Cent, peut être deux cents, en tout cas nombreuses étaient les personnes et les habitant.e.s venues, souvent en famille, aux rencontres de cette journée festive de déambulations champêtres, culturelles et politiques (au sens large). À la Berbeyrolle, au bourg de Tarnac et à Peyrelevade (en veillée) des carrefours dédiés à la résistance, à la poésie, à la mémoire, à l’histoire, à la convivialité... avaient été installés dans les salles municipales, sous des chapiteaux, à la médiathèque Armand Gatti et en plein air, offrant des expositions, des lectures, du théâtre, du cinéma, un repas du cru.
À la Berbeyrolle, dans un îlot de forêt (les alentours sont en coupes), au bord d’un ancien trou du maquis, une plaque fixée sur une haute pierre de granit rappelle que la Résistance est le propre des gens ordinaires. Ce message n’est pas fréquent car la plupart des stèles l’inscrivent sur le mode tragique des victimes ou sur celui de l’exception propre aux héros. Ni héros, ni martyrs, les personnes dont les noms sont gravés ici appartiennent simplement à deux familles de paysans de la commune, ce sont ceux de quatre jeunes citadins, ouvriers ou fils d’ouvriers venant de loin (Nice-Monaco, Marseille, Lyon) et celui d’un passeur italien de la filière communiste conduisant au maquis limousin depuis la Méditerranée. Huit noms gravés en hommage à tous les “légaux”, paysan.ne.s et villageois.e.s, ainsi qu’aux jeunes maquisard à qui ils offraient refuge, nourriture, soins et planque. J’oublie deux noms, mais ceux-ci figurent sur la deuxième stèle. Ils appartiennent d’une part à une jeune fille juive monégasque rescapée des rafles, entrée dans la résistance, dont la famille a été exterminée à Auschwitz, et d’autre part à un révolutionnaire paysan ukrainien.
Ce monument évoque à travers ces dix noms la résistance dans son mode commun, familier et familial, essentiellement modeste. Elle est illustrée ici par une forêt près d’une ferme, par des familles paysannes, des réfugié.e.s, des partisan.e.s. Il s’agit de la résistance universelle - d’ici comme d’ailleurs, de tous temps et à tous les temps - qui s’exprime par les actes concrets de solidarité, de courage et de refus quotidiens venus des gens du peuple, en bas. La pierre du maquis de la Berbeyrolle montre d’abord cela.
Il ne serait pas juste de dire que cette “plaque”, promise en 1996 par l’ancien maire Jean Plazanet au cours d’une discussion avec Armand Gatti2, existerait si ce dernier n’avait pas été en 1943 un des quatre jeunes maquisards de la Berbeyrolle. Devenu un auteur dramatique important et un poète reconnu, Gatti est mort en 2017 après avoir écrit le texte des plaques3 de la forêt de la Berbeyrolle. Il a laissé une œuvre dont les sources, assure-il, proviennent justement de ce plateau éponyme où il est devenu homme et où il aurait voulu voir “sa pierre”. Après 10 ans de persévérance, l’association Le Refuge des résistances Armand Gatti et la mairie de Tarnac ont cependant tenu la promesse du maire, même si ce fut à titre posthume. Le message du poète sur la résistance est désormais délivré au monde depuis l’en bas de ce village ignoré4 dont le maquis lui offrit un devenir d’écrivain “toujours maquisard” (sa “deuxième naissance”).
