poême

  • A fleur de mots, Marcelle Delpastre

    marcelle delpastreMarcelle Delpastre aurait eu cette année 80 ans. La poétesse paysanne de Germont à Chamberet, n’est plus là mais il nous reste les très nombreux livres et poèmes qu’elle a écrits tout au long de sa vie. L’institut d’études occitanes du Limousin vous propose d’en découvrir ou redécouvrir quelques uns. Nous poursuivrons cet hommage à Marcelle Delpastre dans notre prochain numéro avec un texte de Jean Dau Melhau.

     

    la terra la terre

    Se'n fot be mau, la terra !

    Se 'n fot be mau d'aqueu qui semna, e d'aqueu qui culhis. D'aqueu qui n'empòrta la grana coma dau meissonier.

    Se'n fot be mau d'aqueu qui la laurada, e d'aqueu qui li a marcat sos pas sus lo flanc,

    d'aqueu qu'espera la frucha mai d'aqueu qui la minja.

    Se'n fot be mau !

    Siaja tu, siaja ieu, que quò li fai, la terra ?

    Un qui la finca, un qui la nafra, lo levam de la grana, e la raiç que la mòrd,

    lo fum de la vita mai lo sang de la mòrt.

    Que pòrte las romegs, que pòrte l'espija, lo chasne ò be la font, la maison ò be la viá,

    e lo rainard ò be la vacha. Que quò li fai !Tant de perfum dins l'espina, tant de marmus dins las leunas,

    lo rossinhòl ò be la graula. Podes venir o te'n tornar, que quò li fai, la furmic ò be l'ajaça.

    Se duebre, se barra. Se cuebre de flors. Se sarra. E tu dessus, e ieu dejos, que quò li balha ?

    L'amor dessus, la mòrt dejos, que la trabalha ?

    E tu qui te'n tornas, mais ieu, lo jorn ò be l'estiala.

     

    Elle s'en fout, la terre !

    Elle s'en fout de celui qui sème, et de celui qui cueille. De celui qui emporte le grain comme du moissonneur.

    Elle s'en fout de celui qui l'a labourée, de celui qui lui a marqué ses pas sur le flanc,

    de celui qui attend les fruits comme de celui qui les mange.

    Elle s'en fout.

    Que ce soit toi, que ce soit moi, qu'est-ce que cela lui fait, la terre ?

    Un qui la flatte, un qui la blesse, le levain de la graine, et la racine qui la mord,

    la fumée de la vie et le sang de la mort.

    Qu'elle porte la ronce, qu'elle porte l'épi, le chêne ou la fontaine, la maison ou le chemin,

    ou le renard ou bien la vache. Qu'est-ce que ça lui fait ! Tant de parfum dans l'épine, tant de murmures dans le lierre,

    le rossignol ou le corbeau. Tu peux venir, et repartir, qu'est-ce que cela lui fait, la fourmi ou la pie.

    Elle s'ouvre, elle se ferme. Elle se couvre de fleurs. Elle se serre. Et toi dessus, et moi dessous, qu'est-ce que cela lui donne ?

    L'amour dessus, la mort dessous, qu'est-ce qui la travaille ?

    Et toi, que tu repartes, et moi, le jour ou l'étoile.

     

    Paraulas per questa terra (tome 3)
    Edicions dau Chamin de Sent Jaume, 1997

     

    Moi qui

    Moi qui voulais être les arbres, dans le souffle puissant de la pluie et le balancement des branches au soleil.

    Moi qui voulais être les prés, longuement mûrissants de tous les parfums de leurs herbes.

    Moi qui pensais être la terre sombre et toute ruisselante d'eaux, grosse de la germination des graines et pleine de racines.

    Qui croyais être ce pays, dans ma bouche avec ma parole. Qui croyais être ce que sont les arbres, les moissons, le sol.

    Et qu'en moi s'accomplît le cycle des saisons, la pesanteur des roches et des plantes, l'engrangement et les semailles.

    Le poids des bêtes chaudes, et la profonde respiration des plumes et des pelages, la coulée de la sève et du sang ; le sommeil.

    Moi qui croyais être le nom de ce pays sauvage. Planté dans l'épaisseur du sol entre la source et la montagne.

    Moi qui meurs lentement comme meurent les arbres, et qui m'arracherai, branche après branche.

    Moi qui meurs comme meurent les pierres, mûres de l'air brûlant qui vont à l'eau dormante.

    Moi qui meurs sans mémoire et qui n'étais que l'ombre d'une ombre et le murmure d'un frémissement.

