Ils sont musulmans d’origine, certains sont religieux mais pas tous. Ils sont français, ont étudié en France, sont le plus souvent diplômés de l’enseignement supérieur. Plus de la moitié ont bac plus 5. Les deux tiers ont connu une ascension sociale, leurs parents étant souvent des ouvriers immigrés. Ils évoquent la violence de l’islamophobie ordinaire qu’ils ont connue au collège, à l’université, au travail où ils se heurtent parfois au plafond de verre. Ce racisme s’est exacerbé depuis 2015. Ils évoquent un vécu d’anxiété, d’hypervigilance, la sensation d’étouffer. Lassés des petites phrases, des remarques malveillantes, épuisés de devoir à chaque attentat se dissocier des groupes terroristes, ils étouffent. Alors ils partent ; à Bruxelles, Berlin, Londres, Dubaï, etc., où enfin ils respirent.Dans ces lieux, leur savoir-faire est reconnu et apprécié et leur religion ou supposée telle n’a aucune importance. Qu’ils mangent ou pas du porc, qu’ils fassent ramadan ou non sont des non-sujets. Ils jeunent au lieu de prendre leur pause-café et parfois même on leur propose des aménagements d’horaires. Les femmes portent le foulard, personne ne leur fait de remarques et cela n’a pas d’incidence sur leur carrière. Ils se sentent enfin Français de l’étranger sans restriction.
Mais il ne s’agit pas que du racisme d’individus. L’État aussi porte une responsabilité dans cette islamophobie latente. Le principe de laïcité défini par la loi de 1905 garantit la liberté de conscience et la liberté de manifester son appartenance religieuse, la liberté pour chacun d’exprimer sa religion, dans le respect de l’ordre public. Pour l’État et les services publics, ceci implique la neutralité face à toutes les religions et à toutes les croyances. L’État se doit de rendre possibles l’exercice et la pratique de tous les cultes.C’est au nom de ce principe qu’en 1989, le Conseil d’État saisi de « l’affaire du voile » (trois jeunes filles exclues de leur lycée car elles y étaient venues voilées), affirme que le port du voile dans un établissement scolaire public est compatible avec le principe de laïcité et que l’exclusion d’élèves ne peut se justifier que si le port du voile peut menacer ou troubler l’ordre public.Mais en 2004 la loi interdit le port ostensible de signes religieux à l’école. C’est avant tout le voile qui mobilise et hystérise le débat. Le vêtement est alors considéré comme acte de propagande. Cette loi constitue un dévoiement du principe de laïcité. Par ailleurs elle ne règle en rien les problèmes liés aux convictions religieuses des élèves.
Au nom du principe de laïcité, au fil des ans on verra se succéder les « affaires » auxquelles participent politiques et médias. En 2010, loi interdisant la burqa et le niqab (pas de visage dissimulé dans la rue), en 2011, les prières de rue, en 2012 les accompagnatrices scolaires voilées, en 2013 et 2016 le voile à l'université, en 2016 le burkini sur les plages publiques, en 2019 le burkini dans les piscines municipales, en 2020 le voile dans le football, en 2021 : les menus sans viande dans les cantines scolaires, les élus et les signes religieux (candidate aux élections voilée), en 2023 les matchs de football pendant le ramadan, et en 2023 l'interdiction de l'abaya. De 1989 à 2023 quelle évolution !L’islam (symbolisé par le voile et l’abaya) est devenu l’ennemi intérieur. En 2020 l’État dissout le collectif contre le racisme et l’islamophobie. En décembre 2023, Edouard Philippe déclare que la France doit réformer sa loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l'État car elle « n’est peut-être pas en mesure de traiter la spécificité de l’islam ». C’est la première fois qu’une personnalité politique importante soutient un traitement différencié des religions.L’islamophobie est une idéologie, similaire au racisme, qui construit et perpétue des représentations négatives de l’islam et des musulmans, donnant lieu à des pratiques discriminatoires et d’exclusion. Une partie de ceux qui en sont victimes sont les premiers à en tirer leur conclusion : quitter la France.