combien ces événements ont façonné la culture politique locale. Elle se manifeste notamment à travers la figure emblématique de tel ou tel leader politique des cités industrielles de la vallée de la Vienne : Saint Junien, Saint Léonard de Noblat ou Eymoutiers. Les grèves insurrectionnelles et la mort de Camille Vardelle au printemps 1905 demeurent un marqueur indélébile dans la mémoire collective limougeaude. Aussi la fin annoncée des usines Haviland en ce printemps 2005 ravive la peur du déclin de l'activité porcelainière à Limoges.

    Sur le mode de la tragédie nos trois historiens dramaturges restituent la cohérence et la logique de ce scénario catastrophe. Avec les contributions des membres de l'Association Mémoire ouvrière en Limousin ils ont réalisé les 24 tableaux de la mise en scène de ce drame. Grâce au savoir faire de la remarquable collection (patrimoine en poche) ils en ont assuré tous les décors par une iconographie fascinante. Celle-ci de bien des manières témoigne de l'enracinement des événements dans la culture populaire. On retiendra les deux étonnantes séries de cartes postales “Les troubles et les grèves de Limoges”.

    Pour garder à cet ouvrage son caractère singulier, le prologue a été confié à un romancier dont l'ouvrage n'a pas été retenu dans la bibliographie. L'épilogue nous est contée en occitan, mais le lecteur demeure frustré de sa traduction.

     

    Alain Carof

    Vincent Brousse, Dominique Danthieux, Philippe Grancoing et les membres de l'association Mémoire ouvrière en Limousin. 1905 le printemps rouge de Limoges. Limoges, Culture et Patrimoine en Limousin, 2005. (19 €)
  • Deux critiques radicales du système techno-industriel

    Deux néo-creusois publient deux livres qui critiquent radicalement le système techno-industriel dans ses développements les plus actuels. Simon Charbonneau et Hervé Krief ont au moins deux choses en commun  d'abord, ils résident l'un et l'autre depuis peu en Creuse dont ils affectionnent la campagne. Ensuite, ils sont tous les deux très inquiets des développements actuels des techno-sciences (selon le vocabulaire de Serge Latouche) ou du système technicien (si on reprend la terminologie de Jacques Ellul).

     

    Dans RÉSISTER à la société qu'on veut nous imposer, aux éditions Libre et solidaire, Simon Charbonneau, professeur de droit de l'environnement rappelle ceci : “De jour en jour, nous intégrons de nouvelles catastrophes naturelles, politiques et humanitaires à notre quotidien. Alors que la démocratie libérale capitule face au bellicisme, à la xénophobie et au climato-scepticisme, nous nous en remettons aux algorithmes pour prédire un avenir qui s'annonce déjà peu radieux“. Son propos consiste, en partant d'une analyse implacable de notre monde dysfonctionnel, à esquisser un “plan de résistance auquel chacun pourra prendre part à son échelle“.

     

    Intelligence artificielleResister

     

    Dans Internet ou le retour à la bougie, aux éditions Quartz, Hervé Krief, professeur de musique et musicien de haut niveau, se préoccupe de l'évolution de nos sociétés vers une dépendance de plus en plus grande du développement technique. Dans son ouvrage, après avoir constaté le succès d'Internet et des smartphones – dont beaucoup ne peuvent plus se passer – il se demande si le bonheur de la connexion permanente est vraiment gratuit. Il part alors à la recherche de la réalité des infrastructures de l'Internet, et montre “à quels renoncements, à quels sacrifices, mène la numérisation de notre environnement social, et de nos vies“. Et il cherche “comment s'y retrouver si l'on souhaite agir pour que nos choix et nos engagements assurent un monde libre, juste, fraternel, qui préserve la vie sur terre“.

    Dans la même veine critique du système techno-industriel, ce courant de pensée dont les porte-drapeaux sont Jacques Ellul, Bernard Charbonneau, Ivan Illich, André Gorz, Serge Latouche… signalons également la sortie du livre d'Eric Sadin, L'intelligence artificielle ou l'enjeu du siècle, anatomie d'un anti-humanisme radical (Editions L'Echappée).

     

    Jean-François Pressicaud
  • Éoliennes : avis de tempête sur la Montagne limousine

    eolienne3Les centrales d’aérogénérateurs industriels1 s’accumulent sur les cartes limousines que les collectifs d’opposant·es actualisent au fur et à mesure que les projets sortent de l’ombre. D’un côté, cinq ans de politiques d’éloignement progressif entre les centres de décision et les habitant·es, et de réduction des espaces de concertation au niveau local ; d’un autre, des programmes de développement massif de production d’énergie d’origine éolienne. Il fallait s’y attendre, la tension monte dans les hameaux limousins entre habitant·es, élu·es et promoteurs de centrales. Tour des enjeux de la bataille qui s’annonce sur la Montagne.

     

    Un peu d’air ne ferait pas de mal 

    L’avalanche des projets de centrales d’aérogénérateurs industriels et l’opacité dans laquelle ils sont mis en œuvre a de quoi sidérer n’importe quel·le habitant·e de la Montagne limousine. Et ces dernier·ères n’ont pas fini de se mobiliser pour, déjà, juste avoir accès à ce qui se trame près de chez elles et eux, et tâcher de comprendre qui décide de ces implantations. Y a-t-il un plan général quelque part ? Pourquoi maintenant et si massivement ? Et ensuite : va-t-il y avoir le temps de réfléchir un minimum à leur pertinence avant de se retrouver au milieu d’un semis géant de machines de plus de 100 m de haut ?

    Plusieurs mouvements, à différentes échelles, conduisent à la multiplication des projets sur les trois départements limousins. Le premier est celui de l’impulsion européenne et nationale donnée à la production d’énergie d’origine éolienne. Dernier en date, le plan pluriannuel de l’énergie d’Emmanuel Macron (avril 2018) prévoit un doublement de la puissance éolienne terrestre d’ici 2028. 

    Un deuxième mouvement est celui des promoteurs. Ces entreprises qui installent et exploitent des centrales d’aérogénération surfent sur les programmes de lutte contre le réchauffement climatique et, regroupés dans France énergie éolienne (FEE), savent se rendre utile auprès des décideurs et planificateurs dans la conception des plans de développement.

    Un troisième mouvement concerne les évolutions du cadre juridico-administratif : depuis 10 ans, différents textes, de la loi NOTRe aux lois sur la transition énergétique, rendent ce cadre de plus en plus favorable aux implantations (lire page 9 : Des ZDE au SRADDET : les communes perdent la main). À l’inverse, les procédures de contestation sont amputées (cf. encadré). Dans le même temps, la baisse des dotations financières de l’État aux communes rendent celles-ci plus enclines à donner suite aux promesses de recettes fiscales annoncées par les promoteurs.

    Le quatrième mouvement est technologique. En effet, les nouvelles machines commencent à produire avec des vitesses de vent moindres. C’est ainsi que le Limousin, du point du vue du vent, a vu passer la proportion de sa surface favorable à l’aérogénération industrielle de 15 % à 80 % entre le schéma régional éolien de 2006 (seuil à 5,5 m/s à 80 m de hauteur) et celui de 2013 (seuil à 4,3 m/s à 80 m de hauteur). De plus, l’augmentation de la taille des mâts et des pâles permet d’aller chercher du vent plus haut et d’aller prospecter dans des zones aux gisements de vent jusqu’alors moins intéressants. 

     

    Le Limousin, préservé donc à conquérir 

    Le dernier mouvement est celui qui pousse à concentrer les nouvelles implantations dans les zones jusqu’à maintenant peu dotées. Vu des bureaux d’études, la détermination des zones favorables est simple. Il suffit d’empiler des calques de cartes thématiques définissant, chacune selon son critère (vent, sécurité aéronautique, habitat, biodiversité, patrimoine et paysage), des zones « défavorables », « favorables à fortes contraintes », « favorables à contraintes modérées », ou « favorables », et d’en tirer une liste de communes « favorables ». À l’échelle nationale, ce sont les Hauts-de-France, la Bretagne, les vallées et crêtes méditerranéennes qui sont sorties gagnantes de ce jeu de cartes.

    À l’échelle de la Nouvelle-Aquitaine (cf. carte page 9), ce sont les quatre départements de l’ex-Poitou-Charentes qui ont tiré le gros lot… jusqu’à la saturation. Au point qu’en décembre 2020, les présidents de leurs conseils départementaux respectifs, dénonçant « un développement anarchique » dans « un vide juridique total », ont menacé d’attaquer les arrêtés d’autorisation et de soutenir les associations qui s’opposent à l’aérogénération industrielle. Ils réclament une meilleure répartition territoriale des centrales. 

    Les forêts des Landes étant sujettes aux incendies et les pilotes de canadairs refusant de faire du slalom entre des mâts ou de terminer hâché·es comme de vulgaires rapaces (la Région espère cependant à terme lever ces contraintes), tous les regards se tournent vers le Limousin et ses 70 MégaWatt (MW) installés, contre 805 MW en Poitou-Charentes et quasiment 0 dans l’ex-Aquitaine. Selon le collectif qui a déposé un recours contre le SRADDET (cf . page 9), la Région prévoit ainsi l’installation à terme de 288 aérogénérateurs en Creuse (contre une trentaine aujourd’hui), 217 en Haute-Vienne et 207 en Corrèze.

     

    Le rôle clé des propriétaires et conseils municipaux

    Photo Pont de SenoueixSi ces mouvements qui se conjuguent ont pour conséquence une offensive sans précédent des promoteurs de centrales d’aérogénération en Limousin, nul trace, en revanche, d’une planification territoriale fine à l’échelle locale et à l’écoute des communes et des habitant·es. Forts de ces mouvements de fond qui les favorisent, les promoteurs passent aux cartes détaillées, ciblent les communes dites « favorables » et délimitent des polygones sur des crêtes à plus de 500 m des habitations. Vient ensuite le démarchage des propriétaires des parcelles visées et des conseils municipaux.

