Le dossier du projet de porcherie de Royère n'est pas encore public à ce jour. Il ne pourra l'être que lorsque son étude administrative en préfecture sera terminée. À Giat, dans le Puy-de-Dôme, existe un projet similaire qui est très largement contesté. Il concerne l'élevage de 1000 porcs (contre 1200 dans le projet de Royère). C'est en comparant les deux projets à partir de l'analyse du dossier de Giat par différentes associations, que Michel Bernard montre les effets dévastateurs d'une porcherie industrielle.
Critiquer le projet de Royère n'est pas s'attaquer aux agriculteurs qui le portent, mais c'est s'attaquer à un modèle : celui de l'agriculture industrielle. De tels projets relèvent d’une vision dépassée de l’agriculture et ne correspondent plus à notre époque, ses besoins et ses contraintes. Les cochons y sont tout sauf en villégiature. Confinés, disposant de moins de 1 m² de superficie au sol par individu, les 1 200 bêtes (400 en post sevrage et 800 en engraissement) ne verront jamais la lumière du jour. Dans un flyer de présentation, les promoteurs du projet expliquent : « Le bâtiment d’élevage sera situé à plus de 230 m du tiers le plus proche. Il a été positionné de manière à être en dehors des vents dominants. » Vaste fumisterie quant on connaît les conditions météorologiques de ces dernières années : régulièrement des vents forts d’est et de nord avec des modifications imprévisibles.
Ces dernières années, comme en attestent les différents arrêtés sécheresse pris dans les départements limousins, nous avons été fortement touchés par le manque d'eau. Avec un tel projet, le réseau d'eau potable devra fournir un prélèvement supplémentaire de plus de 2 500 m3 annuels pour la consommation des porcs (selon la coopérative Cirhyo). Il faut y ajouter les eaux de lavage (prélevées sur le réseau d’eau potable, ce qui constitue une hérésie en matière économique comme en matière de préservation des ressources naturelles...). Le réseau aura-t-il les capacités suffisantes pour éviter les coupures d'eau aux habitants en période d’étiage ? Quelles sont les fréquences de lavage, les quantités d’eaux sales produites et leur traitement ?
Le lisier de porcs est un effluent d’élevage sous forme liquide, très chargé en azote (ammoniacale et organique). Il sera épandu sur des parcelles agricoles, en l'occurence 266 hectares répartis sur les communes de Gentioux, Faux-la-Montagne et Royère-de-Vassivière. Il est considéré comme un engrais « naturel » malgré les produits chimiques qu’il peut contenir (produits de traitement et de nettoyage, médicaments vétérinaires...). Selon des calculs effectués à partir de données issues de la littérature (http://ifip.asso.fr) la quantité annuelle de lisier produite est d’environ 2000 m³ (1380 m³ selon Cirhyo). Cette estimation impacte en cascade le dimensionnement des cuves en sous-sol des bâtiments ainsi que les quantités à épandre sur les zones prévues à cet effet.Les zones d’épandage prévues ont-elles fait préalablement l’objet d’une étude géologique et de lixiviation (entraînement par l'eau des nutriments sous forme dissoute : les nitrates) pour s’assurer de l’absence de poches de rétention et (ou) de possibilités d’infiltration des eaux souterraines pouvant générer des pollutions ? Qu’en est-il de la pollution éventuelle du ruisseau du Mazeau qui va directement dans le Lac de Vassivière et quid de la station de pompage situé 400 m plus bas ? Pierre Ferrand et André Leycure (créateurs du Symiva, Lac de Vassivière, dans les années 1960) s’étaient engagés à l'époque à ne pas implanter de station d’épuration dans le bassin versant du lac pour éviter toute pollution. Là ce n’est pas une station, ce seront directement les effluents qui iront dans le lac !Quid des substances retrouvées dans les effluents et du risque de contamination des cours d’eau ? Les épandages étant prévus sur des communes du Parc naturel régional de Millevaches, le projet prend-il en compte les recommandations spécifiques au PNR ?
