Aux éditions Le Bruit des autres à Limoges.
10 euros. (Pour ceux qui en auraient raté la lecture le 23 septembre dernier à Tarnac, ils pourront compléter la lecture du poème par le visionnage du n°142, novembre 2006, du Magazine du plateau de Télé Millevaches entièrement consacré à Armand Gatti et sa résistance en Limousin).
Voici un petit livre d'à peine 90 pages qui renferme sous son modeste format une qualité de propos et d'analyse qui mérite largement les 8,50 € qu'il coûte !
A l'origine un entretien avec Guingouin réalisé en août 2002 par Francis Juchereau et qui constitue la première partie du livre. Plutôt que de revenir sur la période de la guerre et de la résistance, Georges Guingouin prend prétexte de quelques épisodes de sa vie, avant ou après la guerre, pour transmettre quelques enseignements qu'il a pu tirer de son "chemin de Résistances". Il avoue son admiration pour Pierre Leroux et pour toutes les expériences coopératives qui eurent lieu en Limousin : "Ces réalisations traduisent la grande ligne politique d'émancipation de l'homme par les travailleurs associés énoncé par Karl Marx. Nous y retrouvons aussi la marque du grand combat de Jean Jaurès pour la création de la coopérative ouvrière d'Albi". Leroux, Marx, Jaurès : en se référant aux "pères fondateurs", Guingouin réaffirme la vivacité de son espoir en l'homme, et ne rend que plus sévères ses jugements sur leurs fils putatifs qui de Staline aux apparatchiks du PCF (Maurice Thorez, Jacques Duclos, Jeannette Vermeersch, Waldeck-Rochet, Plissonnier et Marchais en prennent pour leurs grades !) trahirent la confiance que le peuple avait mis en eux. Ce qui nous vaut quelques maximes qui prennent toute leur force d'avoir été éprouvées par l'événement : "Ce n'est pas le bruit - parole ou bavardages - qui montre, au fond, la valeur des individus : ce sont les actes". Ou, à propos de la pratique du secret au sein du parti communiste : "Ce phénomène du secret des sphères de pouvoir s'inscrit dans l'histoire de l'humanité. Dans les premières sociétés humaines historiques les groupes dirigeants étaient sacrés. Puis dans les sociétés modernes la fonction dirigeante perdit son caractère sacré : le secret remplaça le sacré". Interrogé sur le mouvement altermondialiste comme réponse aux grands problèmes de l'heure, Guingouin répond : "Il y a un foisonnement, c'est certain. Du moment qu'en haut il y a échec, à la base il y a recherche".
Dans une seconde partie, Gérard Monédiaire, tente de décrypter ce qui peut expliquer le cheminement d'éternel résistant de Georges Guingouin. En suivant son itinéraire, il propose en fait une réflexion générale sur "les rapports, toujours problématiques, entre liberté individuelle et immersion dans une époque donnée, en l'occurrence le XXème siècle". On ne saurait trop conseiller le lecteur intéressé, ou peu informé de l'itinéraire de Guingouin, de se reporter chez le même éditeur aux ouvrages déjà parus de Michel Taubmann (L'affaire Guingouin), Gérard Monédiaire (Georges Guingouin, premier maquisard de France) et Georges Guingouin lui-même (Quatre ans de lutte sur le sol limousin).
Le 4 avril 1944, un groupe de résistants communistes, au chef bien connu, Georges Guingouin, surnommé « Lo Grand », quittait la forêt de Châteauneuf, pour rejoindre les confins de la Haute-Vienne et de la Creuse. Il était urgent pour eux de s’éloigner des routes suivies par la terrifiante division Brehmer, qui allait laisser derrière elle un long sillage de morts, de rafles et de désolation (lire: Jeudi Saint, de Jean-Marie Borzeix, 2008, éditions Stock). La « compagnie de choc » commandée par Guingouin lui-même (IPNS n° 8, 29, 51, 65) était formée de 150 hommes, suivant dans des camions les 3 mules qui transportaient armes et bagages, mules gentiment prénommées la Marie, la Margot et la Jolie. Direction la forêt de La Feuillade. La population creusoise qui vit passer le défilé ne connaissait pas l’existence de ce groupe. Une rumeur commença à circuler – témoignages véridiques – parlant d’un repli du « grand maquis de Savoie ». On était en effet 10 jours seulement après la réduction tragique du maquis des Glières. Arrivés dans la dite forêt, les maquisards eurent besoin de faire ferrer les mules à Faux-la-Montagne, ce qui attira un peu plus l’attention sur leur groupe. Informée, la division Brehmer commença à le suivre à la trace, il fallait donc trouver un endroit plus sûr. Guingouin choisit le secteur de Vassivière, plus précisément le château pour le QG et l’intendance, et les bois de Chassagnas tout proches pour les hommes.