    Aux premiers, les promoteurs proposent des baux aux montants alléchants (plusieurs milliers d’euros par an). Montants qui dépassent très largement en quelques années la valeur d’achat de la parcelle visée, mais permettent de s’affranchir des coûts autrement plus importants de la remise en état du site à la fin de vie de la machine. Peu au fait des enjeux liés aux aérogénérateurs industriels et pris dans la communication des promoteurs (leur unique interlocuteur), nombre de propriétaires ne mesurent pas la portée et l’impact de leur décision personnelle, qui de fait ressort plutôt de l’intérêt public. Situation qui fait dire à un participant d’une réunion publique à Gentioux qu’il y a là « un abus de jouissance du droit de propriété ».

    Du côté des conseils municipaux et intercommunaux (majoritairement de petites communes rurales aux moyens d’expertises réduits), les propositions financières sont aussi tentantes. Il leur est demandé, en échange, des droits d’usage de chemins communaux et des permis pour l’installation de mâts de mesure. C’est la fameuse phase de « pré-faisabilité », terme qui laisse entendre que tout est encore réversible. Or à ce stade, si des propriétaires ont donné leur accord, il n’y a plus de retour en arrière possible. 

    Le pouvoir bascule alors vers les préfectures et leurs services techniques, et ensuite, peut-être, le rapport de force que peuvent instaurer des habitant·es y pourra quelque chose.

     

    Quand les habitant.es s’éveillent

    Ainsi, de projets en projets, l’histoire se répète : au stade de la « pré-faisabilité », un élu défavorable ou des habitant·es sortent le projet de l’ombre, se réunissent en association qui font vite beaucoup d’adhérent·es et interpellent les élu·es qui, souvent, reviennent sur leurs décisions. Mais il est parfois trop tard. Et l’affaire est portée sur le terrain judiciaire (le cas de 70 % des projets en 2017, selon l’ADEME).

    En Creuse, le collectif Alerte éoliennes 23 tâche depuis 2017 de recenser précisément les projets d’implantation de centrales dans le département (liste détaillée sur le site de Stop-mines 23). À ce jour, il a recensé 202 machines : 35 en exploitation, 33 autorisées ou en construction, 35 en instruction à la préfecture et 101 en projet. Toujours en Creuse, la quinzaine d’associations locales a tenté, au printemps 2019, de se fédérer dans un collectif SOS Éole 23. Des désaccords internes ont freiné la dynamique et amoindri l’ampleur d’une manifestation en janvier 2020 à Guéret. Mais une réunion ce printemps, rassemblant une quarantaine de personnes, a relancé le mouvement. Une nouvelle manifestation est prévue le 10 octobre à Guéret avec aussi des collectifs de l’Indre (sous réserve de l’autorisation de la préfecture). Par ailleurs, pas à pas, des liens se tissent avec des collectifs de la Montagne limousine.

    À Gentioux-Pigerolles, l’Association de défense du vivant des paysages du plateau de Gentioux a relevé l’avancement de trois projets de centrales sur la commune et de deux autres alentour. Du côté de Bugeat, c’est l’association Mille Vents Debout pour la protection du plateau de Millevaches qui bataille sur une centrale de 6 à 9 aérogénérateurs sur les communes de Bonnefond, Bugeat, Gourdon-Murat et Pérols-sur-Vézère. Les deux associations ont averti les habitant·es de leur commune respective par des tracts avant les élections municipales et ont organisé des réunions d’information au mois d’août. Résultat : le thème est devenu incontournable dans les campagnes électorales et les élu·es sortant·es fortement interpellé·es sur leur soutien aux projets de centrales. 

    Quant aux réunions publiques, elles ont rassemblé large dans leur nombre et leur composition. Cinquante personnes sur la place de Gentioux et plus de cent cinquante dans le foyer rural de Bugeat, salle où le promoteur avait déjà organisé ses propres réunions d’information. Des participant·es surtout avides d’informations et remonté·es contre le manque de transparence de leurs élu·es. Mais aussi prêt·es à s’approprier la complexité du sujet, de l’urgence de lutte contre le réchauffement climatique à la composition du mix énergétique français. Depuis, la nouvelle équipe municipale de Gentioux-Pigerolles, « plutôt défavorable aux projets en l’état » a envoyé à ses habitant·es une lettre d’information détaillée sur l’état d’avancement des projets et ouvert cinq permanences hebdomadaires jusque fin septembre pour « recueillir leurs avis, questions et propositions ».

     

    Carte Eoliennes Creuse 2020

     

    Neuf centrales dans le Parc naturel régional

    C’est d’ailleurs à ce thème que veut s’atteler, en lien avec le Syndicat de la Montagne limousine, le tout nouveau collectif pour la maîtrise citoyenne de l’éolien sur la Montagne limousine, créé en mars 2020 par une vingtaine de personnes représentant 9 projets de centrales sur le territoire du Parc naturel régional (dont le bureau a voté, en décembre 2019, une délibération - non contraignante - contre l’implantation d’aérogérateurs industriels dans la zone de protection spéciale du Parc). Le collectif a fait sa première apparition publique au camp d’été du Syndicat et des Gilets jaunes en juillet à Lacelle. Dans ses cartons : un séminaire public sur la question des énergies renouvelables, locales, durables, etc. à l’échelle du Plateau afin d’aboutir à des recommandations.

    C’était un peu la démarche en 2018 d’un groupe départemental de travail et de réflexion en Corrèze. Réunissant au « niveau départemental des représentants des collectivités, des associations et des organismes professionnels concernés à la fois par l’avenir du territoire et de l’environnement », il s’était donné pour but de « rédiger un document réunissant les observations de terrain des participants ainsi que des analyses relatives au développement des projets éoliens conduisant à des recommandations pour la Corrèze ». Le document d’information qui en est ressorti est très riche d’expériences concrètes (L’Éolien en Corrèze, document d’information, 22 mai 2018).

    Tout ceci laisse penser que l’automne sera chaud sur le sujet, à moins qu’un moratoire de quelques années sur les projets en cours permette aux différentes parties prenantes d’élaborer localement et collectivement une position pertinente sur la question de l’énergie (production et consommation) et des éventuelles infrastructures à envisager.

     

    Loïc Bielmann

    1 - Le choix a été fait, au regard de la taille des installations (hauteur, profondeur, emprise au sol), des impacts de leur mise en place (ouverture de pistes, creusement de tranchées pour le passage de câbles, installation de transformateurs) et de leur place dans marché et le réseau européen de production électrique, de les assimiler aux unités de production électrique partageant ces caractéristiques (centrales à gaz, à charbon ou à uranium). Il a donc été préféré, par souci de justesse, de nommer ces installations « centrales d’aérogénération », plutôt que « champs », « fermes » ou « parcs » d’« éoliennes » qui renvoient à un imaginaire, certes plus bucolique, mais trop éloigné de la réalité.

     

    Une carte collaborative de l’éolien en Limousin

    À l’initiative de quelques personnes une carte des éoliennes en fonctionnement et en projet en Corrèze, Haute-Vienne et Creuse a été élaborée et sera régulièrement actualisée. Accessible uniquement sous format numérique elle permet en cliquant sur les sites répertoriés de découvrir les caractéristiques de chaque projet. Cette publication collaborative se veut un point de convergence pour les nombreux groupes, somme toute assez éparpillés, qui suivent, s’informent ou combattent ces projets. Pour voir la carte : http://u.osmfr.org/m/495403/

     

    Pour les habitant.es, de plus en plus dur de se faire entendre

    Olivier Dubar et Luis Landrot (administrateurs du collectif d’associations de Bourgogne Franche-Comté), notent dans leur guide L’Eolien et l’élu que « les moyens institutionnels de se faire entendre pour les habitants ont été rognés par deux décrets en 2018 ». Le premier décret (Lecornu du 29 novembre 2018) précise que pour l’éolien, et pour l’éolien seulement, le citoyen ou des associations de défense ne peuvent plus accéder gratuitement au juge de première instance. Ces derniers doivent se faire accompagner d’un avocat pour plaider directement en deuxième instance de la juridiction administrative. En ce qui concerne l’enquête publique, le second décret (de Rugy du 24 décembre 2018) prévoit de supprimer le commissaire enquêteur. Les citoyen.nes devront faire leurs observations par internet où elles seront examinées par le préfet, le même préfet qui signe l’autorisation. Selon les mêmes auteurs, « ce simulacre d’enquête publique est actuellement expérimenté en Bretagne et dans les Hauts-de-France. Il sera probablement généralisé à toute la France. »

     

  • Forêt limousine : ça se bouge de partout !

    La forêt sur le Plateau a toujours été l’objet de conflits, de contestations et d’oppositions comme nous le rappelle fort bien l’article que nous publions pages 12 et 13. Aujourd’hui, de plus en plus d’initiatives naissent pour proposer des alternatives à la gestion industrielle de la ressource bois locale. Groupes de réflexion, professionnels, collectifs de citoyens, etc. Nous vous en proposons sur cette carte un premier repérage.

    foret limousine 2020

    Cette carte a été réalisée à partir d’un recensement d’initiatives fait par Vincent Magnet, du Réseau des alternatives forestières. Vous connaissez d’autres initiatives qui n’apparaissent pas sur cette carte ? N’hésitez pas à nous en informer en écrivant à Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. 