Revenons à la forêt de la Berbeyrolle où le premier message, familier, celui de la pierre près du trou, se prolonge sur un autre monolithe érigé à quelques pas en contrebas au creux du vallon. Parmi les arbres de la forêt complice, la résistance s’y inscrit en deux phrases exclamatives au ton révolutionnaire. La première, un peu énigmatique, est philosophique : “Prolétaires du monde entier, descendez dans vos propres profondeurs, cherchez-y la vérité, créez-la vous-mêmes ! Vous ne la trouverez nulle part ailleurs”. Nestor Makhno. Armand Gatti mentionne expressément celui qui est considéré comme son auteur, Makhno, un révolutionnaire libertaire, paysan pauvre qui s’est soulevé victorieusement avec son peuple en Ukraine pendant la Révolution d’octobre 1917. Mais n’obéissant pas au parti bolchevik, il fut contraint à l’exil au début des années 20. Cette phrase associée au nom de Makhno n’est pas sans rappeler la démarche et l’histoire de Georges Guingouin, “Premier maquisard de France” et de “Lou gran maquis”, vingt cinq ans après : une parabole philosophique et historique que Gatti à certainement voulu placer à la Berbeyrolle, à un “endroit juste”. Le deuxième slogan inscrit sur le monument sont les derniers mots du refrain de L’Internationale que le poète et ouvrier communard Eugène Pottier lance avec rage à la face de l’humanité pendant La Semaine sanglante : “Nous ne sommes rien soyons tout !”. Ici au maquis, dans la forêt amie, l’écho de cet appel redouble celui de la phrase du paysan révolutionnaire venu d’Ukraine. Il exprime une incommensurable volonté d’émancipation mais aussi la conviction en sa possibilité dans le passé, pour le présent et à l’avenir ; ici et ailleurs.
Mais venez donc sur place faire un tour à la Berbeyrolle ! Il y a “un trou qui vaut le coup”. “Tarnac, village remarquable”, n’est-t-il pas ?
Jacques Poirier (ce Français servant la Grande-Bretagne qui a raconté sa guerre dans un livre de souvenirs intitulé La girafe a un long cou) devait rencontrer Malraux début 1944, aux limites Corrèze-Dordogne-Lot.
Devenu un ami très fidèle des deux frères Malraux, il les a longuement évoqués : Roland (un peu) et André (beaucoup), celui qui prenait beaucoup de risques et celui qui en prenait très peu. Voyons comment Poirier raconte les conditions d'entrée en Résistance de l'écrivain. Selon lui, sans doute après le débarquement (mais ce n'est pas précisément daté), Malraux lui propose de l'accompagner à Paris où il doit rencontrer la direction du CNR (Conseil national de la Résistance). Le voyage a lieu en train, mais Malraux plante là son ami et ne reparaît que deux jours plus tard, triomphant : « J'ai vu tout le CNR, j'ai reçu un mandat de coordonner la Résistance dans le Lot, la Corrèze et la Dordogne. Je prends le pseudonyme de Colonel Berger ». Poirier ne semble pas prendre ombrage de l'attitude cavalière de l'écrivain. Mais pourquoi croyez-vous que ce dernier n'a pas voulu inviter Poirier à rencontrer (vraiment) le CNR ? Le biographe de Malraux, Olivier Todd, explique en 2003, dans Epidémiologie d'une légende1 : « Le dernier membre du CNR que j'ai rencontré, c'était Bourdais. Est-il exact que Malraux avait été chargé par tout le CNR de représenter la Résistance là-bas ? Bourdais m'a répondu : "Absolument pas, on ne l'a jamais vu" ».
Le même Olvier Todd nous donne des précisions lourdes de sens. Sur un plan général, voici comment cet auteur parlait (dans une émission de France-Inter) des curieux récits de l'écrivain : « La résistance de Malraux est le cœur de sa mythomanie. Malraux était mythomane, il n'y a pas de doute là-dessus. Mais ça ne me gêne pas outre mesure [il cite d'autres écrivains mythomanes, Chateaubriand, Giono …]. Je m'étonne toujours qu'on fasse tellement grief à Malraux d'avoir menti alors qu'on le pardonne aisément à d'autres. » Quant à Malraux lui-même, il a écrit ceci : « On raconte que je fabule. Mais il se trouve que mes fables viennent petit à petit à coïncider avec la réalité », ou encore : « La mystification est éminemment créatrice » et « Tout aventurier est né d'un mythomane. » Dont acte.
Todd évoque aussi dans sa biographie les conditions de l'arrestation de Malraux en juillet 1944, sur la route de Toulouse. Malraux a prétendu qu'il devait sa libération à son prestige de grand écrivain, lequel aurait fortement impressionné de hauts gradés allemands. Plusieurs Histoires de la Résistance évoquent simplement la libération de la prison par les troupes FFI de Serge Ravanel. Pourtant, Todd explique l'événement autrement : cette libération aurait été payée par la Résistance grâce aux fonds provenant du hold-up d'un train de la Banque de France à Neuvic-sur-l'Isle, en Dordogne (le 28 juillet 1944). Action rocambolesque, mais authentique.