     

    14 mars 1969
    L'araignée et la rose et autres psaumes (1969-1986)
    Edicions dau Chamin de Sent Jaume, 2002

    Photo Patrick Cazals - Film du Horla
  • Comme une lettre d'amour

    oeil fennec« Nous avons tous dans la tête et particulièrement dans les moments les plus tragiques de la vie, des centaines de courts poèmes, contes, histoires qui nous disent plus que le fleuve de mots fastidieux et inutiles qui encombrent les œuvres de certains romanciers à la mode ». Cette sentence de Céleste Eglantier, publiée dans le dernier numéro de Oeil de Fennec (n°379, novembre, décembre 2019), modeste revue poétique tirée à 100 exemplaires sous l'égide du Creusois René Bourdet, dit assez bien la philosophie de cette micro-revue (une feuille A4 pliée en quatre et découpée à la main, néanmoins dûment déposée à la bibliothèque nationale de France depuis... bientôt 40 ans !). S'y croisent heureuses citations d'auteurs anciens et vers libres de poètes contemporains. 

    Montesquieu y côtoie Herbé (René Bourdet). Du premier : « Il faut en accuser l'homme toujours plus avide de pouvoir à mesure qu'il y en a d'avantage et qu'il ne désire tout que par ce qu'il possède beaucoup. » Du second : « Depuis que je suis souffrant, j'ai un seul ennemi : mon corps ». Comme dit le même : « Oeil de Fennec, une revue à lire comme une lettre d'amour. »

  • De l'encre dans la prairie

    pairieA près la grande tourmente de la crise bovine, dix agricultrices ont ouvert un nouvel atelier dans les coulisses de leur métier, un atelier d'écriture. Avec l'accompagnement de l'association "Princesse Camion", elle ont trempé leurs plumes dans l'encre verte de leurs prairies. Dans ces pages écrites à la main verte et aux styles les plus diversifiés elles font entendre le désarroi du monde paysan. Elles veulent surtout réhabiliter l'image d'une agriculture décriée et d'un métier dévalorisé. L'évocation de leurs souvenirs d'enfance fait remonter très loin leur désir de vivre ce métier comme un enfantement à la terre qu'elles ont épousée. Elles aiment le pays qu'elles habitent. Pays d'accueil ou de racine pour celles qui viennent de Normandie, ou la fille de la ville devenue femme des champs.

    Mais elles affirment les caractéristiques singulières de leur métier d'agricultrice. Elles savent ce qu'elles ne veulent pas : ni d'une campagne qui se désertifie ou qui se meure, pas plus que de continuer à vivre à l'ombre d'un homme. En nous invitant à pénétrer dans le secret de leurs journaux intimes, trois d'entre elles nous racontent les petits riens de leur quotidien. Elles nous donnent à découvrir la riche palette de leurs activités. Au fil des heures et des jours, on entre de plain pied dans le concret, le réel de la vie de la ferme et de la famille, ou comment concilier métier et vie privée ? Entre deux soins vétérinaires l'une d'elles nous livre leurs questionnements existentiels. Qui fait la loi des marchés ? Pourquoi le prix de la viande rouge n'a-t-il pas baissé pour le consommateur ? Vers quelle production devons nous nous tourner pour vivre de nos exploitations ?

    Tout au long de ces pages d'écriture elles n'ont pas peur d'exprimer leurs espoirs autant que leur colère face aux images négatives que la société véhicule sur le monde agricole. Elles ont pris conscience qu'il leur reste encore un vaste travail de communication à faire pour renouer le dialogue entre les agriculteurs et les citoyens.

    Cet atelier d'écriture est un élément d'un projet de communication ambitieux conçu par la commission féminine de la FDGEDA(fédération départementale des groupes d'études et de développement agricoles) de la Haute Vienne. Elle a entrepris de travailler avec des artistes pour refléter une image positive de l'agriculture et de leur métier auprès du grand public. Le fruit de cet échange Artsgricultrices fait déjà l'objet de plusieurs créations artistiques. Eugène Durif et Catherine Beau ont créé un spectacle dans le cadre de la Compagnie "L'envers du décor" : "Le plancher des vaches" destiné à être joué aux champs et à la ville. Arnaud Ruiz exposera deux fresques géantes sur les murs du centre ville de Limoges. Pierre Deschamps l'animateur de Coquelicontes développera des contes sur l'agriculture en 2004. Sans oublier la sobriété champêtre de l'illustration graphique de Maria Tzvetkova pour "de l'encre dans la prairie".

     

    Alain Carof

     

    Envie de dire

    Lors d'un cours sur l'environnement et la pollution,
    un professeur de collège a annoncé aux jeunes
    que les agriculteurs étaient des pollueurs
    invétérés, avec tous leurs produits chimiques !
    Voilà donc l'image "élogieuse" que nos concitoyens
    se font de notre travail 1
    J'ai envie de parler de tous ces agriculteurs
    respectueux de leur Terre, qui travaillent
    le plus naturellement possible, qui suivent
    des règles de culture précises, qui pratiquent
    l'élevage extensif sans bousculer leurs bêtes,
    et qui peinent en jonglant avec les conditions
    climatiques.
    Les agriculteurs bio, les agriculteurs sous charte
    de qualité, ceux qui s'engagent dans le respect
    de l'environnement, respectez leur travail
    qui n'est pas toujours très facile !