     

    Association Écoute l’arbre et la feuille
    Saint-Léger-Magnazeix (87190)

    Écoute l’arbre et la feuille, association pour la réhabilitation de nos bois et le respect de l’environnement (ARBRE), réunit des fonds pour les consacrer à l’achat de bois et forêts afin de les mettre à l’abri de l’exploitation extrême (coupes à blanc) et de les protéger. Un premier achat est en train de se finaliser : un bois humide, mélange de plusieurs milieux différents avec entre autres de très vieilles saulées, à Saint-Léger-Magnazeix dans le nord de la Haute-Vienne. Mais la zone d’intervention de l’association est à la croisée des trois départements de la Haute-Vienne, de la Creuse et de l’Indre.  

    Contact : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. et sur facebook : Écoute l’arbre et la feuille - ARBRE

     

    Groupement mammalogique et herpétologique du Limousin (GMHL)
    Monts d’Ambazac

    Association loi 1901 gérée par un conseil d’administration collégial, le GMHL développe depuis plus de 20 ans des actions autour de l’étude, la préservation et la diffusion des connaissances sur les mammifères, reptiles et amphibiens du territoire. Elle a acheté de la forêt dans les Monts d’Ambazac, dans le cadre d’une démarche de préservation des chauves-souris.

    http://gmhl.asso.fr - Contact : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. - 05 55 32 43 73 

     

    Auprès de nos arbres
    Saint-Médard-la-Rochette (23200)

    L’association de défense des biens communs de Ceyvat, La Chave, Maneyraux et Salagnat, sur la commune de Saint-Médard-la-Rochette, est née de la réaction d’habitants de la section de Ceyvat face à un projet d’aménagement forestier destructeur pour le site, projet qui a été abandonné. Pour les habitants de Ceyvat, la section doit rester une réserve pour la biodiversité.

    Contact : Hervé Hannoteaux - 06 08 30 09 61 

     

    Centre pédagogique de sylviculture douce
    Nedde (87120)

    En projet, ce centre pédagogique pour les propriétaires forestiers sera également un lieu de découverte de la forêt pour les écoles et groupes. Il est installé en bord de Vienne autour d’une parcelle de 30 hectares en feuillus et résineux anciens et d’une zone humide de 3 hectares au lieu-dit Chez Thivaud.

    Contact : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. 

     

    Association Aux arbres déchaînés
    Rochechouart (87600)

    Créée en mai 2020, cette association basée à Rochechouart a pour vocation de travailler dans toute la France. Son objet est de sauvegarder du patrimoine forestier géré dans le respect des écosystèmes et de la biodiversité, de procéder à des acquisitions citoyennes de terrains en mobilisant l’épargne de particuliers sensibles à ce sujet, de constituer des refuges animaliers, d’informer et de sensibiliser les citoyens.

    Contact : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. 

     

    Collectif forestiers environnement limousin (CoFEL)

    Le CoFEL a pour objectif de promouvoir et de développer une gestion douce de la forêt. Il regroupe des professionnels indépendants qui gèrent les forêts de propriétaires, majoritairement privés, en rédigeant les documents de gestion, en établissant des diagnostics et itinéraires sylvicoles adaptés, en encadrant les travaux, en marquant et en organisant les coupes et ventes de bois, etc. L’association organise des animations diverses pour faire connaître et favoriser une gestion forestière respectueuse de l’environnement ainsi que les multiples usages de la forêt, auprès de tous les publics (propriétaires, habitants, élus, écoles…). 

    Saint-Léonard de Noblat : Arbogest (CoFEL)
    Saint-Marc à Frongier : Loïc Bonnot (CoFEL)
    Gentioux : Julien Cassagne (CoFEL)
    Champagnat : Rémy Gautier (CoFEL)
    Saint-Julien le Petit : Alice de Gournay (CoFEL)
    Saint-Avit le Pauvre : Hans Kreusler (CoFEL)
    Contact : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
    Coordonnées des membres : http://www.collectif-fel.org 

     

    Projet de groupement forestier citoyen
    Saint-Goussaud (23430) et environs

    En cours de structuration sous la forme d’une association ou d’un groupement forestier citoyen, plusieurs habitants de Saint-Goussaud et environs ont déjà organisé diverses réunions d’information et de débat sur le sujet. Le projet concerne le secteur Bersac, Laurière, St-Sulpice-Laurière, St-Léger-la-Montagne, Jabreilles (en Haute-Vienne) et St-Goussaud (en Creuse). 

    Contact : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. 

     

    Groupement forestier citoyen
    Vers Sardent (23250)

    Ce projet est en cours d’émergence.

    Contact : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. 

     

    Association Les Tisserands
    Saint-Moreil (23400)

    Suite à l’acquisition en novembre 2019 d’une forêt de 10 hectares à La Vialle (Saint-Moreil), un premier chantier collectif a permis de redonner vie à une ancienne pêcherie, de ré-ouvrir un ancien chemin communal, de produire collectivement du bois de chauffage et de renforcer les liens grâce à la force du « faire ensemble ». De nombreux projets sont en cours de construction en lien avec cette forêt, avec l’envie de mener une sylviculture douce et de viser la pérennité du couvert forestier. 

    Contacts : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. ou Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

     

    Association Forêts vivantes du sud-est creusois
    Sud-est creusois

    Créée en octobre 2019 à l’initiative de plusieurs propriétaires forestiers désireux de proposer une alternative de gestion sylvicole à la pratique dominante sur la région, l’association a l’ambition de regrouper un maximum de propriétaires et de parcelles – petites et grandes – autour des principes suivants : sylviculture à couvert continu, maintien de la biodiversité tout en permettant la production de bois de qualité, éviter les coupes rases et la monoculture. Sous la forme d’une association syndicale libre de gestion forestière, elle veut faire émerger localement une véritable culture forestière visant à vivre avec la forêt, promouvoir le rôle social de la forêt en favorisant un travail épanouissant et rémunérateur pour l’ensemble de la filière. Son action se concentre sur 33 communes du sud-est creusois.

    Contact : Antoine Mazurier Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. - 06 64 37 33 43

     

    Association Francis Hallé pour la forêt primaire
    Eymoutiers (87120)

    Créée en février 2019 par le botaniste mondialement connu Francis Hallé et une douzaine de scientifiques, naturalistes et citoyens amoureux de la nature, dont quelques Limousins (d’où son siège social à la mairie d’Eymoutiers), l’association a pour objet général la défense des forêts primaires dans le monde. Elle est engagée actuellement dans un projet de renaissance d’une forêt primaire en Europe de l’Ouest. Un projet qui s’étendra sur 70 000 ha et 800 ans. L’objectif est de reconstruire sur les espaces de grande superficie que nécessite le système forestier (faune sauvage et flore) des ressources vitales de biodiversité et de les transmettre aux générations futures. Totalement innovant par ses dimensions spatiales et temporelles, ce projet complexe fait actuellement l’objet de discussions avec l’Union Européenne et l’Unesco.

    Contacts : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. et https://www.facebook.com/FrancisHalle.ForetPrimaire 

     

    Groupement forestier Avenir forêt
    Sainte-Féréole (19270)

    Ce « groupement forestier écologique » regroupe des particuliers pour acheter des forêts gérées de manière durable sur le plan économique, écologique et social. Engagé dans une sylviculture à couvert continu (futaie irrégulière), Avenir forêt réalise une gestion forestière rentable en favorisant la biodiversité et en préservant les écosystèmes forestiers. Aujourd’hui Avenir forêt regroupe 162 associés qui possèdent collectivement 425 hectares de forêts diversifiées entre Ussel (Corrèze), Aurillac (Cantal), Gourdon (Lot), Villefranche-de-Rouergue (Aveyron), Nontron (Dordogne) et Limoges (Haute-Vienne). 

    www.avenirforet.com - Contact : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. - 06 44 75 37 22

     

    Association Faîte et racines
    Argentat-sur-Dordogne (19400)

    Constituée en juin 2018 en réaction à la multiplication des coupes rases et des abattages d’arbres de bord de route, l’association Faîte et Racines organise ses activités en plusieurs branches : achat de forêts financé par la collecte de dons, essentiellement auprès de particuliers ; animations dans l’espace public autour de la thématique forestière ; formations (sylviculture, sorties naturalistes, principes de gestion forestière douce) et mise en route d’une scierie mobile associative dans le secteur d’Argentat.

    Contact : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. 

     

    École des Renardes
    Nonards (19120)

    Créée en 2017, L’École des Renardes a pour vocation de former à la charpente traditionnelle dans une approche globale de la pratique du métier. La géométrie descriptive, l’usage des outils, la taille et le levage des charpentes sont abordés mais aussi le matériau bois, sa provenance et son choix. Une équipe de quelques artisans s’est réunie pour faire tourner cette école à petite échelle et à majorité féminine. Actuellement, afin d’approfondir le volet forêt de la formation, elle a pour projet d’acquérir un massif en sud Corrèze et d’y transmettre les bases de la sylviculture douce.

    Contact: Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. 

     

    Syndicat de la Montagne limousine

    Une commission « forêt » s’est mise en place au sein du Syndicat de la Montagne limousine. Elle s’intéresse plus particulièrement à la zone du plateau de Millevaches.

    Contact : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. 

     

    Conservatoire des espaces naturels de Nouvelle-Aquitaine

    sites forestiers CEN 2020Le Conservatoire est déjà propriétaire d’environ 400 hectares de forêts en Limousin, qui sont laissées pour la plupart en évolution naturelle. Il est intéressé par toute information sur des sites forestiers subnaturels (feuillus ou mixtes âgés de 80 ans ou plus) qui seraient à vendre, pour créer des zones refuges. 
    Si vous en connaissez, vous pouvez contacter le responsable de l’antenne creusoise (Yvan Grugier : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.) ou corrézienne (Mathieu Bonhomme : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.). 