On pourrait encore épiloguer sur l'aventure de la Brigade « Alsace-Lorraine » des FFI, sur l'overdose des titres honorifiques et médailles britanniques reçus par Malraux, sur le passage de la mouvance résistante pro-anglaise à celle gaulliste de la France-Libre... Malraux devient pourtant Compagnon de la Libération, puis ministre de l'Information fin 1945, menant ensuite la belle carrière politique qu'on lui connaît. L'homme était donc passé en moins de 20 ans du profil de crypto-communiste à conservateur-réactionnaire, étant prêt à tous les reniements et compromissions (ces mots n'engagent que moi). Paraphrasant Olivier Todd, je conclurai ainsi : « André Malraux a eu deux très beaux romans : L'Espoir et sa propre vie ».
Michel Patinaud1 https://academiesciencesmoralesetpolitiques.fr/
Le travail que nous vous présentons dans les pages suivantes a été réalisé en 2004 par deux artistes réunis dans le collectif "Bureau d'Etudes".
De quoi s'agit-il ? De deux cartes consacrées aux "micro luttes" en Limousin.
La première (reproduite page 8 et 9) présente une transcription visuelle des "micro rébellions autour de Rochechouart" - en fait : en Limousin, puisqu'on y trouvera des références aussi diverses que la mutinerie du camp de La Courtine en 1917, les émeutes de la faim à Eymoutiers en 1846, les manifestations ouvrières et anarchistes de Limoges et St Junien de 1905 ou encore les multiples actes de résistance de Guingouin et ses maquis sur le plateau et ses abords.
La seconde carte (page 10) est consacrée aux actuelles "micro résistances contre les mutants" en Limousin : sites contaminés par les déchets d'uranium, communes et zones qui s'étaient déclarées en 2004 "hors AGCS" ou "sans OGM".
Ce travail original devait être exposé en 2004 au Musée départemental d'art contemporain de Rochechouart (Haute-Vienne) dans le cadre d'une exposition intitulée "Paysages invisibles". Mais c'était sans compter le veto qu'y a mis Madame Pérol-Dumont, Présidente du Conseil Général de la Haute-Vienne. Quelques semaines avant l'inauguration de l'exposition celle qui venait juste de prendre ses nouvelles fonctions, découvrait ces cartes et en particulier la deuxième. Irritée par ce qu'elle considéra sans doute comme une provocation ou un manifeste militant, elle refusa que les cartes pourtant déjà imprimées ne soient présentées et diffusées. Elle repoussa donc la date d'ouverture de l'exposition, pour avoir le temps de remplacer in extremis l'intervention de Bureau d'Etudes par autre chose. L'exposition fut donc présentée dans le musée départemental sans les fâcheuses cartes…
Nous les publions donc ici, accompagnées d'un entretien avec Bureau d'Etudes qui nous explique le sens de ce travail. On lira également la philosophie de ce projet dans l'introduction aux cartes que les auteurs avaient rédigée et que nous publions ci-dessous sous le titre "Permanence des résistances". La "micro lutte"continue !
IPNS : Qu'est-ce que Bureau d'études ? Quelles sont les raisons qui sont à l'origine de ce collectif d'artistes ?
Bureau d'Etudes : Nous nous sommes créés comme groupe d'artistes parce que cela nous permettait une plus grande autodétermination que celle de l'artiste solitaire produisant pour le marché ou les officines de l'Etat culturel. Suite à la création d'un espace d'exposition nous avons vu assez vite comment un tel lieu devenait lui-même un appendice bénévole d'un système culturel dont nous critiquions le fonctionnement.
C'est pourquoi nous avons commencé à circuler dans des lieux développant d'autres formes de vie et de fonctionnement. Nous sommes allés voir les Centres Sociaux en Italie et en Espagne, les squats, avec l'idée de reconnecter l'autonomie artistique (la production de sens ou d'expression déliée d'une demande sociale administrée ou d'une commande du pouvoir) à l'autonomie sociale et politique (auto organisation).
