Se'n fot be mau, la terra !
Se 'n fot be mau d'aqueu qui semna, e d'aqueu qui culhis. D'aqueu qui n'empòrta la grana coma dau meissonier.
Se'n fot be mau d'aqueu qui la laurada, e d'aqueu qui li a marcat sos pas sus lo flanc,
d'aqueu qu'espera la frucha mai d'aqueu qui la minja.
Se'n fot be mau !
Siaja tu, siaja ieu, que quò li fai, la terra ?
Un qui la finca, un qui la nafra, lo levam de la grana, e la raiç que la mòrd,
lo fum de la vita mai lo sang de la mòrt.
Que pòrte las romegs, que pòrte l'espija, lo chasne ò be la font, la maison ò be la viá,
e lo rainard ò be la vacha. Que quò li fai !Tant de perfum dins l'espina, tant de marmus dins las leunas,
lo rossinhòl ò be la graula. Podes venir o te'n tornar, que quò li fai, la furmic ò be l'ajaça.
Se duebre, se barra. Se cuebre de flors. Se sarra. E tu dessus, e ieu dejos, que quò li balha ?
L'amor dessus, la mòrt dejos, que la trabalha ?
E tu qui te'n tornas, mais ieu, lo jorn ò be l'estiala.
Elle s'en fout, la terre !
Elle s'en fout de celui qui sème, et de celui qui cueille. De celui qui emporte le grain comme du moissonneur.
Elle s'en fout de celui qui l'a labourée, de celui qui lui a marqué ses pas sur le flanc,
de celui qui attend les fruits comme de celui qui les mange.
Elle s'en fout.
Que ce soit toi, que ce soit moi, qu'est-ce que cela lui fait, la terre ?
Un qui la flatte, un qui la blesse, le levain de la graine, et la racine qui la mord,
la fumée de la vie et le sang de la mort.
Qu'elle porte la ronce, qu'elle porte l'épi, le chêne ou la fontaine, la maison ou le chemin,
ou le renard ou bien la vache. Qu'est-ce que ça lui fait ! Tant de parfum dans l'épine, tant de murmures dans le lierre,
le rossignol ou le corbeau. Tu peux venir, et repartir, qu'est-ce que cela lui fait, la fourmi ou la pie.
Elle s'ouvre, elle se ferme. Elle se couvre de fleurs. Elle se serre. Et toi dessus, et moi dessous, qu'est-ce que cela lui donne ?
L'amour dessus, la mort dessous, qu'est-ce qui la travaille ?
Et toi, que tu repartes, et moi, le jour ou l'étoile.
Moi qui voulais être les arbres, dans le souffle puissant de la pluie et le balancement des branches au soleil.
Moi qui voulais être les prés, longuement mûrissants de tous les parfums de leurs herbes.
Moi qui pensais être la terre sombre et toute ruisselante d'eaux, grosse de la germination des graines et pleine de racines.
Qui croyais être ce pays, dans ma bouche avec ma parole. Qui croyais être ce que sont les arbres, les moissons, le sol.
Et qu'en moi s'accomplît le cycle des saisons, la pesanteur des roches et des plantes, l'engrangement et les semailles.
Le poids des bêtes chaudes, et la profonde respiration des plumes et des pelages, la coulée de la sève et du sang ; le sommeil.
Moi qui croyais être le nom de ce pays sauvage. Planté dans l'épaisseur du sol entre la source et la montagne.
Moi qui meurs lentement comme meurent les arbres, et qui m'arracherai, branche après branche.
Moi qui meurs comme meurent les pierres, mûres de l'air brûlant qui vont à l'eau dormante.
Moi qui meurs sans mémoire et qui n'étais que l'ombre d'une ombre et le murmure d'un frémissement.