     

  • Gros temps sur les fermes usines

    1000 vaches dans la Somme, 1000 veaux à Saint-Martial-le Vieux. Après l’annonce de l’arrêt de la ferme des 1000 vaches dans la Somme qui avait suscité beaucoup de critiques lors de sa création en 2014, c’est en Creuse, à Saint-Martial-le-Vieux, que l’ « exemplaire » projet des 1000 veaux semble battre de l’aile... Deux exemples de la faillite du modèle industriel dans lequel trop d’agriculteurs croient pourtant encore.

     

    non ferme usine

     

    Dans la Somme

    Le 4 décembre 2020, on apprenait que la « ferme des 1000 vaches » dans la Somme cessait sa production de lait le premier janvier 2021. Raison invoquée : l’industriel laitier belge auprès de qui était écoulée toute la production recentrait son activité sur la Belgique. Il semble bien, en fait, que l’opposition résolue qui s’est affirmée contre cet élevage ait réussi à faire entendre le bien-fondé de ses critiques, tant auprès de la population et des élus que devant les tribunaux. On ne peut que se réjouir du communiqué de victoire de Laurent Pinardel, ancien porte-parole national de la Confédération paysanne, qui conclut ainsi cette aventureuse saga industrialo-agricole : « La chute de l’empire 1000 vaches, c’est surtout la faillite d’une logique. Ce projet n’était pas viable et le message qu’il envoyait partout dans les campagnes, “Agrandissez-vous !”, doit immédiatement être lu à cette lumière-là ! »

     

    Dans la Creuse

    À Saint-Martial-le-Vieux, ce sont aussi des motifs économiques qui ont conduit les responsables de la SAS à tirer la sonnette d’alarme et à se dire d’humeur morose. Le site creusois, présenté comme exemplaire est victime de la crise qui frappe la filière des jeunes bovins. Le contrat signé avec la Société vitréenne d’Abattage (SVA) Jean Rozé, filiale d’Intermarché, acheteur exclusif de la totalité de la production, prévoyait un prix plancher qui semblait être une garantie pour les producteurs. Au moment de la signature du contrat, les agriculteurs envisageaient même qu’à l’avenir le prix pourrait être supérieur à ce prix plancher. Hélas pour eux, ces belles perspectives se sont évanouies : Jean Rozé rachète toujours les animaux à 3,96 € le kilo, alors que les cours sont tombés autour de 3,50 € et que les coûts de production ont grimpé en flèche et sont de l’ordre de 4,20 €. Ainsi la ferme-usine de Saint-Martial-le-Vieux perd 20 centimes par kilo sur chacun des 1 300 animaux engraissés chaque année. On comprend bien qu’au-delà de ce constat conjoncturel, la SAS va être conduite à demander des subventions pour équilibrer ses comptes, alors que les collectivités locales et l’État ont depuis le début arrosé généreusement ce projet (400 000 euros venus du ministère de la Défense en « compensation » de son retrait partiel du camp de La Courtine). Les agriculteurs vont être contraints de continuer dans une course sans fin... Ou bien, finiront-ils par comprendre que le modèle d’agriculture dont ils sont porteurs, et qui va vers le toujours plus gros, ne correspond plus à la demande en 2021. La crise écologique nous impose d’aller vers une agro-écologie paysanne. Combien d’installations vertueuses de petites unités, combien d’activités de proximité auraient pu être soutenues avec les millions d’euros déversés à Saint-Martial, pour parvenir à un fiasco économique et à la création de... trois emplois ?

     

    Jean-François Pressicaud
  • Histoire de la pelleterie dans le pays de Crocq

    La transformation des peaux de lapin en fourrure de luxe a fait la richesse et la renommée de Crocq pendant un peu plus d’un siècle. L’association pour la sauvegarde du vieux Crocq en coopération avec les services de la conservation du patrimoine des conseils généraux de la Creuse et du Puy de Dôme, raconte cette aventure peu banale dans un album remarquablement illustré : Histoire de la Pelleterie dans le pays de Crocq. 

     

    lapin

     

    On y apprend que les Français sont les plus gros producteurs et consommateurs de lapin depuis sa domestication au milieu du XIXème siècle. Et du lapin comme du cochon rien ne se perd de telle sorte que les peaux de lapin collectées par les chineurs dans toutes les villes et villages de France sont livrées aux  pelletiers - fourreurs de Paris, de Lyon et de quelques villes de province. Une fois, découpées, épilées, lustrées, teintes et brillantées elles deviennent des fourrures de qualité, imitation parfaite du castor de la loutre ou du vison. Elles ont fait le chic de la mode de la première moitié du vingtième siècle.

     

    De la creuse à Paris et ­retour en Creuse 

    Tous les secrets des différents procédés de transformation des peaux de lapin en fourrure sont développé en long et en large. Mais  l’intérêt majeur de l’ouvrage est ailleurs. Il relate un épisode singulier de la migration creusoise au XIXème siècle. Parmi tous les migrants temporaires venant de la Creuse pour s’employer dans les grands chantiers du bâtiment à Paris ou à Lyon, une minorité s’engagera dans le secteur de la pelleterie. Ils viennent essentiellement de la Combraille où déjà quelques artisans développaient en famille la fabrication de chapeaux. de feutre à partir de peaux de lapins. Quelques-uns parmi ces migrants de la région de Crocq ont trouvé dans la pelleterie un bénéfice supérieur aux métiers du bâtiment. Ces Combraillais malins, forts de leur capacité ingénieuse et de leur savoir faire se lancent dans l’aventure de la création d’ateliers de pelleterie ou de teinture. De solides entreprises creusoises ont établi leur réputation et acquis pignon sur rue dans la pelleterie-fourrure à Paris, à Lyon et même à Brooklyn aux Etats-Unis. 

     

    bain peauComme tout bon Creusois ces pelletiers-fourreurs n’ont jamais abandonné leurs racines et maintiennent de solides liens avec leur terroir d’origine vers lequel ils ne manqueront pas de se replier  lorsque le secteur pelletier connaîtra quelques difficultés. La plupart de leurs entreprises étaient situées en plein cœur de Paris. La macération et la teinture des peaux dans des bains de chlore, de formol ou d’acide nitrique particulièrement corrosifs répandaient d’abondantes odeurs et vapeurs nauséabondes. Tous les résidus chimiques ou de rinçage polluaient les affluents de la Seine qui baignent le sous-sol parisien.  Aussi à la fin du siècle de l’hygiénisme elles ont été classées parmi les établissements insalubres. Les premières se replient en banlieue et les autres vers l’espace rural où les exigences d’urbanisme sont moins contraignantes. 

     

    Ces décentralisations vers la Combraille se poursuivront tout au long du vingtième siècle où elles peuvent compter sur une population de salariés d’origine agricole s’adaptant naturellement à la pluriactivité, aussi bien qu’au travail à la tâche et à domicile. Une main d’œuvre d’autant plus disponible qu’elle est en solidarité locale et familiale avec les quatre ou cinq familles revenues investir au pays cette puissante industrie de luxe. Une population fascinée par la réussite sociale de leurs congénères devenus pelletiers-fourreurs. Depuis la fin du XIXème siècle ils ont construit de somptueuses et colossales résidences d’agrément dans tout le pays de Crocq. La magnificence insolente du luxe s’expose aux regards de tous dans ces majestueuses demeures châtelaines, conçues et dessinés par des architectes et des paysagistes prestigieux. Une inscription architecturale qui se prolonge dans la statuaire, la décoration des fontaines ou les monuments funéraires.

     

    Pour bien saisir tout le sens de cette solidarité locale et familiale une clé est proposée en annexe. L’étude généalogique fait remonter les cinq entreprises revenues au pays à deux couples originels de la fin du XVIIIème siècle. L’enchevêtrement de ces réseaux de cousins et d’alliés montre que la stratégie des systèmes d’alliances matrimoniales vise à la prospérité professionnelle de la famille au sens large : “la maison“. Ces modèles d’alliances familiales et patrimoniales d’origine médiévale ne seraient ni archaïques ni dépassés tout au moins dans le Massif Central, les Pyrénées et les Alpes du Nord. Ces mariages “entre soi“ pourront-ils résister longtemps au hasard du “mariage romantique“, ou plus simplement encore à la désaffection de l’institution matrimoniale ?  

     

    Alain Carof

    La première édition est épuisée. L’association pour la sauvegarde du vieux Crocq en prépare une seconde, elle sera vendue au prix de 15 euros.

     

    poo

    "Peaux de lapins, peaux de lapins, ppôôpôooo"

    La couperie de poils pour la chapellerie

    Cette activité se détache de la chapellerie qui, de métier, devient industrie dans la première moitié du XIXe siècle. Née avec la fabrication des chapeaux de feutre, elle en a suivi les fluctuations. 
    L’industrie naissante ne prend véritablement son essor qu’à partir des années 1840, alors que le chapeau de feutre redevient à la mode. Le ramassage des peaux (lapins, lièvres) se réorganise, la récolte s’accroît d’année en année, la couperie se mécanise et l’exportation commence à se développer (jusqu’à 40% vers les Etats-Unis). 

    Les chiffres traduisent cette progression de manière éloquente. La couperie absorbe par an :
    - Entre 1830 et 1837, 1 million de peaux ;
    - Entre 1837 et 1848, 2,5 millions de peaux ;
    - En 1864, 70 à 80 millions de peaux, fournissant 2500 tonnes de poils dont la moitié exportée ;
    - En 1889, 60 à 65 millions de peaux fournissant également 2500 tonnes de poils.