A ces expériences et réflexions s'articule notre travail de cartographie des réseaux de pouvoir. Nous avons fait une première publication qui cartographie les systèmes de contrôle et de surveillance, diffusée lors du camp No Border de Strasbourg contre le système d'information de Schengen en 2002. Puis une autre sur l'Europe diffusée lors du Forum Social de Florence en 2002. Nous avons également réalisé plusieurs cartes exploratoires sur le gouvernement mondial, et travaillons actuellement sur un Atlas de l'Etat français.
IPNS : En 2002, vous avez été invités en résidence par le musée départemental de Rochechouart (Haute-Vienne). Pouvez-vous nous raconter comment vous avez été amenés à travailler sur les cartes que nous publions ici ?
Bureau d'Etudes : Pendant notre résidence à Rochechouart, invités par la conservatrice du musée départemental d'art contemporain de Rochechouart, nous avons travaillé à partir des archives historiques limousines sur les luttes dans le Limousin. Ce travail, présenté ici pour la première fois, a débouché sur une publication qui devait être diffusée pendant l'exposition "Paysages invisibles" au musée de Rochechouart en septembre 2004. La direction du Département n'a pas souhaité que ce travail soit présenté et diffusé. Elle a fait saisir l'ensemble du stock qu'elle avait financé et nous a exclu de l'exposition, nous accusant de ne pas avoir honoré notre contrat. Nous avons en effet développé notre réflexion sur les luttes limousines aujourd'hui et non jusqu'en 1945 tel qu'il était prévu, en y incluant une carte sur les luttes contemporaines (anti-nucléaires, anti-OGM, anti-AGCS).
IPNS : Ces cartes sont consacrées à ce que vous appelez les "micro luttes". Qu'entendez-vous par cette expression ?
Bureau d'Etudes : Les micro luttes sont ces histoires qui n'ont pas été écrites par les vainqueurs. Ce sont de petites histoires locales, des luttes singulières, disséminées, qui existent à la base et ne cherchent pas à entrer dans les appareils, formant ainsi, en quelque sorte, le négatif du grand Etat intégré avec ses appareils de co-gestion (syndicats, grands partis), son système public-privé, sa centralisation administrative ou normative, etc.
Nous avons séparé deux cartes : les luttes à l'intérieur de l'Etat-nation, inventé en 1648 (Louis XIV) et disparaissant en 1945 (cela dit évidemment très rapidement).
Et les balbutiements des nouvelles luttes dans le contexte de l'hégémonie américaine et de la reconfiguration du rapport local-global.
Voici un petit livre d'à peine 90 pages qui renferme sous son modeste format une qualité de propos et d'analyse qui mérite largement les 8,50 € qu'il coûte !
A l'origine un entretien avec Guingouin réalisé en août 2002 par Francis Juchereau et qui constitue la première partie du livre. Plutôt que de revenir sur la période de la guerre et de la résistance, Georges Guingouin prend prétexte de quelques épisodes de sa vie, avant ou après la guerre, pour transmettre quelques enseignements qu'il a pu tirer de son "chemin de Résistances". Il avoue son admiration pour Pierre Leroux et pour toutes les expériences coopératives qui eurent lieu en Limousin : "Ces réalisations traduisent la grande ligne politique d'émancipation de l'homme par les travailleurs associés énoncé par Karl Marx. Nous y retrouvons aussi la marque du grand combat de Jean Jaurès pour la création de la coopérative ouvrière d'Albi". Leroux, Marx, Jaurès : en se référant aux "pères fondateurs", Guingouin réaffirme la vivacité de son espoir en l'homme, et ne rend que plus sévères ses jugements sur leurs fils putatifs qui de Staline aux apparatchiks du PCF (Maurice Thorez, Jacques Duclos, Jeannette Vermeersch, Waldeck-Rochet, Plissonnier et Marchais en prennent pour leurs grades !) trahirent la confiance que le peuple avait mis en eux. Ce qui nous vaut quelques maximes qui prennent toute leur force d'avoir été éprouvées par l'événement : "Ce n'est pas le bruit - parole ou bavardages - qui montre, au fond, la valeur des individus : ce sont les actes". Ou, à propos de la pratique du secret au sein du parti communiste : "Ce phénomène du secret des sphères de pouvoir s'inscrit dans l'histoire de l'humanité. Dans les premières sociétés humaines historiques les groupes dirigeants étaient sacrés. Puis dans les sociétés modernes la fonction dirigeante perdit son caractère sacré : le secret remplaça le sacré". Interrogé sur le mouvement altermondialiste comme réponse aux grands problèmes de l'heure, Guingouin répond : "Il y a un foisonnement, c'est certain. Du moment qu'en haut il y a échec, à la base il y a recherche".