« Nous avons tous dans la tête et particulièrement dans les moments les plus tragiques de la vie, des centaines de courts poèmes, contes, histoires qui nous disent plus que le fleuve de mots fastidieux et inutiles qui encombrent les œuvres de certains romanciers à la mode ». Cette sentence de Céleste Eglantier, publiée dans le dernier numéro de Oeil de Fennec (n°379, novembre, décembre 2019), modeste revue poétique tirée à 100 exemplaires sous l'égide du Creusois René Bourdet, dit assez bien la philosophie de cette micro-revue (une feuille A4 pliée en quatre et découpée à la main, néanmoins dûment déposée à la bibliothèque nationale de France depuis... bientôt 40 ans !). S'y croisent heureuses citations d'auteurs anciens et vers libres de poètes contemporains.
Montesquieu y côtoie Herbé (René Bourdet). Du premier : « Il faut en accuser l'homme toujours plus avide de pouvoir à mesure qu'il y en a d'avantage et qu'il ne désire tout que par ce qu'il possède beaucoup. » Du second : « Depuis que je suis souffrant, j'ai un seul ennemi : mon corps ». Comme dit le même : « Oeil de Fennec, une revue à lire comme une lettre d'amour. »
A près la grande tourmente de la crise bovine, dix agricultrices ont ouvert un nouvel atelier dans les coulisses de leur métier, un atelier d'écriture. Avec l'accompagnement de l'association "Princesse Camion", elle ont trempé leurs plumes dans l'encre verte de leurs prairies. Dans ces pages écrites à la main verte et aux styles les plus diversifiés elles font entendre le désarroi du monde paysan. Elles veulent surtout réhabiliter l'image d'une agriculture décriée et d'un métier dévalorisé. L'évocation de leurs souvenirs d'enfance fait remonter très loin leur désir de vivre ce métier comme un enfantement à la terre qu'elles ont épousée. Elles aiment le pays qu'elles habitent. Pays d'accueil ou de racine pour celles qui viennent de Normandie, ou la fille de la ville devenue femme des champs.
Mais elles affirment les caractéristiques singulières de leur métier d'agricultrice. Elles savent ce qu'elles ne veulent pas : ni d'une campagne qui se désertifie ou qui se meure, pas plus que de continuer à vivre à l'ombre d'un homme. En nous invitant à pénétrer dans le secret de leurs journaux intimes, trois d'entre elles nous racontent les petits riens de leur quotidien. Elles nous donnent à découvrir la riche palette de leurs activités. Au fil des heures et des jours, on entre de plain pied dans le concret, le réel de la vie de la ferme et de la famille, ou comment concilier métier et vie privée ? Entre deux soins vétérinaires l'une d'elles nous livre leurs questionnements existentiels. Qui fait la loi des marchés ? Pourquoi le prix de la viande rouge n'a-t-il pas baissé pour le consommateur ? Vers quelle production devons nous nous tourner pour vivre de nos exploitations ?
Tout au long de ces pages d'écriture elles n'ont pas peur d'exprimer leurs espoirs autant que leur colère face aux images négatives que la société véhicule sur le monde agricole. Elles ont pris conscience qu'il leur reste encore un vaste travail de communication à faire pour renouer le dialogue entre les agriculteurs et les citoyens.
Cet atelier d'écriture est un élément d'un projet de communication ambitieux conçu par la commission féminine de la FDGEDA(fédération départementale des groupes d'études et de développement agricoles) de la Haute Vienne. Elle a entrepris de travailler avec des artistes pour refléter une image positive de l'agriculture et de leur métier auprès du grand public. Le fruit de cet échange Artsgricultrices fait déjà l'objet de plusieurs créations artistiques. Eugène Durif et Catherine Beau ont créé un spectacle dans le cadre de la Compagnie "L'envers du décor" : "Le plancher des vaches" destiné à être joué aux champs et à la ville. Arnaud Ruiz exposera deux fresques géantes sur les murs du centre ville de Limoges. Pierre Deschamps l'animateur de Coquelicontes développera des contes sur l'agriculture en 2004. Sans oublier la sobriété champêtre de l'illustration graphique de Maria Tzvetkova pour "de l'encre dans la prairie".