    Dans les années 1860, la couperie occupait une quarantaine d’ateliers parisiens et un nombre considérable de petits établissements installés en province. Vers 1890, 150 à 160 machines à couper, dont la moitié établies à Paris, et 2500 ouvriers, produisaient annuellement 2500 tonnes de poils pour la chapellerie. Dans la dizaine d’années qui a suivi, la chapellerie de feutre (poil ou laine) s’est réorganisée et concentrée. 
    L’atelier artisanal a disparu. L’utilisation de machines encombrantes, la résistance des ouvriers à la mécanisation ont conduit à la décentralisation de l’activité et au transfert des usines en banlieue parisienne et en zone rurale. Jusque dans les années 1950, la production de poils alimentait une industrie forte d’une dizaine de chapelleries qui employaient 1000 à 1500 ouvriers. 

    La mode des années 1960 a porté un coup fatal à cette industrie et aux établissements spécialisés dans la fourniture de matières premières : en 1996, il ne restait plus qu’une couperie de poils en France…

     

     

  • Le retour des paysans

    Il y a 35 ans le sociologue Henri Mendras annonçait la fin des paysans. Aujourd'hui l'Institut Montaigne réduit le nombre des exploitations agricoles professionnelles à 150 000 pour toute la France. Cette officine ultra-libérale et conseil de nos gouvernants prévoit la disparition quasi totale de l'agriculture dans le Massif Central ! Silvia Perez-Vitoria, sociologue elle aussi, nous propose une perspective plus optimiste. Parce qu'elle projette son regard et son analyse au-delà de l'hexagone et de l'Europe, elle ouvre un avenir aux paysans à l'échelle de la planète. Elle n'ignore pas la croissance galopante des migrations vers les villes Elle dénonce la déstructuration des territoires ruraux ici et ailleurs, la progression envahissante des déserts à cause de cette urbanisation démesurée. Mais elle nous rappelle que les paysanneries sont, dans la mémoire de la terre, le garant de la biodiversité des espèces et de la diversité culturelle des sociétés. Quelques bonnes feuilles de son livre "Les paysans sont de retour". Editions Actes Sud, 2005, 267 pages.

     

    agriculture

     

    "Notre planète et nos sociétés ne survivront que dans la diversité. Celle-ci ne peut pas venir du modèle industriel et libéral qui homogénéise la vie et les relations humaines. La diversité se trouve principalement dans le monde rural en raison de la très grande variété d'écosystèmes et d'organisations sociales qui y existent encore. Les modes de construction des maisons, les types de vêtements, les coutumes, les façons de préparer les aliments sont très diversifiées selon les environnements. A-t-on par exemple pensé à comparer la cuisson sur une cuisinière à gaz avec la multiplicité des modes de cuisson qui existent dans le monde : sur des branches, sous la pierre, dans les feuilles de bananier, dans des récipients en terre… Les relations sociales sont aussi très variées et l'anthropologie nous en donne chaque jour des exemples intéressants. Faut-il vraiment les détruire ? Il ne s'agit pas ici d'avoir une position de conservation, il s'agit de laisser vivre des sociétés différentes des nôtres parce qu'elles ont beaucoup à nous apporter. Le modèle occidental qui rase tout sur son passage ne cesse de s'appauvrir. Cet appauvrissement s'accroît quand nous détruisons des paysanneries, qu'elles soient de Chine, d'Afrique ou d'Océanie. Nous devenons plus pauvres quand disparaissent des connaissances et des savoir-faire. Cet appauvrissement est invisible mais n'en est pas moins réel. Nous devons apprendre à respecter les autres comme nous devons apprendre à respecter la nature. Cela passe par la nécessité de redonner un espace et une place aux paysans. C'est pour nos sociétés une question de survie.

     

    les paysans sont de retour(…) Or s'il est aujourd'hui une nouveauté, c'est précisément ce "retour des paysans". Ils ont toujours été là mais, silencieux ces dernières années, ils veulent aujourd'hui se faire entendre. Ils agissent à tous les échelons. Au niveau international, ils protestent contre l'OMC et la libéralisation des échanges, contre les politiques agricoles communes qui ne sont là que pour accompagner ce mouvement. Il se battent un peu partout contre les multinationales : celles des semences bien sûr mais aussi celles du secteur chimique et de l'alimentation. Ils cultivent en préservant les équilibres naturels. Ils demandent des terres, et au besoin les prennent, ainsi que des moyens pour les travailler. Pour cela ils donnent de leur temps, de leurs moyens, parfois ils donnent leur vie.

    En fait, ce qui se pose à nous est sans doute un véritable problème de civilisation. La nôtre est mortifère. Face aux "nécrotechnologies" dont parle Jean Pierre Berlan - détruisant la terre, les semences et les hommes tout en employant du travail mort et en épuisant les énergies fossiles - les valeurs du monde paysan sont du côté de la vie : régénération de la nature, utilisation de travail vivant, développement des semences, articulation des tous les systèmes vivants pour assurer la production d'aliments et emploi d'énergies renouvelables.

    La société industrielle a mené un combat sans merci contre la paysannerie, que ce soit sur le plan économique, social ou culturel. Il semble aujourd'hui urgent d'appuyer au contraire tout ce qui peut permettre à la paysannerie de survivre et de se développer. Bien des citoyens, hors du monde paysan proprement dit, commencent à comprendre l'importance de ce combat. Les appuis aux luttes pour la terre, aux arrachages d'OGM, au maintien des prix agricoles et d'une agriculture de qualité en témoignent. Mais il faut sans doute aller plus loin et lutter contre tout ce qui contribue à faire disparaître les paysans. Il faut l'avoir en tête, le penser sans cesse comme un "agenda caché" de l'action politique, se donner cette "grille de lecture". Par exemple, les raisons de s'opposer à l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne ne devraient pas être politico-culturelles. L'argument principal devrait être que ce pays compte encore 30 % de paysans qui disparaîtraient dans leur très grande majorité si l'intégration se faisait. Autre exemple, lors de la mise en place d'un programme économique et social, à quelque niveau que ce soit, pourquoi ne pas se demander si cela va permettre l'installation de davantage de paysans, l'instauration d'une agriculture paysanne, l'accroissement de l'autonomie alimentaire de la région, etc. ?

    De fait, nous sommes tous concernés par la question paysanne. D'elle dépend notre alimentation et une grande partie de notre environnement, d'elle dépendra dans un futur proche notre mode de vie, notre culture même. Peut-être ne redeviendrons nous pas tous paysans, mais il est peu probable que nos sociétés aient un avenir sans une paysannerie nombreuse et forte. "

     

    Silvia Perez-Vitoria
  • Les porcheries sont le symptôme d'un problème global

    meltzerLe nom de Françoise Meltzer est apparu un jour de septembre 2002 dans les colonnes du Monde. Cette universitaire installée à Chicago signait un article intitulé : Les porcs ou Millevaches : il faut choisir. (Nous en avons publié un extrait dans IPNS n°3). Rencontre avec cette "américaine", toujours creusoise…

     

    Dans sa vieille maison de Gioux, au village d'Hyverneresse, Françoise Meltzer retrouve chaque été et chaque Noël ses racines. Elle, qui enseigne la littérature à l'Université de Chicago, passe en effet un gros tiers de son année – plus de quatre mois – dans le berceau familial. « Ma famille est ici depuis plus de 400 ans. Paysans et maçons comme la plupart des creusois, elle a connu ce qu'ont connu beaucoup d'autres familles. A la fin du XIXème siècle, après des siècles de migrations temporaires, elle s'est installée à Paris. Mon arrière grand-oncle s'y est établi, d'abord comme maçon, puis comme entrepreneur. Mon grand-père était lui aussi maçon. Gazé pendant la guerre de 14, c'est surtout sa femme, ma grand-mère qui était couturière, qui a fait vivre le ménage. Les liens avec Gioux restaient très forts. Ainsi, ma mère, leur seconde fille, a vécu à Hyverneresse toute son enfance. C'est sa grand-mère qui l'a élevée ici jusqu'à l'âge de sept ans, c'est à dire jusqu'au moment où elle est allée à l'école à Paris. Un grand déchirement pour cette petite fille qui découvrait brusquement un autre monde et qui pendant ses trois premiers mois de scolarité dans la capitale ne parla que patois en espérant qu'on la renverrait "chez elle", à Gioux ! ».

    La petite fille devint donc une petite parisienne, grandit, rencontra un diplomate américain d'origine allemande (un certain Meltzer). C'est ainsi que naquit quelques années plus tard Françoise, à l'enfance internationale, suivant ses parents en fonction des nominations de son père, en Allemagne où elle passa la plus grande partie de son enfance, puis aux Etats Unis, où elle rencontra son mari, et où elle vit toujours lorsqu'elle n'est pas à Gioux. « A table on ne parlait que français, et si je disais un mot d'anglais, je devais débourser dix cents. » Du coup, maîtrisant l'allemand, l'anglais et le français, elle se lance dans la littérature comparée, se spécialise dans la théorie critique, fait partie de ces médiateurs universitaires qui transmettent outre-atlantique les travaux de Michel Foucault, Jacques Lacan,  Jacques Derrida ou Julia Kristeva. Elle écrit un livre sur Jeanne d'Arc ou – c'est son travail actuel- sur la période charnière de la révolution de 1848.

    « Mes origines sont néanmoins ici. Comme je suis née femme, je suis aussi née avec ce passé, ce lieu, cette histoire, qui font partie de mon identité. De ce point de vue je ne suis pas du tout "l'américaine", comme m'appellent mes amis et voisins du pays. Je ne viens pas ici en vacances seulement. J'y travaille, j'ai mon ordinateur portable, mes livres. Je vis ici le tiers de ma vie ».