    Mesdames et messieurs, citoyens et villageois,
    et vous les néo-ruraux, pensez aussi à votre
    pollution personnelle. Multipliée par des millions,
    elle a un impact important pour la société !
    Vous désirez un beau jardin, un beau cadre de vie,
    vous avez des tentations - et souvent
    de l'incompétence : traitements chimiques
    contre les mauvaises herbes, contre les mousses,
    les pucerons et autres insectes (les coccinelles qui
    seraient tellement plus bénéfiques !},
    vous mettez des doses d'engrais inconsidérées
    pour que tout soit parfait...La binette
    et les mains arrachent aussi les intrus,
    et elles ne polluent pas...
    Et nos communes si fleuries et si agréables
    à regarder, si primées lors des concours
    fleuris : les parterres et les abords doivent être
    parfaits, alors un petit coup de traitement
    par-ci, un petit coup d'engrais par-là...
    par-ci, un petit coup d'engrais par-là...
    à retrouver pour tous une Terre propre.

    Laurence

     

    Odeurs

    Sentir, humer, respirer
    L'odeur sucrée du foin coupé
    L'humidité de la terre labourée
    Les fleurs des champs de maïs
    Ont un parfum de douce épice
    Mes colzas mûris sentent le chou
    Pas si désagréables je l'avoue
    Le citadin parfois déplore
    La bouse de vache, le lisier de porc
    Le fumier épandu sur le sol
    Ne fait pas fuir les campagnols
    Effluves douces du bois scié
    De paille fraîchement coupée
    Odeurs du soir sortant de terre
    S'échappent dans l'atmosphère
    Elles nous saisissent nous envahissent
    Sentir le vent sentir la pluie
    Se sentir bien sentir la vie.

    Louise

     

    De l'encre dans la prairie est vendu au prix de 7 euros. Renseignements FOGEOA de la Haute Vienne 32 avenue du Général Leclerc 87065 Limoges cedex
  • Ecrire des poèmes, c’est emballer le temps dans du papier cadeau

    Textes reçus qui disent le plateau ou ses gens. Poèmes de William Chatain, de Peyrat-la-Nonière, qui dit entre ironie et malice ses humeurs. Un petit poème de Hilly Van der Wiel, de Rempnat, inspiré par la Vienne qui coule au fond de son jardin. Témoignage de Christine Rigaud qui habite la région parisienne et dont chaque retour sur le plateau, à Faux-la-Montagne, sonne comme de familières retrouvailles.

     

    arbres

     

    Et la rivière ?

    et la rivière ? et ben, elle parle
    son langage d’hiver
    couleur héron cendré
    le héron cendré ne se remarque plus
    enfin, si, il se remarque
    mais se fondant dans le même murmure
    constant, sans relâche
    il rebâche comme armure
    sa couleur cendrée, comme pour la rivière
    sa chanson sacrée
    de lumières d’été se sont fait des réserves
    la rivière en est grosse
    le héron en est sage
    grave, ailes déployées il s’élève
    de la rivière fait son tremplin
    la rivière laisse faire, que faire d’autre ?
    pour avancer vers l’inconnu, on s’accomode
    de bien des élans
    de bien des vents
    contraires ou s’aimant
    le héron et la rivière
    s’appartenant.

    Hilly Van der Wiel

     

    Le Plateau

    Loin de ces terres stérilisées,
    Endommagées sans préjugés
    Par tous les exploités primés,
    Il est sans doute privilégié
    Pour nous offrir sans compter
    Toute sa beauté sous estimée
    Par ceux qui ont osés bafouer
    Toute son âpre vérité.

    Si ses formes deviennent un obstacle
    A toutes exploitations d’audace,
    Elles sont aussi comme un grand charme,
    Le gardien de ce territoire
    Qui est traversé non sans grâce
    Par troubles chemins qui s’enlacent
    Pour que l’on puisse apercevoir
    Tous les paysages délicats.

    Si les nuances de ses tons
    Dépendent d’abord de la saison
    C’est que la hauteur de ses monts
    Nous offre l’hiver des frissons,
    Et si la vertu de ses sons
    Provoquent parfois la déraison,
    C’est que le printemps de saison
    Est aussi frais qu’il est fécond.

    C’est entre murettes et tourbière
    Que vergnes, genêts et fougères
    Sont amoureux de cette terre
    Qui n’est pourtant pas prolifère
    Pour toutes les générations humaines,
    Mais la beauté de ce plateau
    Est le jardin jamais trop beau
    De la nature élevée bien haut.