Textes reçus qui disent le plateau ou ses gens. Poèmes de William Chatain, de Peyrat-la-Nonière, qui dit entre ironie et malice ses humeurs. Un petit poème de Hilly Van der Wiel, de Rempnat, inspiré par la Vienne qui coule au fond de son jardin. Témoignage de Christine Rigaud qui habite la région parisienne et dont chaque retour sur le plateau, à Faux-la-Montagne, sonne comme de familières retrouvailles.
et la rivière ? et ben, elle parleson langage d’hivercouleur héron cendréle héron cendré ne se remarque plusenfin, si, il se remarquemais se fondant dans le même murmureconstant, sans relâcheil rebâche comme armuresa couleur cendrée, comme pour la rivièresa chanson sacréede lumières d’été se sont fait des réservesla rivière en est grossele héron en est sagegrave, ailes déployées il s’élèvede la rivière fait son tremplinla rivière laisse faire, que faire d’autre ?pour avancer vers l’inconnu, on s’accomodede bien des élansde bien des ventscontraires ou s’aimantle héron et la rivières’appartenant.
Loin de ces terres stérilisées,Endommagées sans préjugésPar tous les exploités primés,Il est sans doute privilégiéPour nous offrir sans compterToute sa beauté sous estiméePar ceux qui ont osés bafouerToute son âpre vérité.
Si ses formes deviennent un obstacleA toutes exploitations d’audace,Elles sont aussi comme un grand charme,Le gardien de ce territoireQui est traversé non sans grâcePar troubles chemins qui s’enlacentPour que l’on puisse apercevoirTous les paysages délicats.
Si les nuances de ses tonsDépendent d’abord de la saisonC’est que la hauteur de ses montsNous offre l’hiver des frissons,Et si la vertu de ses sonsProvoquent parfois la déraison,C’est que le printemps de saisonEst aussi frais qu’il est fécond.
C’est entre murettes et tourbièreQue vergnes, genêts et fougèresSont amoureux de cette terreQui n’est pourtant pas prolifèrePour toutes les générations humaines,Mais la beauté de ce plateauEst le jardin jamais trop beauDe la nature élevée bien haut.
Un jour sans prétention, de trouver la raison,On me fit découvrir un tout autre horizon,Très loin m’avait-on dit de toutes mes passionsMais proche de l’ambition de devenir un vrai con.
On me fit déplacer, de ma Creuse littéraire,A une sorte de prison, gardée comme un sanctuairePar des gens qui n’avaient que leurs visages fiersPour les différencier entre les races humaines.Ils semblaient tous vêtus, ou du moins corrompus,Par la même tenue, cachant je le présume, un secret d’amertume.
D’un air triste, abattu, je suis sorti tout nuD’un local où je dû troquer ma belle tenueContre l’opacité d’un vert délavéSouillé par le péché d’avoir tué son passé.
C’est lorsque mes cheveux m’ont regardé par terre,Que j’ai dû me soumettre à leurs rites de guerre,Ecouter leurs prières, chantées d’un air cruel,Et répéter sans vers leurs chants éternels.
Quelques jours de ma vie pour devenir sénile,Et je pus revêtir, pour leur faire plaisirLe besoin de l’envie, de ne pas devenir un être trop futile.Ne sembler qu’imbécile, était devenu facile,Et tromper mon ennemi ne fut qu’un jeu crédibleQui ne devait durer que quelques mois damnés.
Si le caméléon tu deviens par raisonDe ne pas devenir un gradé maigrichon,C’est que devenir moins con est bien ton ambition,Et que leurs crânes vidés par les ordres sans idéesN’auront jamais raison de nos vraies sensations.
Ma vie devint ennemie de leur désir débileDont mon besoin civil ne devait pas pâlir,Et toute l’intelligence, qui sortait de ces rangsDans un format bâtard, digne d’un art ingrat,Tenaient dans un drapeau qu’ils élevaient bien hautTous les jours au détour d’une danse indigèneQui me sembla la même tout au long de ma peine.