     

    Du coup, le plateau, Françoise Meltzer en suit l'actualité régulièrement. Et lorsqu'elle apprend qu'une porcherie industrielle doit s'implanter sur sa commune et que d'autres projets sont en cours, elle ne peut s'empêcher de faire le parallèle avec la situation de l'agriculture américaine qu'elle connaît bien. « J'ai tout de suite compris que développer l'industrie porcine dans notre région, c'était prendre le pire de ce que l'Amérique a produit. Là-bas, 44 états sur les cinquante sont touchés par la pollution liée à l'élevage industriel. Promouvoir des porcheries de ce type en Limousin, c'est une terrible régression. Contrairement à ce qu'on dit, c'est faire rentrer le Limousin dans le passé, le passé de la Bretagne ou des Etats Unis. Il faut absolument réagir devant une telle situation. Les industriels de l'agroalimentaire croient que parce que nous sommes une région un peu "oubliée", on peut y faire ce qu'on veut, qu'il n'y aura pas de réactions. Il faut prouver le contraire. D'autant que la question des porcheries ne concerne pas que Gioux, ni même le plateau. En fait c'est le symptôme d'un problème global qui concerne l'avenir de la planète ».

    Françoise Meltzer pense que le débat doit être porté sur la place publique. Elle prend donc sa plume et adresse sa tribune au Monde.

    « Après la publication, j'ai reçu beaucoup de réactions, d'Allemagne, des Pays Bas, d'Angleterre, d'Irlande, des Etats Unis, de Paris, et de nombreuses régions de France. Ainsi ce monsieur qui m'écrit d'Ardèche : J'espère que votre article aura “réveillé” pas mal de monde. J'ai été sensible à votre rappel de la catastrophe en Bretagne, notre lieu de vacances habituel que je vois (et sent !) se dégrader d'année en année. Il me semble que vous avez parfaitement montré l'incohérence du déplacement de l'agroalimentaire en Limousin, après l'échec économique et écologique breton. Tous disent à peu près la même chose : ce n'est pas possible qu'on fasse ça à une région jusqu'ici préservée comme le Limousin ! ».

    Paradoxalement, elle n'a pas eu beaucoup de retours du plateau. Et elle s'étonne que la vague d'opposition qui s'est manifestée à propos du projet de Gioux, en particulier de la part des maires et conseils municipaux voisins, n'ait pas trouvé de relais assez puissants pour influer sur les décisions du Préfet.

    A ceux qui lui reprochent d'attaquer les agriculteurs, elle répond révoltée : « Mais ce sont les agriculteurs qui les premiers trinquent ou vont trinquer avec ce modèle d'élevage industriel ! Les petits éleveurs sont en fait pénalisés dans ce système. Comme aux Etats Unis, il ne s'agit que de faire de l'argent et pour cela de ne privilégier que ce qui est gros, sans ce poser de questions sur ce qu'on prépare pour l'avenir. J'ai une amie qui connaît un peu le président Bush. Je lui ai demandé si Bush a pensé au monde qu'il lèguerait à ses petits enfants. Vous savez ce qu'elle m'a répondu ? Bush estime que ses petits enfants pourront s'acheter de l'eau en bouteille… ».

     

    Propos recueillis par Michel Lulek
  • Philippe Revel, porte-parole de la Confédération paysanne de la Corrèze : “Le modèle industriel entraîne toujours l'élimination des petits agriculteurs“

    A Rosiers-d'Egletons, un projet de production de tomates sous serre a fait l'objet au cours des dernières semaines d'une enquête publique qui s'est terminée le 7 juin 2018. Un modèle d'agriculture industrielle que dénonce dans l'entretien qu'il nous a accordé Philippe Revel, éleveur, et porte-parole de la Confédération paysanne de la Corrèze.

     

    tomatesEn quoi consiste ce projet et comment est-il né ?

    Le point de départ est lié à l'usine d'incinération du SYTTOM 19 (Syndicat de transport et de traitement des ordures ménagères de la Corrèze) de Rosiers d'Egletons qui traite chaque année de 35 à 40 000 tonnes d'ordures. Une partie de la chaleur produite par l'incinérateur alimente depuis peu le réseau de chaleur de la ville d'Egletons, mais il y a toujours une partie de la chaleur qui part dans la nature après l'étape du turbo-alternateur qui produit de l'électricité vendue à EDF : c'est ce qu'on appelle l'énergie “fatale ou résiduelle“. Or la réglementation ayant récemment évolué, il y a désormais obligation de récupérer cette chaleur... D'où l'idée de trois agriculteurs corréziens d'installer des serres pour produire des tomates à partir de cette chaleur. Concrètement il s'agit d'installer 8,5 hectares de serres de 6 m de haut où seraient produites 4000 tonnes de tomates par an. Il s'agit typiquement d'un projet industriel, les tomates étant produites en hydroponie (c'est à dire sur un substrat de laine de roche, avec alimentation en eau et en engrais par goutte-à-goutte), avec maîtrise de la chaleur et introduction de gaz carbonique stocké à l'extérieur des serres dans une cuve de 34 tonnes.

     

    Que reprochez-vous à ce projet ?

    Sur le fond, nous sommes opposés à l'industrialisation de l'agriculture qui entraîne en général des conséquences néfastes. À chaque fois qu'on industrialise l'agriculture, que ce soit pour les poules, les porcs ou les légumes, comme c'est la loi du marché qui domine, on s'oriente vers des catastrophes économiques, avec souvent des pertes financières considérables. Pour nous c'est clairement un système qui n'est pas durable. Le modèle industriel entraîne toujours les prix vers le bas, avec des marges les plus faibles possibles, ce qui élimine les petits agriculteurs. C'est inhérent à l'industrialisation de l'agriculture comme on le voit avec ce qui s'est passé pour le foie gras.

    De plus, ce modèle agricole ne correspond pas à la demande grandissante des consommateurs qui recherchent des productions liées au terroir, à la terre... De ce point de vue c'est aussi une très mauvaise image pour notre territoire qui est donnée. D'un côté on joue la carte de la qualité, de la production du terroir, on valorise le veau de lait ou les petits vignobles et de l'autre on promeut l'accouplement d'un incinérateur et 8,5 hectares de serres ! On est en pleine contradiction.

     

    Il y a une seconde contradiction...

    Oui, c'est celle posée par le traitement de nos déchets. D'un côté nous avons le ministère, la COP 21 et tous les discours des pouvoirs publics qui invitent à réduire nos déchets, à les trier, à les recycler plutôt que les brûler, et d'un autre côté en adossant 8,5 hectares de serres à un incinérateur on ne fait que conforter une usine d'incinération. Bref on perpétue le système qu'on critique par ailleurs. Le fait que le président du SYTTOM, Marc Chatel, ait été l'ancien directeur des services du département de la Corrèze qui a mis en place l'incinérateur laisse du reste penser qu'on est encore loin d'être sorti de cette logique. Il y a d'autres aspects qui sont très critiquables dans ce projet. Le fait par exemple qu'il va s'installer sur une zone boisée avec une tourbière – ce qu'on appelle une zone humide. Deux études menées, l'une par l'Agence française pour la biodiversité, l'autre par le Conseil national de la protection de la nature (qui dépend directement du ministère de l'Environnement) ont donné des avis défavorables.

     

    Y a-t-il d'autres problèmes ?

    Oui ! Il y a la question financière d'abord. C'est un projet très subventionné. Le coût global de l'opération est de 11 millions d'euros. Selon le porteur du projet il y aurait 20% de subventions (un peu plus de 2 millions), mais, dans des projets similaires, les subventions, une fois toutes les possibilités additionnées (Europe, France, région, département, com com...), représentent souvent 40%. Sans compter que les 21 hectares de terrains concernés vont être défrichés et viabilisés par la communauté de communes Ventadour-Monédières-Egletons (estimation du coût : 2 millions) puis que le bail sous forme d'une location-vente permettra que l'industriel devienne au final propriétaire du site.

     

    Le coût de l'énergie et l'emploi sont toujours les variables d'ajustement de ce genre de projet

     

    Cela fait beaucoup d'argent public pour un projet privé ! Mais le plus important n'est peut-être pas là. Pour que le projet soit économiquement équilibré, l'énergie qui sera vendue aux serres à tomates le sera à un coût de 140 000 € par an, ce qui générera pour la collectivité un déficit annuel de 105 000 €. C'est écrit en toute lettre dans la délibération du SYTTOM du 9 novembre 2016 : “Le déficit annuel est encore de 105 000 € que le SYTTOM 19 doit financer pour valider le contrat avec les maraîchers.“ Et dans la même délibération on lit : “Monsieur Marc Chatel [le président du SYTTOM] propose de prendre en charge ces 105 000 € restant, afin de permettre la réalisation des serres, vu l'intérêt économique que représente cette opération.“

    Par ailleurs nous craignons que l'existence des serres puisse impacter la fourniture actuelle du réseau de chaleur de la ville d'Egletons par la chaleur issue de l'incinérateur. On nous dit : “Non, non, l'énergie des serres ne viendra que de la chaleur fatale“ et on lit dans un rapport du conseil départemental que “l'exploitation de la chaleur fatale par le GFA n'aura aucune conséquence sur la production d'électricité de l'usine ou sur le réseau de chaleur urbain.“ Dans ce cas pourquoi, dans sa délibération du 27 juin 2017, le SYTTOM a-t-il fait un avenant à la convention avec la ville d'Egletons dans lequel on lit : “La convention de fourniture de chaleur au réseau de la ville doit être modifiée pour tenir compte des nouvelles conditions techniques liées au projet agricole et permettre une compatibilité entre les usages pour le chauffage et les maraîchers.“ Qu'est-ce que ça veut dire ? L'avenant prévoit ainsi dans la phase actuelle (“sans les serres“) que l'incinérateur garantie une puissance de 4 MW au réseau de chaleur, tandis que dans la phase ultérieure (avec les serres) la puissance garantie tombe à 1,5 MW...