Mais il y avait là celle que les maquis surnommaient « la baronne » : Jeanne Pascale-Vassivière.
Comme à l’évidence cette dame renâclait à accueillir tous ces « terroristes », le « Grand Georges » dut la menacer de représailles pour obtenir son silence, ce qui fonctionna à merveille. D’autant que le garde-chasse du château sonnait du cor chaque fois qu’une colonne ennemie approchait. Une perquisition allemande eut lieu au château, évacué peu avant par les FTP. Et personne ne viola le secret. Ce ne fut pourtant pas une partie de plaisir, ce mois d’avril 1944 étant exceptionnellement froid. Cantonnement rustique, voire à la belle étoile, sous les sapins de Chassagnas. Du ravitaillement presque luxueux provenant du château, on passa à des réserves plus spartiates faites de quelques tourtes, une caisse de biscuits secs, un seul jambon, coupé en « feuilles de papier à cigarettes » ! Le tout arrosé d’eau claire, fini le pinard, plus de tabac, pas de feux. Tout ceci est raconté avec beaucoup de détails dans les ouvrages Quatre ans de lutte sur le sol limousin (G.Guingouin, 1974, éd.Hachette) et Une légende du maquis (F.Grenard, 2014, éd. Vendémiaire, IPNS n° 50).
Ce séjour fut finalement court, la division Brehmer étant dissoute après le 19 avril 1944, à Paris. Elle avait malheureusement fait 347 victimes en 3 semaines, sans compter les centaines d’arrestations et déportations. Le 16 avril, les maquisards purent regagner les environs du Mont Gargan, traversant bruyamment les villages. Ainsi à Neuvialle (commune de Nedde), où le jour de la Quasimodo, le convoi perturba le rituel d’une procession. Arborant le drapeau tricolore, les voitures du détachement klaxonnaient la bonne nouvelle : « le maquis est de retour ». Et on n’a plus eu de nouvelles des mules. Cet épisode presque amusant, au regard de tant d’autres drames, dut laisser un curieux souvenir fait de sueurs froides, aux protagonistes. « La baronne » retrouva sa douce quiétude champêtre. Décédée en 1957, elle repose au cimetière de Beaumont, devenu depuis… du Lac. Le colonel communiste, Georges Guingouin, libéra Limoges 4 mois plus tard, il en devint maire de 1945 à 1947.
L'hommage d'Armand Gatti à Georges Guingouin.
Dans un tableau gigantesque intitulé "Le Cyclope", Paul Rebeyrolle avait rendu par la grâce de la peinture, un grandiose hommage à son ami Guingouin.
Il manquait au "premier maquisard de France" un monument de la même trempe, tracé cette fois avec des mots, que seul un poète pouvait construire. C'est chose faite avec un poème fleuve de plus de 120 pages qu'Armand Gatti vient juste de terminer et qu'il a bien voulu nous confier pour que nous en publions ici un (court) extrait.