Dans une seconde partie, Gérard Monédiaire, tente de décrypter ce qui peut expliquer le cheminement d'éternel résistant de Georges Guingouin. En suivant son itinéraire, il propose en fait une réflexion générale sur "les rapports, toujours problématiques, entre liberté individuelle et immersion dans une époque donnée, en l'occurrence le XXème siècle". On ne saurait trop conseiller le lecteur intéressé, ou peu informé de l'itinéraire de Guingouin, de se reporter chez le même éditeur aux ouvrages déjà parus de Michel Taubmann (L'affaire Guingouin), Gérard Monédiaire (Georges Guingouin, premier maquisard de France) et Georges Guingouin lui-même (Quatre ans de lutte sur le sol limousin).
Il y a beaucoup à dire - et beaucoup a été dit déjà - sur la volonté du Chef de l'Etat de faire lire aux lycéens, obligatoirement, l'une des lettres adressée par le jeune résistant communiste Guy Môquet à ses parents avant d'être fusillé par les nazis, après que des hommes de la droite d'alors, par haine de la gauche, aient aidé l'occupant à établir la liste des 27 suppliciés de ce triste jour. A ce sujet, on lira avec intérêt le magistral article de l'historien Jean-Pierre Azéma dans L'Histoire de septembre 2007. Il y réfléchit à propos de "Guy Môquet, Sarkozy et le roman national" et précise avec pertinence que la majorité d'entre nous, historiens et enseignants, ne saurions admettre cette " caporalisation mémorielle " et refusons l'idée qu'il revienne " au pouvoir politique de trancher si nécessaire en matière d'enseignement de l'histoire. " Cela avait été clairement exprimé lorsqu'il avait été question de légiférer pour dire combien la colonisation avait eu d'effets bénéfiques… Mieux vaut que l'enseignant choisisse de faire lire cette lettre à ses élèves dans le cadre d'un cours, d'une progression, d'un contexte bien défini.
On pourrait croire que cette lecture participe de la fameuse " ouverture " politique souhaitée par M. Sarkozy, qui s'est traduite par la revendication de tutelles comme Jean Jaurès et Léon Blum, ce qui est pour le moins surprenant, et l'entrée au gouvernement de quelques délaissés de la gauche en mal de reconnaissance. Cette " ouverture ", Honoré de Balzac nous l'a montrée dans Le Colonel Chabert avec un Napoléon tentant de se concilier les bonnes grâces des monarchistes. Mais Guy Môquet était un communiste et l'on ne peut pas dire que le programme et les premières mesures prises par l'actuel gouvernement aient beaucoup de points communs avec ces idées ! En extrapolant, on pourrait à bon droit se demander ce que le jeune résistant aurait pensé des arrestations de sans papiers, parfois jusqu'aux abords des écoles, des mises en rétention et des expulsions. Mais non, il n'est pas question de récupérer les morts. Toutefois, on peut se souvenir que le programme du Conseil National de la Résistance fut à l'origine des grandes lois sociales de l'après-guerre, comme la création de la Sécurité Sociale. Faire payer des franchises aux malades, revenir sur certains régimes spéciaux de retraite, ne semble pas participer de cet esprit…
Mais il y a encore pire : ainsi apprend-on avec surprise et consternation que M. Laporte, en charge d'une peu performante équipe nationale de rugby, membre différé du gouvernement (une première dans l'histoire de nos institutions), aurait fait lire cette lettre de Guy Môquet à ses joueurs pour les motiver. Il faut alors aller plus loin : lire la lettre de Guy Môquet avant d'aller chez le dentiste, avant de demander un prêt à son banquier, avant son mariage, avant d'accoucher, avant de passer son permis de conduire. Ainsi sera-t-elle définitivement banalisée, et le héros sera mort pour rien.