    Willy

     

    Le vrai con

    Un jour sans prétention, de trouver la raison,
    On me fit découvrir un tout autre horizon,
    Très loin m’avait-on dit de toutes mes passions
    Mais proche de l’ambition de devenir un vrai con.

    On me fit déplacer, de ma Creuse littéraire,
    A une sorte de prison, gardée comme un sanctuaire
    Par des gens qui n’avaient que leurs visages fiers
    Pour les différencier entre les races humaines.
    Ils semblaient tous vêtus, ou du moins corrompus,
    Par la même tenue, cachant je le présume, un secret d’amertume.

    D’un air triste, abattu, je suis sorti tout nu
    D’un local où je dû troquer ma belle tenue
    Contre l’opacité d’un vert délavé
    Souillé par le péché d’avoir tué son passé.

    C’est lorsque mes cheveux m’ont regardé par terre,
    Que j’ai dû me soumettre à leurs rites de guerre,
    Ecouter leurs prières, chantées d’un air cruel,
    Et répéter sans vers leurs chants éternels.

    Quelques jours de ma vie pour devenir sénile,
    Et je pus revêtir, pour leur faire plaisir
    Le besoin de l’envie, de ne pas devenir un être trop futile.
    Ne sembler qu’imbécile, était devenu facile,
    Et tromper mon ennemi ne fut qu’un jeu crédible
    Qui ne devait durer que quelques mois damnés.

    Si le caméléon tu deviens par raison
    De ne pas devenir un gradé maigrichon,
    C’est que devenir moins con est bien ton ambition,
    Et que leurs crânes vidés par les ordres sans idées
    N’auront jamais raison de nos vraies sensations.

    Ma vie devint ennemie de leur désir débile
    Dont mon besoin civil ne devait pas pâlir,
    Et toute l’intelligence, qui sortait de ces rangs
    Dans un format bâtard, digne d’un art ingrat,
    Tenaient dans un drapeau qu’ils élevaient bien haut
    Tous les jours au détour d’une danse indigène
    Qui me sembla la même tout au long de ma peine.

    Si servir le désir, de devoir conquérir, est un devoir civique
    Qui à l’encre de chine est écrit dans les livres
    Dont ils se sont servis pour forcer nos envies du devoir de mourir,
    Je promets l’abstinence, très anarchiquement,
    En ne m’éternisant sur leurs pensées démentes.
    Je promets l’abstinence, très anarchiquement,
    En ne m’éternisant sur leurs pensées sanglantes.

    Willy

     

    Retour à Faux

    Reprenant la route une fois encore et toujours avec le même sentiment de revenir vers une terre connue, si bien reconnue dès que la voie commence à
    s’élever, bordée de sapins et de cette couleur sombre qui, si c’est l’été, rafraîchit mon corps transpirant, et si c’est l’hiver, peine à être arpentée (et voilà ! j’ai encore oublié les chaînes, je retiens ma respiration) et ça passe, je parviens enfin à cette place de village dont l’espace est arrêté par les murs de l’église.

    Les instants d’avant, fenêtre ouverte, mes poumons se sont gorgés de cet air si pur, quelque soit la saison, je ne respire pas mieux que là, je le sais.

    Mes pupilles se sont déjà délectées des camaïeux de jaunes et de verts, des noirs et des blancs c’est suivant, et dire encore cette immensité bleutée qui a cueilli une fois encore au détour de la Circum Lacustre, mon regard, vaste comme un océan et il y a même un phare, plus loin, je le sais.

    Même qu’il se trouve sur une île, entouré d’arbres puissants un jour abattus bruyamment par un vent fougueux, qui repoussent désormais au milieu de formes, installées là au gré des années par des mains de maître qui ont été invités à apporter leur touche au lieu : couleurs, matières qui tranchent et se mêlent aux berges, aux bois et aux monts qui les environnent ou les surplombent : des signes rouges, bleus, se détachent au milieu des jaunes, des verts, des marrons clairs ou sombres.

    Dans les rues du village, si c’est tard l’hiver, personne. Mais si c’est l’été, il y a les gens. Suivant l’heure, ils seront là, ou pas. La vieille femme, à la fontaine ronde, le facteur ouvrant sa portière et descendant un paquet à la main, les enfants roulant à bicyclette, en patinettes, en planche à roulettes ou courant, les ados marchant nonchalamment, l’épicière vendant La Montagne, la boulangère, ses bonnes miches, Monsieur le maire, ses pâtés creusois, le pharmacien enclin à soigner les “mots”,

    Brin de Zinc, tenant cybercafé orange et gris, bières locales et café blanc, l’auberge de la Feuillade où la belle Hélène officie, le restaurant des Fines Herbes où Josette se démène à préparer ses plats maison, la mairie où Télé Millevaches donne des nouvelles du Plateau, Tom Pousse qui garde au chaud ses petits, l’école qui maintient ses classes, en bas, la scierie Ambiance Bois, et puis tous les Amis, qui ne cessent d’augmenter à chacun de mes passages, d’ici, de là ou d’ailleurs... et puis... et puis...