Si servir le désir, de devoir conquérir, est un devoir civiqueQui à l’encre de chine est écrit dans les livresDont ils se sont servis pour forcer nos envies du devoir de mourir,Je promets l’abstinence, très anarchiquement,En ne m’éternisant sur leurs pensées démentes.Je promets l’abstinence, très anarchiquement,En ne m’éternisant sur leurs pensées sanglantes.
Reprenant la route une fois encore et toujours avec le même sentiment de revenir vers une terre connue, si bien reconnue dès que la voie commence às’élever, bordée de sapins et de cette couleur sombre qui, si c’est l’été, rafraîchit mon corps transpirant, et si c’est l’hiver, peine à être arpentée (et voilà ! j’ai encore oublié les chaînes, je retiens ma respiration) et ça passe, je parviens enfin à cette place de village dont l’espace est arrêté par les murs de l’église.
Les instants d’avant, fenêtre ouverte, mes poumons se sont gorgés de cet air si pur, quelque soit la saison, je ne respire pas mieux que là, je le sais.
Mes pupilles se sont déjà délectées des camaïeux de jaunes et de verts, des noirs et des blancs c’est suivant, et dire encore cette immensité bleutée qui a cueilli une fois encore au détour de la Circum Lacustre, mon regard, vaste comme un océan et il y a même un phare, plus loin, je le sais.
Même qu’il se trouve sur une île, entouré d’arbres puissants un jour abattus bruyamment par un vent fougueux, qui repoussent désormais au milieu de formes, installées là au gré des années par des mains de maître qui ont été invités à apporter leur touche au lieu : couleurs, matières qui tranchent et se mêlent aux berges, aux bois et aux monts qui les environnent ou les surplombent : des signes rouges, bleus, se détachent au milieu des jaunes, des verts, des marrons clairs ou sombres.
Dans les rues du village, si c’est tard l’hiver, personne. Mais si c’est l’été, il y a les gens. Suivant l’heure, ils seront là, ou pas. La vieille femme, à la fontaine ronde, le facteur ouvrant sa portière et descendant un paquet à la main, les enfants roulant à bicyclette, en patinettes, en planche à roulettes ou courant, les ados marchant nonchalamment, l’épicière vendant La Montagne, la boulangère, ses bonnes miches, Monsieur le maire, ses pâtés creusois, le pharmacien enclin à soigner les “mots”,
Brin de Zinc, tenant cybercafé orange et gris, bières locales et café blanc, l’auberge de la Feuillade où la belle Hélène officie, le restaurant des Fines Herbes où Josette se démène à préparer ses plats maison, la mairie où Télé Millevaches donne des nouvelles du Plateau, Tom Pousse qui garde au chaud ses petits, l’école qui maintient ses classes, en bas, la scierie Ambiance Bois, et puis tous les Amis, qui ne cessent d’augmenter à chacun de mes passages, d’ici, de là ou d’ailleurs... et puis... et puis...
Mon cœur réchauffé déjà je le sens le seuil à peine franchi du panneau annonçant
Faux la Montagne,
je reviens, je suis revenue.
« Le monde s’est arrêté. Tu marches dans les rues de Paris, mais tu es seul. Tous sont vivants mais figés à l’heure où le temps s’est arrêté. » Pendant ce temps, Oeil de Fennec, la micro-revue poétique de René Bourdet d’où sont tirées toutes les citations de cette notule, poursuit son long chemin. On en est, en juillet, au 386e numéro (39e année !). Le joyeux drille s’offre même, un n°386 bis. Facétieux : « Le prochain don du sang effectué sur la commune de Clochemerle-les-Bains, aura lieu exceptionnellement au sein de la boucherie-charcuterie Viandard. Prière de s’inscrire auprès du garçon-boucher, Monsieur Paul Sanguin. Après cette opération le prix du boudin devrait subir une légère baisse. » Ou encore : « Le piano est certes le plus niais des instruments, au départ il ressemblait à un cercueil sur pattes, alors pour ne pas effrayer la masse du public on lui mit une queue. » Politique : « Quarante degrés / Au gré des journées / Sauf du CAC quarante / Le monde est malade / Nous n’avons pour force / Plus que la police / Tirant à vue d’oeil / Sur des gilets jaunes / Toujours à prétendre / Que plus rien ne gaze / À tel point que France / Rime avec souffrance. »
De son côté, Julien Dupoux, depuis ses Combrailles creusoises, a publié un recueil de 60 poésies intitulé Vous en aurez besoin, dont nous donnons ici quelques lignes.