Ce texte, fort, heurté, imprégné d'Histoire et de luttes, est scandé de mots qui reviennent régulièrement, et d'abord (d'où le titre de l'oeuvre) les cinq noms que porta Guingouin durant la Résistance : Lo Grand comme l'appelaient les gens du pays, Le Chêne qui disait sa puissance, L'Orage nom que lui donnèrent les déserteurs russes faits prisonniers après la bataille du Mont Gargan, Bootstrap nom de guerre que lui attribuèrent les parachutistes anglais du 3ème SAS, et Raoul, son nom de maquis. Gatti explique que ces cinq noms de Résistance furent "les clefs de gamme" de l'épopée de Guingouin. Ce sont aussi les clefs de gamme de son hommage à la "Résistance guérillère" et à son héros. Les combats maquisards sont "comme notes de musique d'une symphonie à inventer" que Gatti, au fil des lignes invente, installe dans la puissance des mots, des phrases et de la mélodie qui rythme ce texte. On l'entend déjà, ce poème symphonique, dans le vent qui souffle l'hiver sur le plateau, dans le balancement des arbres de la forêt de la Berbeyrolle où Gatti rencontra pour la première fois Raoul-Le Chêne-L'Orage-Bootstrap-Lo Grand.
Cinq fois Georges Guingouin
Jaillissant
comme un bouquet de fleurs roses de bruyère
dit que les combats du maquis
sont un parfum
dont les arbres portent la verticalité
Les mille sources du Plateau
se mettent aussitôt à chanter
La Corrèze
La Creuse
La Vézère
et la Vienne en sont la portée
avec comme clef :
- les vieilles hêtraies, les futaies ouvertes
- les couvertures des tourbières avec lesquelles s'abriter de l'intempérie
- les châtaigniers qui avaient plus d'une fois sauvé des familles de paysans de la famine
- la main de l'industrie qui se levait dans le paysage en signe de complicité
- les gorges où les ruisseaux crient la solitude de la pierre
- les traits d'eau dans les sous bois mousseux donnant naissance à des pactes secrets
- deux mille excavations qui disent encore les mines d'or petits reliefs évocateurs des luttes des travailleurs que recouvrent maintenant des friches boisées.
Les sources y sont tutoiement continu.
Le Limousin restera-t-il
la symétrie des pays de la Longue Marche
dont les troubadours médiévaux disaient déjà
qu'en lui
le moindre jardin
valait mieux que la richesse et l'argent
sur une autre terre
Ô Georges Guingouin
Avec ton nom multiplié en Raoul, (lo) Grand,
l'Orage, le Chêne, Bootstrap
les acacias des quatre rivières
élisent en quatre saisons ta présence
Le vent dans les arbres n'est-il point l'univers
qui parle ?
Pour le maquisard
le chêne de la Berbeyrolle était
le psalmiste, en chants de la nature,
dans lequel
s'agrandissait
une façon d'être sur terre
Qu'est-ce qu'un maquisard ?
une bouteille jetée à la mer
Les Lémovices luttent avec acharnement contre les "légions romaines". Lors du siège d'Alésia où s'était retranché Vercingétorix (52 ans avant J.C.) ils répondent à l'appel au secours de ce dernier comme toutes les tribus gauloises coalisées, le prince Sédulix à leur tête. Mais cette tentative désespérée tourne au désastre et Sédulix est tué parmi des milliers d'autres braves. Vercingétorix se rend. Les légions romaines occupent la région lémovique. La dernière défense des Lémovices sera le bastion d'Uzerche. La répression des légions romaines est terrible, beaucoup de bourgades sont incendiées, leurs habitants massacrés ou réduits à l'esclavage.• Sous les "Proconsuls romains" le Limousin devient galloromain, Ritu devient Augustoritum et comptera jusqu'à 20 000 habitants.
Soldats et centurions romains, leur temps fini, s'installent dans la région, deviennent propriétaires de vastes étendues de terrain au centre desquelles s'élèvent d'imposantes villas dont on retrouve de nos jours de nombreux vestiges.
Le parler populaire constitué d'un mélange de celte et de latin donnera la langue d'Oc, langue parlée dans cette région couverte de forêts aux noms de localités évocateurs Chateauneuf-la-Forêt, Saint Gilles-les-Forêts...
Les Wisigoths venant d'Espagne s'emparent de toute l'Aquitaine en 418. Ils poussent leur conquête jusqu'à la "Marchia lemovicia" qui tombe en leur pouvoir et l'occupent. Mais Clovis, à la tête des Fràncs, bat les Wisigoths à Vouillé près de Poitiers en 507, les refoulant en Espagne.