Les lecteurs d'IPNS connaissent l'histoire de cette "résistance inaperçue", celle des "Réfractaires de La Villedieu" de 1956 (Cf. IPNS n°1). Rappelons brièvement les faits.
Le 7 mai 1956, un camion de l'armée avec à son bord des réservistes rappelés, se rend à La Courtine, centre de regroupement avant le départ pour l'Algérie. Il se trouve bloqué à La Villedieu en Creuse où la population apporte son soutien aux rappelés qui refusent de partir aux cris de "Paix en Algérie" et "Non à la guerre !". Pour leur participation à cette manifestation, trois hommes subiront des peines exemplaires : René Romanet, le maire de La Villedieu, Gaston Fanton, l'instituteur de Faux la Montagne et Antoine Meunier, un vétéran invalide de la guerre de 1939-1945.
Depuis sa création en octobre 2001, l'association Mémoire à Vif se bat pour obtenir leur réhabilitation et celle de tous ceux qui ont été condamnés pour leur action en faveur de la paix en Algérie.
Cinquante ans après, il lui semble que "le temps est venu de réfléchir sereinement au passé colonial français et de mener une véritable analyse critique de ce passé trop longtemps refoulé qui ressurgit aujourd'hui et avec lui, le racisme, la xénophobie, les discriminations".
Parce qu'elles sont multiples, les blessures sont toujours à vif. Pour que ces mémoires plurielles deviennent mémoires partagées pour "aller plus loin que les frontières qui sont dans nos têtes", Mémoire à Vif propose les 5 et 6 mai prochains, à Limoges et à La Villedieu une série de manifestations :
Vendredi 5 mai à Limoges, à 14h, au Conseil Régional, projection du film "Guerre et bâillon" qui raconte ce que furent les évènements de La Villedieu, suivie du témoignage de Gabrielle Meunier, témoin de l'époque, puis d'un débat auquel participeront Simone de Bollardière, André Bernard, Jean Jacques de Félice, Tramor Quemeneur et Pierre Sommermeyer, acteurs engagés des luttes anticolonialistes. (Entrée libre).
A 20h15 au Cinéma Le Lido, projection de "La bataille d'Alger" de Gillo Pontecorvo, suivie d'un débat avec le critique de cinéma Michel Boujut. (Entrée : 4,5 euros).
Samedi 6 mai à La Villedieu : à 11h, cérémonie officielle à la mairie de La Villedieu avec lecture d'un très beau texte de l'écrivain algérien Arezki Mellal : "Marcelle, Denise, un printemps à Limoges".
A 13 h : couscous au Villard (Royère de Vassivière). Réservation obligatoire avant le 30 avril (20 euros par personne, 8 euros pour les moins de 14 ans et les demandeurs d'emploi). Animations musicales puis projection du film "Slimane Azem, une légende de l'exil" de Rachid Merabet.
Le 4 avril 1944, un groupe de résistants communistes, au chef bien connu, Georges Guingouin, surnommé « Lo Grand », quittait la forêt de Châteauneuf, pour rejoindre les confins de la Haute-Vienne et de la Creuse. Il était urgent pour eux de s’éloigner des routes suivies par la terrifiante division Brehmer, qui allait laisser derrière elle un long sillage de morts, de rafles et de désolation (lire: Jeudi Saint, de Jean-Marie Borzeix, 2008, éditions Stock). La « compagnie de choc » commandée par Guingouin lui-même (IPNS n° 8, 29, 51, 65) était formée de 150 hommes, suivant dans des camions les 3 mules qui transportaient armes et bagages, mules gentiment prénommées la Marie, la Margot et la Jolie. Direction la forêt de La Feuillade. La population creusoise qui vit passer le défilé ne connaissait pas l’existence de ce groupe. Une rumeur commença à circuler – témoignages véridiques – parlant d’un repli du « grand maquis de Savoie ». On était en effet 10 jours seulement après la réduction tragique du maquis des Glières. Arrivés dans la dite forêt, les maquisards eurent besoin de faire ferrer les mules à Faux-la-Montagne, ce qui attira un peu plus l’attention sur leur groupe. Informée, la division Brehmer commença à le suivre à la trace, il fallait donc trouver un endroit plus sûr. Guingouin choisit le secteur de Vassivière, plus précisément le château pour le QG et l’intendance, et les bois de Chassagnas tout proches pour les hommes.