    Mon cœur réchauffé déjà je le sens le seuil à peine franchi du panneau annonçant

    Faux la Montagne,

    je reviens, je suis revenue.

    Christine Rigaud
    Savigny le Temple (Seine et Marne)
  • Le coin des poètes

    « Le monde s’est arrêté. Tu marches dans les rues de Paris, mais tu es seul. Tous sont vivants mais figés à l’heure où le temps s’est arrêté. » Pendant ce temps, Oeil de Fennec, la micro-revue poétique de René Bourdet d’où sont tirées toutes les citations de cette notule, poursuit son long chemin. On en est, en juillet, au 386e numéro (39e année !). Le joyeux drille s’offre même, un n°386 bis. Facétieux : « Le prochain don du sang effectué sur la commune de Clochemerle-les-Bains, aura lieu exceptionnellement au sein de la boucherie-charcuterie Viandard. Prière de s’inscrire auprès du garçon-boucher, Monsieur Paul Sanguin. Après cette opération le prix du boudin devrait subir une légère baisse. » Ou encore : « Le piano est certes le plus niais des instruments, au départ il ressemblait à un cercueil sur pattes, alors pour ne pas effrayer la masse du public on lui mit une queue. » Politique : « Quarante degrés / Au gré des journées / Sauf du CAC quarante / Le monde est malade / Nous n’avons pour force / Plus que la police / Tirant à vue d’oeil / Sur des gilets jaunes / Toujours à prétendre / Que plus rien ne gaze / À tel point que France / Rime avec souffrance. » 

    De son côté, Julien Dupoux, depuis ses Combrailles creusoises, a publié un recueil de 60 poésies intitulé Vous en aurez besoin, dont nous donnons ici quelques lignes.

     

    ronceTrouer l’armure

    Je voudrais m’échapper de la ville
    Que mes seins dessanglés enfin foncent
    Le corps furieux, l’esprit tranquille
    Je prendrai pour emblème la ronce
    Je veux respirer jusqu’aux reins
    Si je dois vivre de rien
    Le ciel me sera ouvert
    Et les nuits silencieuses
    Je n’aurais plus peur de perdre la foule
    Ni de l’extrême solitude
    Ni, promis, des soirs de doute
    Ni que ne me tourne autour
    Quelque goguenard bonhomme à la mine louche
    Je veux filer avec le vent
    Je veux l’emporter mon amant
    Sur les terreaux trempés de fleurs
    Je vais le piocher dans les champs
    Et me semer de ses onguents
    Je voudrais écraser les murs
    D’un coup de botte et d’un grand pas
    Comme une ogresse
    Un ouragan que les immeubles n’arrêtent pas
    Je soulèverai les toits
    J’emmènerai mon monde
    Loin des restes de la cité
    Et, venez, maintenant
    Venez cueillir mes fruits leur chanterai-je
    Mon emblème la ronce
    Est sortie de la neige.

     

    Extrait de Julien Dupoux, Vous en aurez besoin, poésies ; éditions Bronca, 8,50 €.

     

  • Les cinq noms de Résistance de Georges Guingouin

    L'hommage d'Armand Gatti à Georges Guingouin.

     

    armand gattiDans un tableau gigantesque intitulé "Le Cyclope", Paul Rebeyrolle avait rendu par la grâce de la peinture, un grandiose hommage à son ami Guingouin.

    Il manquait au "premier maquisard de France" un monument de la même trempe, tracé cette fois avec des mots, que seul un poète pouvait construire. C'est chose faite avec un poème fleuve de plus de 120 pages qu'Armand Gatti vient juste de terminer et qu'il a bien voulu nous confier pour que nous en publions ici un (court) extrait.

    Ce texte, fort, heurté, imprégné d'Histoire et de luttes, est scandé de mots qui reviennent régulièrement, et d'abord (d'où le titre de l'oeuvre) les cinq noms que porta Guingouin durant la Résistance : Lo Grand comme l'appelaient les gens du pays, Le Chêne qui disait sa puissance, L'Orage nom que lui donnèrent les déserteurs russes faits prisonniers après la bataille du Mont Gargan, Bootstrap nom de guerre que lui attribuèrent les parachutistes anglais du 3ème SAS, et Raoul, son nom de maquis. Gatti explique que ces cinq noms de Résistance furent "les clefs de gamme" de l'épopée de  Guingouin. Ce sont aussi les clefs de gamme de son hommage à la "Résistance guérillère" et à son héros. Les combats maquisards sont "comme notes de musique d'une symphonie à inventer" que Gatti, au fil des lignes invente, installe dans la puissance des mots, des phrases et de la mélodie qui rythme ce texte. On l'entend déjà, ce poème symphonique, dans le vent qui souffle l'hiver sur le plateau, dans le balancement des arbres de la forêt de la Berbeyrolle où Gatti rencontra pour la première fois Raoul-Le Chêne-L'Orage-Bootstrap-Lo Grand.