Au Moyen âge, les guerres étendent leurs ravages. Pour y échapper la population se réfugie dans de grands souterrains (étymologie de "La Souterraine'', survivance de l'époque ; étymologie de "Sussac", futur haut lieu du Maquis limousin, "A sus et à sac", mot de ralliement des guerriers). Le vicomte de Limoges est vassal du duc d'Aquitaine. La fille de ce dernier, Aliénor d'Aquitaine, répudiée par Louis VII, épousant Henri Plantagenet, le duché d'Aquitaine devient vassal du roi d'Angleterre. Le vicomte de Limoges refuse cette suzeraineté. Le fils d'Henri Il Plantagenet, devenu le roi "Richard Coeur de Lion" trouvera la mort au siège de Châlus en 1199.
Plus tard, pendant la guerre de Cent ans, le fils d'Edouard Ill, le Prince Noir, s'emparera de Limoges et passera toute la population au fil de l'épée (il avait capturé à Poitiers, en 1356, le roi de France Jean le Bon).
Le 11 novembre 1942, dans le cadre de l'occupation de la zone dite "libre" les unités allemandes déferleront sur le Limousin. Dans la région R5, les résistants lèveront une véritable armée comptant à elle seule 67 250 combattants : sur 20 régiments FFI formés en France, elle en fournira 9.
Dès mai 1944, le commandement allemand ordonnera à ses troupes de ne plus "circuler que dans des convois bien armés comprenant au moins trois véhicules" dans cette zone.
La terre limousine connaîtra les représailles de l'ennemi exaspéré : ce seront les pendus de Tulle (Corrèze), les fusillés de Combeauvert (Creuse), l'holocauste d'Oradour sur Glane (Haute-Vienne) où les hommes étant massacrés, femmes et enfants seront brûlés vifs dans la petite église. Il faut noter le rôle important que jouera la Résistance limousine en retardant la llème division blindée SS "Das Reich" dans sa marche sur la Normandie. Alors que le général Lammerding avait reçu le 9 juin après-midi à Limoges l'ordre impératif de rejoindre cette zone, ce n'est ni le 10, ni le 11 , malgré un rappel pressant du Haut commandement allemand, mais le 12 que la division put faire mouvement vers le front de la Normandie. 48 heures avaient été perdues par elle alors que les heures étaient si précieuses, décidant du succès du débarquement. donc du sort de la guerre.
Le général Von Choltitz qui commandait le 84ème Corps d'Armée face débarquement évoquera, non sans amertume, dans mémoires : "l'absence de deux à trois divisions blindées qui auraient suffi à rejeter l'assaillant à la mer''. Et le généralissime américain Eisenhower dans son livre Les opérations en Europe des forces expéditionnaires alliées notera : "un certain nombre de renforts allemands furent envoyés sur le front de Normandie mais les perspectives de notre ennemi n'étaient pas brillantes...
Dans le sud de la France, il n'avait que 12 divisions dont 7 ou 8 seulement étaient disponibles pour garder la côte, grâce à l'action du maquis à l'intérieur du pays". Malgré un armement dérisoire face aux blindés, comme jadis les faux paysans contre les cuirassés des seigneurs féodaux, une automitrailleuse est enlevée au 4ème régiment blindé de grenadiers "Der Führer'' à Sainte Anne Saint Priest et la "Das Reich" perdra en Limousin le "héros de la division", le Sturmbannführer Kampfe, décoré successivement de la Croix de Fer de 2ème classe, de celle de 1ère classe, puis de la plus haute distinction militaire allemande, la "Ritterkreuz" (Croix de chevalier).
Le général Eisenhower déclara également, rendant justice à la Résistance française qui aida beaucoup à la victoire : "Notre quartier général estimait que, par moments, la valeur de l'aide apportée par les FFI à la campagne représentait l'équivalent en hommes de 15 divisions et grâce à leur assistance, la rapidité de notre avance à travers la France fut grandement facilitée".
La Résistance limousine, de plus, libérera par ses propres forces tout son territoire et, alors qu'unanimement les résistants reconnaîtront Lyon pour "la capitale de la Résistance" française, Limoges peut revendiquer le titre de "Capitale du Maquis" aux yeux des générations futures.