Trouer l’armure
Je voudrais m’échapper de la villeQue mes seins dessanglés enfin foncentLe corps furieux, l’esprit tranquilleJe prendrai pour emblème la ronceJe veux respirer jusqu’aux reinsSi je dois vivre de rienLe ciel me sera ouvertEt les nuits silencieusesJe n’aurais plus peur de perdre la fouleNi de l’extrême solitudeNi, promis, des soirs de douteNi que ne me tourne autourQuelque goguenard bonhomme à la mine loucheJe veux filer avec le ventJe veux l’emporter mon amantSur les terreaux trempés de fleursJe vais le piocher dans les champsEt me semer de ses onguentsJe voudrais écraser les mursD’un coup de botte et d’un grand pasComme une ogresseUn ouragan que les immeubles n’arrêtent pasJe soulèverai les toitsJ’emmènerai mon mondeLoin des restes de la citéEt, venez, maintenantVenez cueillir mes fruits leur chanterai-jeMon emblème la ronceEst sortie de la neige.
L'hommage d'Armand Gatti à Georges Guingouin.
Dans un tableau gigantesque intitulé "Le Cyclope", Paul Rebeyrolle avait rendu par la grâce de la peinture, un grandiose hommage à son ami Guingouin.
Il manquait au "premier maquisard de France" un monument de la même trempe, tracé cette fois avec des mots, que seul un poète pouvait construire. C'est chose faite avec un poème fleuve de plus de 120 pages qu'Armand Gatti vient juste de terminer et qu'il a bien voulu nous confier pour que nous en publions ici un (court) extrait.
Ce texte, fort, heurté, imprégné d'Histoire et de luttes, est scandé de mots qui reviennent régulièrement, et d'abord (d'où le titre de l'oeuvre) les cinq noms que porta Guingouin durant la Résistance : Lo Grand comme l'appelaient les gens du pays, Le Chêne qui disait sa puissance, L'Orage nom que lui donnèrent les déserteurs russes faits prisonniers après la bataille du Mont Gargan, Bootstrap nom de guerre que lui attribuèrent les parachutistes anglais du 3ème SAS, et Raoul, son nom de maquis. Gatti explique que ces cinq noms de Résistance furent "les clefs de gamme" de l'épopée de Guingouin. Ce sont aussi les clefs de gamme de son hommage à la "Résistance guérillère" et à son héros. Les combats maquisards sont "comme notes de musique d'une symphonie à inventer" que Gatti, au fil des lignes invente, installe dans la puissance des mots, des phrases et de la mélodie qui rythme ce texte. On l'entend déjà, ce poème symphonique, dans le vent qui souffle l'hiver sur le plateau, dans le balancement des arbres de la forêt de la Berbeyrolle où Gatti rencontra pour la première fois Raoul-Le Chêne-L'Orage-Bootstrap-Lo Grand.