     

    Cinq fois Georges Guingouin

    Jaillissant

    comme un bouquet de fleurs roses de bruyère

    dit que les combats du maquis

    sont un parfum

    dont les arbres portent la verticalité

    Les mille sources du Plateau

    se mettent aussitôt à chanter

    La Corrèze

    La Creuse

    La Vézère

    et la Vienne en sont la portée

    avec comme clef :

    - les vieilles hêtraies, les futaies ouvertes

    - les couvertures des tourbières avec lesquelles s'abriter de l'intempérie

    - les châtaigniers qui avaient plus d'une fois sauvé des familles de paysans de la famine

    - la main de l'industrie qui se levait dans le paysage en signe de complicité

    - les gorges où les ruisseaux crient la solitude de la pierre

    - les traits d'eau dans les sous bois mousseux donnant naissance à des pactes secrets

    - deux mille excavations qui disent encore les mines d'or petits reliefs évocateurs des luttes des travailleurs que recouvrent maintenant des friches boisées.

    Les sources y sont tutoiement continu.

    Le Limousin restera-t-il

    la symétrie des pays de la Longue Marche

    dont les troubadours médiévaux disaient déjà

    qu'en lui

    le moindre jardin

    valait mieux que la richesse et l'argent

    sur une autre terre

    Ô Georges Guingouin

    Avec ton nom multiplié en Raoul, (lo) Grand,

    l'Orage, le Chêne, Bootstrap

    les acacias des quatre rivières

    élisent en quatre saisons ta présence

    Le vent dans les arbres n'est-il point l'univers

    qui parle ?

    Pour le maquisard

    le chêne de la Berbeyrolle était

    le psalmiste, en chants de la nature,

    dans lequel

    s'agrandissait

    une façon d'être sur terre

    Qu'est-ce qu'un maquisard ?

    une bouteille jetée à la mer

     

    Le poème de Gatti "Les cinq noms de Résistance de Georges Guingouin" sera publié à l'automne aux éditions Le Bruit des Autres à Limoges.
  • Pigerolles, come back

    Sur les hauteurs du plateau : Pigerolles. Lieu magique dont Laurent Bourdelas et Marie-Noëlle Agniau se souviennent dans ces deux textes. Entre souvenirs d’adolescence pour l’un et quête “d’aération” pour l’autre, le plateau et Pigerolles en particulier prennent une dimension poétique et presque mythique. Laissons nous emporter par les mots.

     

    pigerollesPar Laurent Bourdelas écrivain et photographe.

    C'est un retour incessant, comme celui d'un chevalier s'approchant encore et encore de Brandigan, la forteresse du roi Evrain ; j'y cherche cette étrange aventure ayant pour nom Joie de la Cour, mais dont on dit qu'elle n'apporte que deuil et douleur. Désormais, les lieux sont gardés par de hautes éoliennes blanches, grands donjons tournoyant aux vents qui glacent les os. Qu'y a-t-il au bout de ce chemin bordé de vaches rousses et de ruches, que nous empruntions adolescents avec insouciance ? Si je parvenais à l'emprunter à l'envers, trouverais-je la chambre parfumée d'encens, de myrrhe et d'aloès, et serais-je convié à un souper d'oiseaux, de fruits et de vins délicieux ? Si je poursuivais à travers prairies pâles et forêts de résineux, pourrais-je m'allonger sur le lit d'argent couvert d'un drap brodé d'or sur lequel m'attendrait la Dame inconnue et belle, aux longs cheveux fins enserrées par la ferronnière comme les fées de mon enfance ?

    Que faisions-nous en ces temps anciens à Pigerolles ? C'était en juin, nous déambulions sous les étoiles entre le village et cette prairie au bout du chemin, celui qui prend presque en face du petit cimetière clos où des roses se figent sous la neige en décembre. Le monde vacillait, nous l'ignorions. Nous avions les cheveux mi-longs, des sweat et des jeans effrangés, des pataugas peut-être.

    Nous attendions sans savoir quoi - la vie, sans doute (la mienne est en partie restée accrochée aux faîtes des arbres, là-bas).