     

    Le dernier argument pour ce projet ce serait donc l'emploi ?

    L'emploi, c'est le gros mirage ! Au nom de l'emploi on manque totalement de vigilance. Les porteurs du projet annoncent la création de 25 CDI et l'embauche temporaire de 60 à 80 saisonniers sur les périodes de cueillette. Nous doutons déjà beaucoup de la réalité de ces chiffres. Le projet prévoit à terme 8,5 hectares de serres. Or, une entreprise équivalente, Tom d'aqui, qui exploite 25 hectares de serres à tomates à Parentis-en-Born (Landes) – soit 3 fois plus que le projet de Rosiers d'Egletons – ne déclare que 10 à 15 salariés ! De plus la plupart des autres emplois sont des emplois précaires, qui demandent peu de qualification, sous-payés et pénibles... Il n'y a qu'à voir ce qui se passe pour le ramassage des melons en Charentes : ce sont des ouvriers bulgares qui viennent pour travailler... Le monde capitaliste étant ce qu'il est, les marges étant extrêmement faibles, je ne pense pas que ces serres soient la solution qui conviendra aux quelques 900 demandeurs d'emploi qui se trouvent sur la communauté de communes. Si la solution était si simple, cela aurait déjà été prouvé ! Nous savons bien, au contraire, que le coût de l'énergie et l'emploi sont toujours les variables d'ajustement de ce genre de projet. Est-ce la vocation de l'argent public de financer ainsi de l'emploi précaire ? Nous ne le pensons pas.

     

    Une pétition en ligne a été lancée pour s'opposer au projet : https://bit.ly/2sohOtF 
    Les mots pour le dire
    En lisant le rapport additif en date du 18 mai 2018 de la commission permanente du conseil départemental de la Corrèze à propos du projet de Rosiers-d'Egletons, vous apprendrez que tout est dans la manière de parler ! Il ne faut pas parler de serres, mais d' “écoserres“ et remplacer le mot incinérateur par “usine de valorisation énergétique“. Il suffit juste d'employer les bons mots !
  • Y-a-t-il une alternative à l'élevage industriel ?

    porc bioIl y a quelques mois, l'annonce d'un projet de porcherie sur la commune de Royère-de-Vassivière, au Villard, a vite suscité des craintes dont nous nous sommes fait l'écho dans notre dernier numéro. Ce projet n'est pas le seul à voir le jour en Limousin. Une coopérative de l'agro-alimentaire, la coopérative Cyrhio, est souvent derrière ces projets. On comprend son intérêt : développer dans des régions non encore sur-polluées comme la Bretagne, de nouvelles porcheries qui seraient plus « acceptables ». On peut se demander ce qui pousse des agriculteurs comme ceux de Royère, par ailleurs renommés dans l'élevage de bovins reproducteurs, à se tourner vers un tel projet. Nous avons cherché à comprendre cela en soumettant cette question à un paysan membre de la Confédération paysanne, Olivier Thouret, et à un ancien éleveur, Jérôme Orvain. Pour autant, et quelles que soient les éventuelles « bonnes raisons » qui peuvent expliquer un tel choix, il n'en demeure pas moins qu'un tel projet génère des effets sur l'environnement, les eaux, le voisinage. Sans compter qu'il incarne un modèle de développement qui regarde plutôt vers hier que vers demain. Comme l'explique Michel Bernard, en se basant sur l'étude d'un projet similaire (celui de Giat dans le Puy-de-Dôme), le modèle industriel annonce des catastrophes. Ne devrait-on pas déjà le savoir ?

     

    Avec le modèle industriel c'est la catastrophe annoncée !

    Le dossier du projet de porcherie de Royère n'est pas encore public à ce jour. Il ne pourra l'être que lorsque son étude administrative en préfecture sera terminée. À Giat, dans le Puy-de-Dôme, existe un projet similaire qui est très largement contesté. Il concerne l'élevage de 1000 porcs (contre 1200 dans le projet de Royère). C'est en comparant les deux projets à partir de l'analyse du dossier de Giat par différentes associations, que Michel Bernard montre les effets dévastateurs d'une porcherie industrielle.

     

    porcherie le villard

     

    Critiquer le projet de Royère n'est pas s'attaquer aux agriculteurs qui le portent, mais c'est s'attaquer à un modèle : celui de l'agriculture industrielle. De tels projets relèvent d’une vision dépassée de l’agriculture et ne correspondent plus à notre époque, ses besoins et ses contraintes. Les cochons y sont tout sauf en villégiature. Confinés, disposant de moins de 1 m² de superficie au sol par individu, les 1 200 bêtes (400 en post sevrage et 800 en engraissement) ne verront jamais la lumière du jour. Dans un flyer de présentation, les promoteurs du projet expliquent : « Le bâtiment d’élevage sera situé à plus de 230 m du tiers le plus proche. Il a été positionné de manière à être en dehors des vents dominants. » Vaste fumisterie quant on connaît les conditions météorologiques de ces dernières années : régulièrement des vents forts d’est et de nord avec des modifications imprévisibles.

     

    Une menace sur la ressource en eau

    Ces dernières années, comme en attestent les différents arrêtés sécheresse pris dans les départements limousins, nous avons été fortement touchés par le manque d'eau. Avec un tel projet, le réseau d'eau potable devra fournir un prélèvement supplémentaire de plus de 2 500 m3 annuels pour la consommation des porcs (selon la coopérative Cirhyo). Il faut y ajouter les eaux de lavage (prélevées sur le réseau d’eau potable, ce qui constitue une hérésie en matière économique comme en matière de préservation des ressources naturelles...). Le réseau aura-t-il les capacités suffisantes pour éviter les coupures d'eau aux habitants en période d’étiage ? Quelles sont les fréquences de lavage, les quantités d’eaux sales produites et leur traitement ?

     

    Épandage du lisier

    Le lisier de porcs est un effluent d’élevage sous forme liquide, très chargé en azote (ammoniacale et organique). Il sera épandu sur des parcelles agricoles, en l'occurence 266 hectares répartis sur les communes de Gentioux, Faux-la-Montagne et Royère-de-Vassivière. Il est considéré comme un engrais « naturel » malgré les produits chimiques qu’il peut contenir (produits de traitement et de nettoyage, médicaments vétérinaires...). Selon des calculs effectués à partir de données issues de la littérature (http://ifip.asso.fr) la quantité annuelle de lisier produite est d’environ 2000 m³ (1380 m³ selon Cirhyo). Cette estimation impacte en cascade le dimensionnement des cuves en sous-sol des bâtiments ainsi que les quantités à épandre sur les zones prévues à cet effet.
    Les zones d’épandage prévues ont-elles fait préalablement l’objet d’une étude géologique et de lixiviation (entraînement par l'eau des nutriments sous forme dissoute : les nitrates) pour s’assurer de l’absence de poches de rétention et (ou) de possibilités d’infiltration des eaux souterraines pouvant générer des pollutions ? Qu’en est-il de la pollution éventuelle du ruisseau du Mazeau qui va directement dans le Lac de Vassivière et quid de la station de pompage situé 400 m plus bas ? Pierre Ferrand et André Leycure (créateurs du Symiva, Lac de Vassivière, dans les années 1960) s’étaient engagés à l'époque à ne pas implanter de station d’épuration dans le bassin versant du lac pour éviter toute pollution. Là ce n’est pas une station, ce seront directement les effluents qui iront dans le lac !
    Quid des substances retrouvées dans les effluents et du risque de contamination des cours d’eau ? Les épandages étant prévus sur des communes du Parc naturel régional de Millevaches, le projet prend-il en compte les recommandations spécifiques au PNR ?

     

    modele economique porc industrie

     

    Action chimique du lisier de porc sur l’environnement

    Les nitrates, phase ultime de la transformation de l’azote, sont soit absorbés par les plantes, soit rejoignent, par ruissellement ou pénétration, les ruisseaux ou les nappes phréatiques. Faut-il rappeler les impacts redoutables des nitrates sur la qualité de l’eau ? En Bretagne, terre d’élevage de porcs, plus de 30 % des ressources en eau sont devenues impropres à la consommation. L’excès de nitrate dans l’eau provoque un phénomène : l’eutrophisation, qui est un excédent de nutriments dans un milieu. Une trop grande quantité de nitrates entraîne une croissance excessive de certaines plantes, algues et certaines cyanobactéries toxiques asphyxiant l’écosystème. L’apport excessif de nitrates agricoles est la première cause d’eutrophisation.
    Rappelons que ces dernières années des lacs du Plateau ont été interdits à la baignade suite à la prolifération de cyanobactéries ou d'algues. Ayant déjà une eau très acide, la grande solubilité des nitrates dans l’eau accélèrera davantage l’acidification des cours d’eau. Ceux-ci pourront-ils supporter l'apport engendré par l'épandage du lisier ? Quelle sera la conséquence sur le milieu aquatique ? Il en va de même des zones humides, certes petites, mais néanmoins importantes par leur rôle, et situées à proximité des zones d’épandage.
    L’impact sur les milieux aquatiques en aval est donc loin d’être inexistant. Les nitrates entraînent des réactions chimiques amenant à la création de molécules d’acides sulfuriques et nitriques. Cela augmente la concentration d’aluminium et de certains métaux lourds impactant très négativement le développement de la flore et de la faune aquatiques, avec également des conséquences sur le traitement des eaux et donc des coûts supplémentaires pour les collectivités.