Les nitrates, phase ultime de la transformation de l’azote, sont soit absorbés par les plantes, soit rejoignent, par ruissellement ou pénétration, les ruisseaux ou les nappes phréatiques. Faut-il rappeler les impacts redoutables des nitrates sur la qualité de l’eau ? En Bretagne, terre d’élevage de porcs, plus de 30 % des ressources en eau sont devenues impropres à la consommation. L’excès de nitrate dans l’eau provoque un phénomène : l’eutrophisation, qui est un excédent de nutriments dans un milieu. Une trop grande quantité de nitrates entraîne une croissance excessive de certaines plantes, algues et certaines cyanobactéries toxiques asphyxiant l’écosystème. L’apport excessif de nitrates agricoles est la première cause d’eutrophisation. Rappelons que ces dernières années des lacs du Plateau ont été interdits à la baignade suite à la prolifération de cyanobactéries ou d'algues. Ayant déjà une eau très acide, la grande solubilité des nitrates dans l’eau accélèrera davantage l’acidification des cours d’eau. Ceux-ci pourront-ils supporter l'apport engendré par l'épandage du lisier ? Quelle sera la conséquence sur le milieu aquatique ? Il en va de même des zones humides, certes petites, mais néanmoins importantes par leur rôle, et situées à proximité des zones d’épandage.L’impact sur les milieux aquatiques en aval est donc loin d’être inexistant. Les nitrates entraînent des réactions chimiques amenant à la création de molécules d’acides sulfuriques et nitriques. Cela augmente la concentration d’aluminium et de certains métaux lourds impactant très négativement le développement de la flore et de la faune aquatiques, avec également des conséquences sur le traitement des eaux et donc des coûts supplémentaires pour les collectivités.
Il est également important de tenir compte des autres polluants : antibiotiques, produits d’hygiène, dératisation… et de leurs conséquences sur les sols, les eaux, la faune et la flore sur le long terme. Rappelons que beaucoup de stations de production d'eau potable ne sont pas suffisamment équipées pour arrêter ces polluants et contaminations biologiques. Par ailleurs, ce type d'élevage étant plus sensible aux maladies, le risque de contamination par des virus (peste ovine africaine par exemple) ou des bactéries et de leur propagation est accrue.
En fait, on se retrouve ici devant une nouvelle tendance de l’agriculture, déjà connue par les chauffeurs de taxi ou les livreurs à vélo : l’ubérisation. L’agriculteur a un statut d’indépendant. C’est lui qui fait les investissements financiers, c’est lui qui travaille, mais il ne maîtrise ni ce qu’il achète ni ce qu’il vend. Et comme il produit du bas de gamme, il se retrouve directement confronté au marché mondial, avec ses variations et ses accords de libre-échange avec le Brésil ou le Canada. Et c’est Cirhyo, la coopérative acheteuse, qui décide des prix. D’autre part, le comportement des consommateurs en France évolue fortement depuis une dizaine d’années à travers deux nouveaux schémas : la recherche de qualité et le changement de régime alimentaire. Il n’est pas nécessaire de rappeler ici le développement des circuits courts de distribution, allié à la recherche d’une alimentation saine liée à une labellisation de l’agriculture biologique. Les élevages type Cyrhio correspondent au modèle triomphant des années 1980, en forte régression depuis. Les agriculteurs vont s’endetter fortement sur de longues années pour développer la production sur un marché en récession au niveau européen. Où est la logique ?Concernant le système d’élevage choisi, il est en radicale contradiction avec les attentes des consommateurs qui recherchent aujourd’hui des produits de qualité. Or nous savons que la densité et les conditions sanitaires dans ce type d’élevage industriel induisent l’utilisation massive de produits pharmaceutiques qui se retrouvent dans la viande et dans l'eau.
La Creuse souffre depuis longtemps d’un solde démographique négatif que toutes les politiques entreprises jusqu’ici n'ont pas compensé. La crise actuelle a conduit une forte population urbaine à réfléchir sur son mode de vie. On l’a vu au cours de l’été 2020, de nombreuses maisons ont trouvé preneurs. Une population nouvelle souhaite un territoire pourvu de qualités environnementales fortes (air, eau, alimentation, paysages) avec des services de proximité et des expériences de bon voisinage. C’est l’opportunité que la Creuse, et le Limousin en général, n’espérait plus. Ce type de projet va à l’encontre du développement tel qu’il est maintenant possible sur nos territoires de petite montagne. C’est la politique de la terre brûlée, de tels projets ayant aujourd’hui tendance à se multiplier et les épandages vont créer des nuisances olfactives régulières et récurrentes.