Outre les luttes de résistance aux invasions ennemies, il faut noter le mouvement d'émancipation paysanne qui souleva cette région en 1592. Exaspérée par la misère, les pillages et les crimes commis par des troupes d'aventuriers, tantôt papistes, tantôt huguenots qui rançonnaient le pays, le peuple se souleva. Ce furent les gens de Crocq, une paroisse près d'Aubusson en Creuse, qui furent les initiateurs de cette révolte paysanne. Bientôt trente à quarante mille laboureurs et manouvriers armés de fourches et de faux se dressèrent contre les soldats mercenaires sur le plateau de Millevaches, les paysans appelèrent le peuple des villes à prendre les armes : "Communes assemblées, nous vous prions vous armer incontinent comme nous pour la juste et saincte occasion que nous en avons et nous empêcherons et éviterons mille voleries et assassinats, exactions, pilleries et pétardements qu'ont accoutumé de faire cy devant un tas de voleurs et bridevaches et nos bergers garderont nos vaches et nous, nous mangerons notre pain sans être plus gêné et tyrannisés comme nous l'avons été par cy devant et ce faisant nous ne pourrons faillir que ne tenions la province en paix".
Les Croquants se posaient en réformateurs de la société. Lambert, gouverneur du Limousin, d'Albain, gouverneur de la Marche, puis le général de Matignon écrasèrent l'insurrection. Les troubles prirent fin en 1596. Les insurgés furent de nouveau soumis au joug féodal mais ils obtinrent cependant la remise des "tailles arriérées". La taille était un lourd impôt payé au roi, équivalent environ au dixième des revenus. Les nobles et les membres du clergé en étaient exemptés.
Une traversée du siècle via les maquis limousins
C'est un gros roman de presque 1000 pages. Un pavé dans l'histoire du XXème siècle qui commence en 1900 avec la naissance d'un certain Pierre Perrignon qu'on suivra jusqu'à l'autre bout du siècle à travers les vicissitudes de l'Histoire et de sa vie d'homme.
C'est aussi l'histoire d'un autre homme, Augustin, né en 1945, le fils inconnu et ignoré de Pierre, dont les retrouvailles sont le prétexte à revisiter le siècle : la révolte des vignerons de Champagne en 1910, la boucherie de 14-18, les hauts et les bas de l'espérance communiste, l'exode de 40, les maquis, la déportation à Buchenwald, la libération de Paris, puis 1968 et les hoquets nauséeux d'une fin de siècle un peu désabusée. On l'aura compris l'exercice romanesque est de proposer un bilan d'une période terrible au travers de deux hommes engagés dans les tourments de l'Histoire, des hommes passionnés, comme l'est Daniel Rondeau. On y rencontre de nombreux inconnus comme Berthet l'instituteur anarchiste, mais on y croise aussi beaucoup de noms connus devenus personnages de la fresque de Rondeau : Péguy, Thorez, Duclos, Hemingway, etc. Et parmi eux, un nom auquel Rondeau a donné une place de choix : Georges Guingouin, le préfet du maquis installé "dans sa corbeille de montagnes limousines, dont il faisait davantage qu'un centre géographique : un nombril moral, un tabernacle pour l'âme de la Révolution" (voir les explications de Daniel Rondeau ci-dessous).