     

    Pollution et contamination biologique

    Il est également important de tenir compte des autres polluants : antibiotiques, produits d’hygiène, dératisation… et de leurs conséquences sur les sols, les eaux, la faune et la flore sur le long terme. Rappelons que beaucoup de stations de production d'eau potable ne sont pas suffisamment équipées pour arrêter ces polluants et contaminations biologiques. Par ailleurs, ce type d'élevage étant plus sensible aux maladies, le risque de contamination par des virus (peste ovine africaine par exemple) ou des bactéries et de leur propagation est accrue.

     

    Un modèle économique obsolète

    En fait, on se retrouve ici devant une nouvelle tendance de l’agriculture, déjà connue par les chauffeurs de taxi ou les livreurs à vélo : l’ubérisation. L’agriculteur a un statut d’indépendant. C’est lui qui fait les investissements financiers, c’est lui qui travaille, mais il ne maîtrise ni ce qu’il achète ni ce qu’il vend. Et comme il produit du bas de gamme, il se retrouve directement confronté au marché mondial, avec ses variations et ses accords de libre-échange avec le Brésil ou le Canada. Et c’est Cirhyo, la coopérative acheteuse, qui décide des prix.
    D’autre part, le comportement des consommateurs en France évolue fortement depuis une dizaine d’années à travers deux nouveaux schémas : la recherche de qualité et le changement de régime alimentaire. Il n’est pas nécessaire de rappeler ici le développement des circuits courts de distribution, allié à la recherche d’une alimentation saine liée à une labellisation de l’agriculture biologique. Les élevages type Cyrhio correspondent au modèle triomphant des années 1980, en forte régression depuis. Les agriculteurs vont s’endetter fortement sur de longues années pour développer la production sur un marché en récession au niveau européen. Où est la logique ?
    Concernant le système d’élevage choisi, il est en radicale contradiction avec les attentes des consommateurs qui recherchent aujourd’hui des produits de qualité. Or nous savons que la densité et les conditions sanitaires dans ce type d’élevage industriel induisent l’utilisation massive de produits pharmaceutiques qui se retrouvent dans la viande et dans l'eau.

     

    Un danger majeur pour le tourisme local

    La Creuse souffre depuis longtemps d’un solde démographique négatif que toutes les politiques entreprises jusqu’ici n'ont pas compensé. La crise actuelle a conduit une forte population urbaine à réfléchir sur son mode de vie. On l’a vu au cours de l’été 2020, de nombreuses maisons ont trouvé preneurs. Une population nouvelle souhaite un territoire pourvu de qualités environnementales fortes (air, eau, alimentation, paysages) avec des services de proximité et des expériences de bon voisinage. C’est l’opportunité que la Creuse, et le Limousin en général, n’espérait plus. Ce type de projet va à l’encontre du développement tel qu’il est maintenant possible sur nos territoires de petite montagne. C’est la politique de la terre brûlée, de tels projets ayant aujourd’hui tendance à se multiplier et les épandages vont créer des nuisances olfactives régulières et récurrentes.

     

    Destruction d'emplois locaux

    Le projet de Royère ne va pas créer d'emploi sur notre territoire. Il va même en détruire. En effet, sur le hameau du Villard, à 300 m du bâtiment d’élevage, est installée depuis 50 ans l’association les Plateaux Limousins, qui œuvre sur le territoire pour l’accueil de publics divers et qui emploie 5 salariés. Comment cette association pourra-t-elle continuer son activité et maintenir ces emplois ? Quels touristes accepteront de venir passer un séjour dans les odeurs d'une porcherie ?
    Le type d’exploitation proposé par la coopérative Cirhyo repose sur une relation contractuelle exclusive entre la coopérative et l’agriculteur. Celui-ci achète les porcs et la nourriture à la coopérative, qui rachète les bêtes à l’issue de l’engraissage. L’agriculteur n’a pas de garantie si les prix fluctuent à la baisse. L’agriculteur qui a investit (ce n’est pas Cirhyo qui paie son installation) se retrouvera dans un marché en surproduction, avec des dettes.
    Toute la chaîne de traitement (abattage, découpage, transformation…) se trouve ainsi délocalisée.
    Ce sont des emplois directs qui sont ainsi perdus pour notre département qui se retrouve à ne fournir que de la matière première, comme le ferait un pays en voie de développement. Or la richesse vient de la création de valeur et, ici, du découpage puis de la transformation du porc. Les bouchers, le personnel de cuisine, les conserveries et unités de salaisons sont tous déportés ailleurs.

     

    sauvons eau stoppons les fermes usines

     

    Maltraitance animale

    En France, 95 % des cochons sont élevés selon le modèle le plus intensif : une vie sur du béton ou des caillebotis sans paille ni accès à l’extérieur, des truies encagées, des verrats isolés toute leur vie… À peine âgés de 7 jours, les porcelets subissent trois mutilations extrêmement douloureuses : la coupe de la queue, l’épointage des dents et, pour les mâles, la castration.1
    Les 1200 porcs seront enfermés dans un bâtiment, sans aucun accès à l’extérieur, si ce projet voit le jour. Chaque animal disposera donc de moins de 1 m². Avec des cycles d'engraissement de 111 jours en moyenne avant le départ à l'abattoir (Ifip, 2007), ce sont plusieurs milliers de porcs qui seront exploités chaque année. Les animaux seront élevés sur caillebotis intégral, une technique particulièrement mauvaise selon le docteur Anne Vonesch et Sébastien Rigal, du collectif « Plein air ». À l’origine de détresse, un tel sol est inconfortable à l’appui, favorise les lésions et les boiteries, n’assure aucun confort (ni physique ni thermique) au repos et expose les animaux aux émissions d’ammoniac des déjections stockées dans les fosses situées au-dessous (Vonesch & Rigal, 2015).
    Les maladies qui se développent dans l’élevage engendrent une surconsommation de médicaments : antibiotiques, antiparasitaires, mais aussi de plus en plus de probiotiques, divers additifs, etc., et beaucoup de vaccins et désinfectants servant à pérenniser le système industriel (Vonesch & coll., 2010). Remarquons que dans un passé récent, 33% des antibiotiques vendus en élevage ont été destinés aux porcs, avec 50 mg par kg de poids vif (Anses, 2020)2. Ceux-ci peuvent se retrouver, sous forme de résidus, dans la viande consommée et les effluents d’élevage, avec à la clé le risque de développement de résistance microbienne ou d’antibiorésistance en matière de santé humaine.

     

    Augmentation du trafic poids lourds

    Toujours dans le flyer de présentation du projet le trafic poids lourds est estimé à 52 camions par an (arrivée + livraison d’aliment). On peut penser que ce chiffre est largement sous-estimé (sans doute pour ne pas effrayer), car si nous prenons l’exemple du dossier du Gaec Le Breuil déposé en Creuse en avril 2021 (1000 équivalents/porcs), l'estimation est d'une livraison de céréales de 2 semi-remorques par jour auxquels il faut ajouter les autres livraisons... Ce trafic supplémentaire nécessitera un entretien renforcé de la voirie, à la charge de la commune et du département (pour rappel, on estime qu’un poids-lourd abîme autant la chaussée que le passage de 45 000 voitures).

    D'autres méthodes d'élevage existent et ont fait leurs preuves. Dans un objectif de diversification de l'élevage bovin, mais pas de spécialisation pour autant, notre territoire peut accueillir des élevages paysans de porcins en agriculture plus respectueuse. Selon les sondages, 89 % des Français se déclarent opposés à de tels élevages de porcs. Notre région, géologiquement proche du Massif armoricain ne doit pas devenir une deuxième Bretagne avec les mêmes problématiques sur l'eau et les sols. Ces problématiques ont un coût financier très élevé pour la collectivité quand il s'agit ensuite de remédier aux problèmes ainsi créés.
    L'agriculture en général et notre département en particulier ont des atouts pour une alimentation de qualité dans des conditions respectueuses de la nature et des animaux. Ce projet ne correspond ni à cette attente ni à la transformation actuelle du marché.

     

    Michel Bernard

    Sources :
    - Collectif Creuse 2021
    - Association de défense et de protection des Combrailles et Millevaches
    - Noporch 23

    1 - https://www.l214.com/animaux/cochons/mutilations-des-porcelets
    2 - ANSES, 2020. Suivi des ventes de médicaments vétérinaires contenant des antibiotiques en France en 2019.
    Rapport annuel. https://www.anses.fr/fr/system/files/ANMV-Ra-Antibiotiques2019.pdf
    - Vonesh A., Molé T., Thoraval J., Tribondeau C. Nous et les cochons, 2010. Réseau Cohérence :
    https://welfarm.fr/pdf/Nous%20et%20les%20cochons%20versionreduite.pdf
    - Vonesch A., Rigal S., Une “vie” de cochon en question, 2015, Collectif Plein air :
    https://collectifpleinair.eu/wp-content/uploads/2015/08/AlbumUVDCac.pdf

     

    La peste porcine se développe en Europe

    L'EFSA (Autorité européenne de sécurité des aliments) vient de publier son rapport épidémiologique annuel sur la peste porcine africaine (PPA). Selon ce rapport en 2023, 14 États membres ont été touchés par la maladie et les cas de PPA chez les porcs domestiques dans les États membres de l'UE ont été multipliés par cinq,
    Toujours selon le rapport de l'EFSA, pour les porcs domestiques, 2023 a vu le plus grand nombre de foyers de peste porcine africaine (PPA) depuis 2014. La Croatie et la Roumanie, avec respectivement 1124 et 740 foyers, ont déclaré 96 % du nombre total de foyers.

    Source : https://www.3trois3.com