    Si je prends place dans le lit merveilleux, je sais que surgira de l'ombre Mabonagrain, le neveu du roi, lourdement armé, et qu'il me tranchera la tête, comme à tous les autres avant moi : sur chaque pieu qui borde le chemin, des heaumes sont plantés et sous chaque heaume, saigne une tête. On dit aussi que ce sont les pales des éoliennes qui coupent proprement le cou des candides voyageurs. Pourtant, je sais depuis toujours que ce lieu est à moi. Lorsque j'allais à La Courtine, saluant au passage l'enfant au poing levé de Gentioux me rappelant la vacuité de nos combats, immanquablement, deux chiens noirs venaient se coucher au milieu de la route, à Pigerolles. Si j'avais tourné la tête, j'aurais aperçu le cor pendu au tronc d'un arbre qui attend depuis des siècles celui qui parviendra à le faire résonner et dont la gloire et la renommée feront enfin la Joie de la Cour. Mais je n'étais pas encore prêt à éteindre les malédictions.

    C'était il y a trente ans, et le monde vacille encore, et Pigerolles existe encore : maisons de pierre, église, vieille école transformée, cimetière enclos pour éviter aux morts allongés la morsure cruelle du froid. Les grandes pales tournent comme pour passer le temps. D'autres chiens viennent à moi et l'enfant de Gentioux lève toujours le poing. J'ai enfin compris la vacuité de nos combats.Je sais qui je suis ou presque (the fool on the hill). Je sais qui ira jusqu'au bout du chemin, jusqu'à Brandigan, jusqu'à mon adolescence : mon fils blond, qui croit déjà que l'on traverse la vie dans un sous-marin jaune.

     

    (Texte librement inspiré d'Erec et Enide, de Chrétien de Troyes).
    Derniers ouvrages parus : " Des Champs de fraises pour toujours ", récit, L'Harmattan, 2004 ; " Sombre nuit où fut ma mort ", poèmes, Encres vives, 2005. A paraître : " Les Chroniques d'Aubos " (2006).

     


    Nu-tête

    millevaches parcLe plateau de Millevaches, c'est pour moi, la grande aération du corps. J'y vais chaque fois que je suis en panne d'écriture, quand le corps peine à écrire et qu'en lui, tout résiste, à commencer par ses propres forces : comprimées, durcies par une masse qu'elles ne savent plus employer. Quand je n'y vois plus clair. Au début, je croyais que c'était le plateau des milles vaches, et ce n'était même pas la croyance de l'enfant. Je croyais à ce peuplement des bêtes, suspendues par l'échine aux cornes du ciel. Mais la croyance fut rompue et je fus instruite. De la nature de cet innombrable et de l'eau qui abonde dans les creux de la terre. Qu'elle soit si seule me ravit. Et quand je pose pied à terre et que je frappe la terre de mon pied, c'est pour faire tomber les déchets et la corne de mon corps. Et qu'un vent les promène comme autant de particules noyées dans l'exploit de sa force. Avez-vous remarqué - ressenti - l'arrondi de la terre et comme l'on pressent - ici ou presque - la totalité de la sphère sur laquelle nous sommes posés. C'est comme si nous tournions avec elle.

    Les éoliennes ont rajouté leur propre mouvement. Ici, non seulement la tête vous tourne, mais le corps en entier, ici je dépose les parties défectueuses et comme malades, ici l'être que je suis s'affecte du grand air et du froid, et mon corps en entier devient ce lieu d'échange, toi pour moi, moi pour soi, un lieu de circulation - où même les nuages passent. Et quelques humains. Car comment les appeler autrement ? Ici, nous sommes frappés et tout nous semble étrange. Y compris le visage de l'homme. C'est l'évidence qui nous frappe, de plein fouet, comme le vent pousse les corps et la langue à sortir de soi. Ici, on aurait tendance à s'enfoncer dans les arbres et les feuilles, à ne plus faire qu'un. Mais ce n'est que tendance. Car le grand froid au bord duquel nous sommes assis, nous rappelle qu'il faut marcher. Stupeur tout en haut d'un souffle, le nôtre mélangé aux épices de la terre et au vide du monde, ici, à monter, puisqu'il faut monter et que le froid nous oblige à tenir, ici, je change de peau et j'opère la mue la plus silencieuse qui soit. On pourrait la croire insensible. On pourrait trouver d'autres métaphores, comme une espèce de machine à laver, géante. Ici, c'est grand tambour et c'est le vent qui lave et qui souffle en nos poumons et qui nettoie des pieds à la tête, jusqu'à nos idées, nos pauvres idées d'écriture et de poète. Ici, les chiens courent à l'état sauvage et quand ils reviennent vers nous - s'ils reviennent - c'est qu'ils ont déposé, quelque part, sous la terre, un peu de leur domestication. Nous faisons de même. Il y faut le ciel et le vent pur, le renouvellement instantané de ce que nous sommes, ici la pensée ne pense plus etc'est avec joie qu'elle s'abrutit sur le plateau du vent.

    Ici, je suis changée. Et les muscles se détendent et le froid qui nous apprend à faire face nous apprend aussi à plier, à détendre, à recevoir ce qui vient.