Une lecture captivante et passionnante qui invite non seulement à relire son histoire, mais surtout à se demander si l'homme n'est qu'un jouet dans ce maelström où, au contraire, s'il peut y tisser sa trame de liberté, voire arquer la marche du temps. Des questions que se pose aussi Perrignon, le héros de Rondeau : "Et si le monde n'existait que pour permettre à des écrivains de le raconter ? Et si les hommes ne vivaient que pour permettre à une poignée d'entre eux, appelez-les comme vous voulez, bardes, poètes, romanciers, de les chanter ?". Il y a 3000 ans, Homère, plus sûr de lui, avait donné sa réponse : "Les dieux disposent les destinées humaines et décident la chute des hommes afin que les générations futures puissent composer des chants". On n'est évidemment pas obligé de le croire…
IPNS a demandé à Daniel Rondeau pourquoi il avait donné au personnage de Guingouin une place emblématique dans son roman. J'ai "rencontré" le personnage de Guingouin quand je militais à l'extrême gauche, après 1968. Nous étions "obsédés de sincérité", comme disait Malraux, et nous avions la religion du peuple et de la résistance. Guingouin, comme Tillon, était une de nos références. Des aînés fraternels. Plus tard (fin des années 80), j'ai passé plusieurs étés de suite dans une maison solitaire, très belle, du Limousin. Je me suis alors laissé envahir par la beauté de cette campagne, qui semblait restée la même que celle des gravures du XVIIème siècle, et où vivait un imaginaire toujours fécond. Ce n'était pas très loin de Magnac Laval. J'ai eu l'idée de rencontrer l'ancien Préfet du maquis, je me suis abonné à son bulletin de liaison (que je lis toujours), mais j'ai appris qu'il vivait non loin de chez moi, en Champagne. Je lui ai écrit et lui ai rendu visite. J'ai écrit un portrait de lui dans Le Nouvel Observateur, à la suite duquel j'ai reçu un très long coup de fil de Robert Hue, alors secrétaire général du parti communiste, qui était prêt à le réhabiliter. C'est vrai que le Limousin a beaucoup compté pour moi (j'ai failli m'installer chez vous plutôt qu'en Champagne !). Et Guingouin aussi, naturellement. J'avais tout de suite penser à lui en commençant ma Marche. Il y a du roman dans sa vie. Cette lumière qu'il incarne dans la résistance, cette vie ensuite passée ensevelie de mensonges et d'ombres...
Le roman interroge toujours la complexité des choses et des hommes. Guingouin à lui seul symbolise la complexité de notre histoire, comme de toute histoire (le communisme, la résistance, le gaullisme, la guerre, la paix...). Duclos aussi, comme Thorez d'ailleurs, mais ils sont ailleurs. Ceci posé, plus je m'enfonçais dans mon livre, moins je jugeais mes personnages. Dans l'Evangile, le Christ dit : "Je ne suis pas venu pour les juger, mais pour les sauver". Je pense que le romancier n'est pas venu pour juger ses personnages, mais pour les raconter. Péguy, Berthet, Perrignon, comme Guingouin, prouvent qu'à tout moment, un homme, quel que soit son milieu et les circonstances, reste LIBRE de choisir sa vie. Perrignon, comme Augustin de façon moindre, cherche la liberté supérieure et l'intensité de la vie. Ma Marche est un roman de mémoire et de fidélité.
Si j'ai fait la part belle à Guingouin, c'est parce qu'il a été le héros en terre limousine de ceux qui osaient dire Non. Il parlait pour tous les autres, au delà même des marches de sa province. C'est un personnage poétique. ("Je chante les armes et l'homme" disait Virgile). Un héros sorti du XIXème siècle et des pages de Victor Hugo lui-même, et plongé dans l'oubli du XXème par ses pairs. Un héros qui a porté sa croix (l'opprobre, le déracinement, les menaces, etc.) avec une dignité singulière. D'une certaine façon, le raconter comme je l'ai fait, c'est aussi, quoique j'en ai dit précédemment, tenter de l'inscrire dans notre mythologie française et de le sauver pour longtemps. D'une certaine façon, il incarne dans mon livre tous ceux, et ils furent nombreux, pour qui leur temps ne fut pas seulement un temps de désastre (celui de la double tenaille des deux totalitarismes), mais de courage et de liberté. C'est ceux là que j'ai voulu revivre dans La Marche du temps.
Au commencement de ce projet, il y a un tag apparu au printemps dernier sur le campus des Vanteaux de l’université de Limoges. Alors que la campagne électorale pour les présidentielles battait son plein, quelqu’un écrivit un slogan pour un “candidat“ dont les bulletins ne seraient pas présents dans les bureaux de vote : “Guingouin 2017“. Ce tag semblait faire écho à celui de la gare d’Eymoutiers de mars 2009 proclamant : “C’est pas Julien, c’est l’esprit de Guingouin qui arrête les trains.“
La mémoire, ça ne va pas de soi. Pour passer de faits de Résistance en 1940-1944 à des tags à Eymoutiers en 2009 ou à Limoges en 2017, ou encore à la mention des Juifs pourchassés dans un communiqué sur les réfugiés, il y a plus de soixante-dix années de construction de mémoires collectives qui entrent en jeu, consciemment ou non. Chaque structure sociale – nation, communauté, commune, famille, association, entreprise ou groupe politique – dans la ou les unités de temps et de lieu considérées, puise dans son passé ce qu’elle pense correspondre à ses besoins du moment. La mémoire n’est jamais un acquis inerte, gravé dans le marbre, mais plutôt un nerf sensible.