Cinq fois Georges Guingouin
Jaillissant
comme un bouquet de fleurs roses de bruyère
dit que les combats du maquis
sont un parfum
dont les arbres portent la verticalité
Les mille sources du Plateau
se mettent aussitôt à chanter
La Corrèze
La Creuse
La Vézère
et la Vienne en sont la portée
avec comme clef :
- les vieilles hêtraies, les futaies ouvertes
- les couvertures des tourbières avec lesquelles s'abriter de l'intempérie
- les châtaigniers qui avaient plus d'une fois sauvé des familles de paysans de la famine
- la main de l'industrie qui se levait dans le paysage en signe de complicité
- les gorges où les ruisseaux crient la solitude de la pierre
- les traits d'eau dans les sous bois mousseux donnant naissance à des pactes secrets
- deux mille excavations qui disent encore les mines d'or petits reliefs évocateurs des luttes des travailleurs que recouvrent maintenant des friches boisées.
Les sources y sont tutoiement continu.
Le Limousin restera-t-il
la symétrie des pays de la Longue Marche
dont les troubadours médiévaux disaient déjà
qu'en lui
le moindre jardin
valait mieux que la richesse et l'argent
sur une autre terre
Ô Georges Guingouin
Avec ton nom multiplié en Raoul, (lo) Grand,
l'Orage, le Chêne, Bootstrap
les acacias des quatre rivières
élisent en quatre saisons ta présence
Le vent dans les arbres n'est-il point l'univers
qui parle ?
Pour le maquisard
le chêne de la Berbeyrolle était
le psalmiste, en chants de la nature,
dans lequel
s'agrandissait
une façon d'être sur terre
Qu'est-ce qu'un maquisard ?
une bouteille jetée à la mer
Sur les hauteurs du plateau : Pigerolles. Lieu magique dont Laurent Bourdelas et Marie-Noëlle Agniau se souviennent dans ces deux textes. Entre souvenirs d’adolescence pour l’un et quête “d’aération” pour l’autre, le plateau et Pigerolles en particulier prennent une dimension poétique et presque mythique. Laissons nous emporter par les mots.
Par Laurent Bourdelas écrivain et photographe.
C'est un retour incessant, comme celui d'un chevalier s'approchant encore et encore de Brandigan, la forteresse du roi Evrain ; j'y cherche cette étrange aventure ayant pour nom Joie de la Cour, mais dont on dit qu'elle n'apporte que deuil et douleur. Désormais, les lieux sont gardés par de hautes éoliennes blanches, grands donjons tournoyant aux vents qui glacent les os. Qu'y a-t-il au bout de ce chemin bordé de vaches rousses et de ruches, que nous empruntions adolescents avec insouciance ? Si je parvenais à l'emprunter à l'envers, trouverais-je la chambre parfumée d'encens, de myrrhe et d'aloès, et serais-je convié à un souper d'oiseaux, de fruits et de vins délicieux ? Si je poursuivais à travers prairies pâles et forêts de résineux, pourrais-je m'allonger sur le lit d'argent couvert d'un drap brodé d'or sur lequel m'attendrait la Dame inconnue et belle, aux longs cheveux fins enserrées par la ferronnière comme les fées de mon enfance ?
Que faisions-nous en ces temps anciens à Pigerolles ? C'était en juin, nous déambulions sous les étoiles entre le village et cette prairie au bout du chemin, celui qui prend presque en face du petit cimetière clos où des roses se figent sous la neige en décembre. Le monde vacillait, nous l'ignorions. Nous avions les cheveux mi-longs, des sweat et des jeans effrangés, des pataugas peut-être.
Nous attendions sans savoir quoi - la vie, sans doute (la mienne est en partie restée accrochée aux faîtes des arbres, là-bas).
Si je prends place dans le lit merveilleux, je sais que surgira de l'ombre Mabonagrain, le neveu du roi, lourdement armé, et qu'il me tranchera la tête, comme à tous les autres avant moi : sur chaque pieu qui borde le chemin, des heaumes sont plantés et sous chaque heaume, saigne une tête. On dit aussi que ce sont les pales des éoliennes qui coupent proprement le cou des candides voyageurs. Pourtant, je sais depuis toujours que ce lieu est à moi. Lorsque j'allais à La Courtine, saluant au passage l'enfant au poing levé de Gentioux me rappelant la vacuité de nos combats, immanquablement, deux chiens noirs venaient se coucher au milieu de la route, à Pigerolles. Si j'avais tourné la tête, j'aurais aperçu le cor pendu au tronc d'un arbre qui attend depuis des siècles celui qui parviendra à le faire résonner et dont la gloire et la renommée feront enfin la Joie de la Cour. Mais je n'étais pas encore prêt à éteindre les malédictions.