     

    Le 25 Novembre 2005
    Marie-Noëlle Agniau
    Marie-Noëlle Agniau est professeur de philosophie à Limoges. Elle est aussi poète.
    Vient de publier Boxes aux éditions Gros Textes.
  • Quand un arbre tombe

    arbre tombeEn écho au remarquable film de François-Xavier Drouet : 

    « Le temps des forêts »
    Forêt de chez nous
    mêlant brume et mystère
    grouillante de verdure
    cerveau vert contre la lobotomie
    centre de contrôle du climat 
    ancien lieu de coexistence du vivant
    mais aujourd’hui scan d’une cupidité parasite
    de Royère à Ussel
    de Domps à Flayat
    cortège infernal rythmé par les « timber »  
    quel genre de fric se cache dans ces nouveaux déserts
    et ces plateaux flambant neufs ?

    Quand un arbre tombe, 
    est-ce que quelqu’un l’entend ?
    Qui entend la forêt tomber ?

    Lui ? Qui rase et passe au suivant
    qui sort ses arbres puis se casse
    lui qui tue les espèces à un rythme effréné
    et chasse les vivants ici depuis une éternité
    son monstre d’acier creuse des trous hideux
    qui polluent aussi nos esprits 
    tout ça pour des milliards de palettes inutiles
    mangeur du vivant, fabricant de cauchemars 
    pauvre couche d’ozone
    les pluies tombent maintenant sur la terre nue
    Entendez ce cri sous les étoiles :
    renard, dessine-moi un blaireau !
    Mais tout ça, c’est bien autre chose
    un autre monde effrayant
    où la nature doit s’effacer
    et disparaître
    disparaître à jamais

     

    Texte librement adapté de la chanson « If a tree falls », du canadien Bruce Cockburn, qu’on peut écouter sur youtube (rock acoustique). En réalité, la chanson originale évoque les forêts tropicales. https://youtu.be/13KUZ53NWq0 

  • Vagabondages

    Les visages sont des lieux
    la tête dans les épaules
    l’apparence est une vérité

    Les mémoires pleurent
    la morsure des silences
    les visages sont des lieux

    Les volets se ferment
    au passage des grues
    le boulanger ne s’arrête plus
    Les fenêtres s’endorment
    sous les toiles d’araignée
    l’ombre frissonne

    Les lieux sont des visages
    des jardins fragiles
    dans le confins des encres.

     

    Sur la commune de Saint Pardoux Morterolles

     

    Elle vient lire ici les jours de soleil. Elle n’a jamais de livre avec elle. Elle lit sur les feuilles des arbres. Elle dit que chaque feuille raconte et que quand il y a du vent les personnages s’enlacent, s’embrassent. Alors, elle se hâte dans la tendresse des chapitres.
    Hier, il y avait cet homme sur le banc. Ils ont lu ensemble en confondant leurs yeux aux couleurs jusqu’au dénouement d’un baiser.
    Un jour, il n’y aura plus de feuille aux arbres, ni de mot baiser, ni d’histoire. Sur le banc restera un mot gravé dans le bois dénudé.

     

    Petit étang de Saint Martin

     

    Textes et photos Cécile Ossant
  • Vassivière et Co... pinage

    vassiviereJe pèse mes mots à Vassivière
    Pays de l'eau et de la pierre
    Où l'amour et la compétence
    Détrônés par la connivence
    Le pouvoir et la sécurité
    Nous assurent la médiocrité

    Commune prospère à Vassivière
    Tu as connu un temps ton maire
    Haut responsable dans les instances
    Par les deniers de providence
    Embellir tes rues et tes maisons
    En détournant les subventions

    Et cet autre maire qui recrute
    Sur CV pas trop fourni
    S'assurant que votre but
    N'est pas de surpasser ainsi
    Cette employée bien installée
    Qu'elle protège et qu'elle chérit

    A tous les porteurs de projets
    On vous promet dans les médias
    De vous recevoir, vous écouter
    Mais tout ça n'est que bla bla
    Si vous n'êtes pas riche société
    Vous ne les intéressez même pas

    Pensez que nos éphémères élus
    Trop souvent avides de pouvoir
    Ne prendront de risques superflus
    Laissant vos projets, vos espoirs
    Le dynamisme tant attendu
    Rangés au fond d'un tiroir

    Et que dire de ces fonctionnaires
    Fils ou fille de, neveu ou nièce de,
    Dans les structures de Vassivière
    Grassement pistonnés par leurs aïeux
    Ont-ils la compétence nécessaire
    Ont-ils déjà touché la terre m

    Je lance un pavé dans la mare
    Cette mare de mille hectares
    Pour engendrer une vague, juste une vague

     

    Yvan Rayer

    Royère-de-Vassivière