La mémoire, c’est une part importante du récit de soi par lequel on se présente au monde. Pour reprendre les mots du professeur Corcos, psychiatre, elle est “le terreau des créations futures“. Elle peut aussi devenir un “carcan“. Frein ou moteur, le passé influe toujours sur le présent mais les enjeux du présent aussi influencent la mémoire du passé. La mémoire d’un groupe humain est à l’image de la société que ce groupe constitue. Elle est très rarement monolithique et invariable. Pour un individu comme pour un groupe social, regarder son passé, c’est souvent se regarder soi. Ce regard est souvent conflictuel. La mémoire n’est pour cela pas monobloc. Difficile de se reconnaître héritier de certaines parts de notre passé. Pour parler de la Résistance, elle ne constitue pas un roman manichéen. Elle comporte ses personnages en nuances de gris, ses transfuges et ses opportunistes, comme elle comporte aussi ses authentiques héros. Les choix ou les non-choix devant lesquels se sont trouvés hommes et femmes en capacité d’agir à ce moment-là ont dû être cornéliens. Renoncer au pacifisme, par exemple. Mettre, par son action, des proches en danger. La justice de la cause ne garantit pas la gloire.
Une anecdote que m’a racontée Christian Pataud, maquisard à Eybouleuf, près de Saint-Léonard, peut illustrer cette idée. En 1943-1944, une masse de jeunes hommes sans formation militaire se sont retrouvés avec dans les mains les fameuses mitraillettes Sten. Armes rustiques, simples d’usage mais instables. Des accidents eurent lieu. C’est ainsi par exemple qu’a trouvé la mort un des enfants du commandant Pinte de l’Armée Secrète lors d’un parachutage d’armes à Aixe-sur-Vienne. “On a dit aux familles que les gars étaient morts au combat, et ça valait mieux comme ça“ m’a dit Christian Pataud. Il est bien normal d’avoir quelques égards pour les proches des disparus. Il faut toutefois que ces égards soient conscients pour ne pas nous donner une fausse idée du réel. Il y a autant d’écueils à vouloir voir la Résistance trop belle qu’à vouloir la voir trop prosaïque.
La mémoire est aussi le reflet de réalités géographiques. Hormis De Gaulle, Jean Moulin et peut-être Pierre Brossolette, peu de figures de la Résistance émergent dans la mémoire collective hors de leur région d’action. Tous les personnages de la Résistance sont portés par des mémoires de groupe. À Limoges, plusieurs artères principales de la ville portent des noms de résistants : Georges Dumas, François Perrin, Armand Dutreix... Pourtant, peu de limougeauds savent qui ils étaient. Guingouin a plus retenu l’attention et a été plus célébré dans les communes du sud-est de la Haute-Vienne. Ces particularités locales dénotent aussi des disparités de traitement selon les familles politiques. Le PC a toujours honoré ses morts de la Résistance – les 75 000 fusillés (en exagérant leur nombre au passage). Les vivants, en revanche, ont eu droit à un traitement plus ambigu. Les socialistes (SFIO), emmenés en Haute-Vienne par un Jean Le Bail qui n’y a pas participé, auront une attitude mémorielle plus réservée sur la Résistance. Tous, dans nos choix politiques, dans nos choix professionnels, sommes orientés par notre origine sociale et familiale, même quand on se construit en opposition.
Le rôle de l’historien, par sa démarche et sa méthode, est d’aider ses contemporains à comprendre ce qu’ils exhument. Il se doit d’apporter, par la méthode scientifique, rationnelle, les outils nous aidant à maîtriser la part d’irrationnel dont il est difficile de se départir dans cet aspect de notre regard sur le monde. Une erreur à ne pas commettre, serait de croire que l’histoire détient la vérité. En réalité, l’historien, par son travail, définit la vérité la plus probable.