C'était il y a trente ans, et le monde vacille encore, et Pigerolles existe encore : maisons de pierre, église, vieille école transformée, cimetière enclos pour éviter aux morts allongés la morsure cruelle du froid. Les grandes pales tournent comme pour passer le temps. D'autres chiens viennent à moi et l'enfant de Gentioux lève toujours le poing. J'ai enfin compris la vacuité de nos combats.Je sais qui je suis ou presque (the fool on the hill). Je sais qui ira jusqu'au bout du chemin, jusqu'à Brandigan, jusqu'à mon adolescence : mon fils blond, qui croit déjà que l'on traverse la vie dans un sous-marin jaune.
Le plateau de Millevaches, c'est pour moi, la grande aération du corps. J'y vais chaque fois que je suis en panne d'écriture, quand le corps peine à écrire et qu'en lui, tout résiste, à commencer par ses propres forces : comprimées, durcies par une masse qu'elles ne savent plus employer. Quand je n'y vois plus clair. Au début, je croyais que c'était le plateau des milles vaches, et ce n'était même pas la croyance de l'enfant. Je croyais à ce peuplement des bêtes, suspendues par l'échine aux cornes du ciel. Mais la croyance fut rompue et je fus instruite. De la nature de cet innombrable et de l'eau qui abonde dans les creux de la terre. Qu'elle soit si seule me ravit. Et quand je pose pied à terre et que je frappe la terre de mon pied, c'est pour faire tomber les déchets et la corne de mon corps. Et qu'un vent les promène comme autant de particules noyées dans l'exploit de sa force. Avez-vous remarqué - ressenti - l'arrondi de la terre et comme l'on pressent - ici ou presque - la totalité de la sphère sur laquelle nous sommes posés. C'est comme si nous tournions avec elle.
Les éoliennes ont rajouté leur propre mouvement. Ici, non seulement la tête vous tourne, mais le corps en entier, ici je dépose les parties défectueuses et comme malades, ici l'être que je suis s'affecte du grand air et du froid, et mon corps en entier devient ce lieu d'échange, toi pour moi, moi pour soi, un lieu de circulation - où même les nuages passent. Et quelques humains. Car comment les appeler autrement ? Ici, nous sommes frappés et tout nous semble étrange. Y compris le visage de l'homme. C'est l'évidence qui nous frappe, de plein fouet, comme le vent pousse les corps et la langue à sortir de soi. Ici, on aurait tendance à s'enfoncer dans les arbres et les feuilles, à ne plus faire qu'un. Mais ce n'est que tendance. Car le grand froid au bord duquel nous sommes assis, nous rappelle qu'il faut marcher. Stupeur tout en haut d'un souffle, le nôtre mélangé aux épices de la terre et au vide du monde, ici, à monter, puisqu'il faut monter et que le froid nous oblige à tenir, ici, je change de peau et j'opère la mue la plus silencieuse qui soit. On pourrait la croire insensible. On pourrait trouver d'autres métaphores, comme une espèce de machine à laver, géante. Ici, c'est grand tambour et c'est le vent qui lave et qui souffle en nos poumons et qui nettoie des pieds à la tête, jusqu'à nos idées, nos pauvres idées d'écriture et de poète. Ici, les chiens courent à l'état sauvage et quand ils reviennent vers nous - s'ils reviennent - c'est qu'ils ont déposé, quelque part, sous la terre, un peu de leur domestication. Nous faisons de même. Il y faut le ciel et le vent pur, le renouvellement instantané de ce que nous sommes, ici la pensée ne pense plus etc'est avec joie qu'elle s'abrutit sur le plateau du vent.