Le projet de Royère ne va pas créer d'emploi sur notre territoire. Il va même en détruire. En effet, sur le hameau du Villard, à 300 m du bâtiment d’élevage, est installée depuis 50 ans l’association les Plateaux Limousins, qui œuvre sur le territoire pour l’accueil de publics divers et qui emploie 5 salariés. Comment cette association pourra-t-elle continuer son activité et maintenir ces emplois ? Quels touristes accepteront de venir passer un séjour dans les odeurs d'une porcherie ?Le type d’exploitation proposé par la coopérative Cirhyo repose sur une relation contractuelle exclusive entre la coopérative et l’agriculteur. Celui-ci achète les porcs et la nourriture à la coopérative, qui rachète les bêtes à l’issue de l’engraissage. L’agriculteur n’a pas de garantie si les prix fluctuent à la baisse. L’agriculteur qui a investit (ce n’est pas Cirhyo qui paie son installation) se retrouvera dans un marché en surproduction, avec des dettes.Toute la chaîne de traitement (abattage, découpage, transformation…) se trouve ainsi délocalisée. Ce sont des emplois directs qui sont ainsi perdus pour notre département qui se retrouve à ne fournir que de la matière première, comme le ferait un pays en voie de développement. Or la richesse vient de la création de valeur et, ici, du découpage puis de la transformation du porc. Les bouchers, le personnel de cuisine, les conserveries et unités de salaisons sont tous déportés ailleurs.
En France, 95 % des cochons sont élevés selon le modèle le plus intensif : une vie sur du béton ou des caillebotis sans paille ni accès à l’extérieur, des truies encagées, des verrats isolés toute leur vie… À peine âgés de 7 jours, les porcelets subissent trois mutilations extrêmement douloureuses : la coupe de la queue, l’épointage des dents et, pour les mâles, la castration.1Les 1200 porcs seront enfermés dans un bâtiment, sans aucun accès à l’extérieur, si ce projet voit le jour. Chaque animal disposera donc de moins de 1 m². Avec des cycles d'engraissement de 111 jours en moyenne avant le départ à l'abattoir (Ifip, 2007), ce sont plusieurs milliers de porcs qui seront exploités chaque année. Les animaux seront élevés sur caillebotis intégral, une technique particulièrement mauvaise selon le docteur Anne Vonesch et Sébastien Rigal, du collectif « Plein air ». À l’origine de détresse, un tel sol est inconfortable à l’appui, favorise les lésions et les boiteries, n’assure aucun confort (ni physique ni thermique) au repos et expose les animaux aux émissions d’ammoniac des déjections stockées dans les fosses situées au-dessous (Vonesch & Rigal, 2015).Les maladies qui se développent dans l’élevage engendrent une surconsommation de médicaments : antibiotiques, antiparasitaires, mais aussi de plus en plus de probiotiques, divers additifs, etc., et beaucoup de vaccins et désinfectants servant à pérenniser le système industriel (Vonesch & coll., 2010). Remarquons que dans un passé récent, 33% des antibiotiques vendus en élevage ont été destinés aux porcs, avec 50 mg par kg de poids vif (Anses, 2020)2. Ceux-ci peuvent se retrouver, sous forme de résidus, dans la viande consommée et les effluents d’élevage, avec à la clé le risque de développement de résistance microbienne ou d’antibiorésistance en matière de santé humaine.
Toujours dans le flyer de présentation du projet le trafic poids lourds est estimé à 52 camions par an (arrivée + livraison d’aliment). On peut penser que ce chiffre est largement sous-estimé (sans doute pour ne pas effrayer), car si nous prenons l’exemple du dossier du Gaec Le Breuil déposé en Creuse en avril 2021 (1000 équivalents/porcs), l'estimation est d'une livraison de céréales de 2 semi-remorques par jour auxquels il faut ajouter les autres livraisons... Ce trafic supplémentaire nécessitera un entretien renforcé de la voirie, à la charge de la commune et du département (pour rappel, on estime qu’un poids-lourd abîme autant la chaussée que le passage de 45 000 voitures).
D'autres méthodes d'élevage existent et ont fait leurs preuves. Dans un objectif de diversification de l'élevage bovin, mais pas de spécialisation pour autant, notre territoire peut accueillir des élevages paysans de porcins en agriculture plus respectueuse. Selon les sondages, 89 % des Français se déclarent opposés à de tels élevages de porcs. Notre région, géologiquement proche du Massif armoricain ne doit pas devenir une deuxième Bretagne avec les mêmes problématiques sur l'eau et les sols. Ces problématiques ont un coût financier très élevé pour la collectivité quand il s'agit ensuite de remédier aux problèmes ainsi créés.L'agriculture en général et notre département en particulier ont des atouts pour une alimentation de qualité dans des conditions respectueuses de la nature et des animaux. Ce projet ne correspond ni à cette attente ni à la transformation actuelle du marché.