Guingouin est une figure paradoxale. C’est une figure locale. La promotion de son image qui aurait pu être portée par son parti, eu égard à l’exemplarité de son action, a été stoppée par son exclusion de 1952. Et bien que Compagnon de la Libération et “l’une des plus belles figures de la Résistance“, il n’est pas une figure pour les gaullistes, puisque communiste. Son image fut donc portée par des courants politiquement minoritaires ou marginaux. Et de fait, il n’est pas une figure connue du public en dehors des frontières limousines. Et pourtant...
Pourtant, il n’est pas inconnu dans les milieux se réclamant du communisme anti-autoritaire, dans les milieux libertaires et autonomes. Et sur les flancs de la Montagne limousine, donc, où le parallèle entre Petite Russie hier et résistances au capitalisme aujourd’hui, maquis hier et ZAD aujourd’hui, est tentant.
Pourtant aussi, il est une figure qui a rencontré, inspiré les artistes. Et là, c’est un peu la question de l’œuf ou la poule. Est-ce que le personnage a inspiré les artistes ou sont-ce les artistes qui ont mythifié un personnage ? Les aléas de la guerre et de l’occupation ont amené à proximité des maquis de Guingouin deux hommes qui allaient devenir des artistes importants : Dante Gatti, venu prendre le maquis à Tarnac, et Izrael Bidermanas, réfugié à Ambazac. L’un deviendra le journaliste et dramaturge Armand Gatti, l’autre, sous le nom de Izis, un des photographes les plus renommés de la deuxième moitié du XXe siècle. Le second tire le portrait des libérateurs de Limoges en 1944. Le premier écrit un poème qui ressemble à une chanson de geste à la mort de Guingouin. Le titre de la série de portraits d’Izis, “Ceux de Grammont“, fait référence à un maquis qui n’était pas sous l’autorité de Guingouin. Izis, d’Ambazac, avait sans doute entendu parler de ce maquis de Saint-Sylvestre dont plusieurs hommes tombent début août 1944 dans un accrochage. Mais de ceux de Grammont, qui garde aujourd’hui la mémoire ? Ou celle des lycéens du 17e barreau, des réseaux Noyautage de l’Administration Publique, des réseaux des cheminots ? Sans que ce soit complètement de son fait, Guingouin aura mis dans son ombre bien d’autres acteurs de la Résistance. Leur expérience mérite pourtant autant d’intérêt.
Gatti, dans sa maison de l’arbre de Montreuil, avait mis le portrait de Guingouin dans son panthéon, aux côtés de Mao et Makhno. Plus tard, d’autres artistes se sont saisis du personnage. Rebeyrolle à Eymoutiers, bien sûr. Mais aussi d’autres, ces dernières années. C’est le cas notamment d’un romancier, Jean-Pierre Le Dantec ou de l’illustrateur jeunesse Yann Fastier, qui recherchait un personnage de bandit d’honneur : “Dans un premier temps, j’avais pensé à Zapata“ Il faut dire que l’histoire de Guingouin aura contribué à le faire entrer dans la peau d’un personnage romanesque. Il y a son parcours de résistant de la première heure et ses coups d’éclats. Mais, surtout, les avanies qu’il vit après guerre ont un double effet. D’abord de souligner l’injustice du sort qui lui a été fait, et d’autre part, se retrouvant en marge, il a pu rester fixé dans l’image du résistant. Lui n’est devenu ni un professionnel de la politique, ni un apparatchik cautionnant les dérives du régime soviétique, ni un tortionnaire des guerres coloniales. En somme, il est la figure idéale de la Résistance.
Que faire d’une figure idéale ? C’est peut-être le questionnement fondamental de ce projet. Si l’histoire doit nous permettre de tirer un enseignement, d’enrichir notre approche du monde, alors il faut la soumettre à un questionnement jamais arrêté. Le devoir de mémoire n’existe pas. Notre devoir, vis-à-vis de nos prédécesseurs, de nos successeurs et de nous-mêmes, est d’avoir sur notre héritage le regard le plus lucide. La même lucidité que nous devons avoir sur notre présent.