Ici, je suis changée. Et les muscles se détendent et le froid qui nous apprend à faire face nous apprend aussi à plier, à détendre, à recevoir ce qui vient.
« Le temps des forêts »Forêt de chez nousmêlant brume et mystèregrouillante de verdurecerveau vert contre la lobotomiecentre de contrôle du climat ancien lieu de coexistence du vivantmais aujourd’hui scan d’une cupidité parasitede Royère à Usselde Domps à Flayatcortège infernal rythmé par les « timber » quel genre de fric se cache dans ces nouveaux désertset ces plateaux flambant neufs ?
Quand un arbre tombe, est-ce que quelqu’un l’entend ?Qui entend la forêt tomber ?
Lui ? Qui rase et passe au suivantqui sort ses arbres puis se casselui qui tue les espèces à un rythme effrénéet chasse les vivants ici depuis une éternitéson monstre d’acier creuse des trous hideux qui polluent aussi nos esprits tout ça pour des milliards de palettes inutilesmangeur du vivant, fabricant de cauchemars pauvre couche d’ozoneles pluies tombent maintenant sur la terre nueEntendez ce cri sous les étoiles :renard, dessine-moi un blaireau !Mais tout ça, c’est bien autre choseun autre monde effrayantoù la nature doit s’effaceret disparaîtredisparaître à jamais
Texte librement adapté de la chanson « If a tree falls », du canadien Bruce Cockburn, qu’on peut écouter sur youtube (rock acoustique). En réalité, la chanson originale évoque les forêts tropicales. https://youtu.be/13KUZ53NWq0
Les visages sont des lieuxla tête dans les épaulesl’apparence est une vérité
Les mémoires pleurentla morsure des silencesles visages sont des lieux
Les volets se fermentau passage des gruesle boulanger ne s’arrête plusLes fenêtres s’endormentsous les toiles d’araignéel’ombre frissonne
Les lieux sont des visagesdes jardins fragilesdans le confins des encres.
Elle vient lire ici les jours de soleil. Elle n’a jamais de livre avec elle. Elle lit sur les feuilles des arbres. Elle dit que chaque feuille raconte et que quand il y a du vent les personnages s’enlacent, s’embrassent. Alors, elle se hâte dans la tendresse des chapitres.Hier, il y avait cet homme sur le banc. Ils ont lu ensemble en confondant leurs yeux aux couleurs jusqu’au dénouement d’un baiser.Un jour, il n’y aura plus de feuille aux arbres, ni de mot baiser, ni d’histoire. Sur le banc restera un mot gravé dans le bois dénudé.
Je pèse mes mots à VassivièrePays de l'eau et de la pierreOù l'amour et la compétenceDétrônés par la connivenceLe pouvoir et la sécuritéNous assurent la médiocrité
Commune prospère à VassivièreTu as connu un temps ton maireHaut responsable dans les instancesPar les deniers de providenceEmbellir tes rues et tes maisonsEn détournant les subventions
Et cet autre maire qui recruteSur CV pas trop fourniS'assurant que votre butN'est pas de surpasser ainsiCette employée bien installéeQu'elle protège et qu'elle chérit
A tous les porteurs de projetsOn vous promet dans les médiasDe vous recevoir, vous écouterMais tout ça n'est que bla blaSi vous n'êtes pas riche sociétéVous ne les intéressez même pas
Pensez que nos éphémères élusTrop souvent avides de pouvoirNe prendront de risques superflusLaissant vos projets, vos espoirsLe dynamisme tant attenduRangés au fond d'un tiroir
Et que dire de ces fonctionnairesFils ou fille de, neveu ou nièce de,Dans les structures de VassivièreGrassement pistonnés par leurs aïeuxOnt-ils la compétence nécessaireOnt-ils déjà touché la terre m
Je lance un pavé dans la mareCette mare de mille hectaresPour engendrer une vague, juste une vague