Mais il y avait là celle que les maquis surnommaient « la baronne » : Jeanne Pascale-Vassivière.
Comme à l’évidence cette dame renâclait à accueillir tous ces « terroristes », le « Grand Georges » dut la menacer de représailles pour obtenir son silence, ce qui fonctionna à merveille. D’autant que le garde-chasse du château sonnait du cor chaque fois qu’une colonne ennemie approchait. Une perquisition allemande eut lieu au château, évacué peu avant par les FTP. Et personne ne viola le secret. Ce ne fut pourtant pas une partie de plaisir, ce mois d’avril 1944 étant exceptionnellement froid. Cantonnement rustique, voire à la belle étoile, sous les sapins de Chassagnas. Du ravitaillement presque luxueux provenant du château, on passa à des réserves plus spartiates faites de quelques tourtes, une caisse de biscuits secs, un seul jambon, coupé en « feuilles de papier à cigarettes » ! Le tout arrosé d’eau claire, fini le pinard, plus de tabac, pas de feux. Tout ceci est raconté avec beaucoup de détails dans les ouvrages Quatre ans de lutte sur le sol limousin (G.Guingouin, 1974, éd.Hachette) et Une légende du maquis (F.Grenard, 2014, éd. Vendémiaire, IPNS n° 50).
Ce séjour fut finalement court, la division Brehmer étant dissoute après le 19 avril 1944, à Paris. Elle avait malheureusement fait 347 victimes en 3 semaines, sans compter les centaines d’arrestations et déportations. Le 16 avril, les maquisards purent regagner les environs du Mont Gargan, traversant bruyamment les villages. Ainsi à Neuvialle (commune de Nedde), où le jour de la Quasimodo, le convoi perturba le rituel d’une procession. Arborant le drapeau tricolore, les voitures du détachement klaxonnaient la bonne nouvelle : « le maquis est de retour ». Et on n’a plus eu de nouvelles des mules. Cet épisode presque amusant, au regard de tant d’autres drames, dut laisser un curieux souvenir fait de sueurs froides, aux protagonistes. « La baronne » retrouva sa douce quiétude champêtre. Décédée en 1957, elle repose au cimetière de Beaumont, devenu depuis… du Lac. Le colonel communiste, Georges Guingouin, libéra Limoges 4 mois plus tard, il en devint maire de 1945 à 1947.
C'est un petit paradis en son genre. Au dessus du lac Chammet, dans un site magnifique, le domaine de La Cour, d'une surface de plus de 100 hectares, regroupe une grande maison de pierre et tout un ensemble architectural : grange, chapelle, four à pain et vestiges d'une tour médiévale du XIIème siècle. En juin 2005, un rapport du CAUE (Conseil en architecture, urbanisme et environnement) de la Corrèze est réalisé à la demande du maire de Peyrelevade, Pierre Coutaud. L'intérêt patrimonial du domaine est souligné, tant pour la qualité du bâti que pour la richesse exceptionnelle de ses écosystèmes naturels. Ce dernier aspect fait à la même époque l'objet d'une étude écologique menée par le Conservatoire régional des Espaces naturels en Limousin qui souligne la présence de landes sèches, de pelouses sèches à Nard, de tourbières et de hêtraies à houx. La Cour offre donc "un agencement des habitats naturels typiques du plateau de Millevaches", dont certains, comme les pelouses sèches à Nard, "représentent des milieux devenus extrêmement rares sur le plateau". Il ressort de ces deux études que le domaine de La Cour présente une configuration unique en son genre, où intérêts écologique, paysager et pédagogique se conjuguent pour en faire un véritable condensé naturel et patrimonial du Millevaches.
La municipalité de Peyrelevade apprenant que le domaine risquait d'être mis en vente prend les devants. Souhaitant que l'ensemble du domaine garde sa cohérence foncière et son statut de lieu "ouvert" plutôt qu'il ne devienne un lieu clôturé ou qu'il ne soit démantelé, la commune avertit il y a deux ans le parc naturel régional, suggérant que soit étudiée la possibilité d'installer à La Cour la maison du Parc.
Mais le parc ne réagit pas. Ni aux courriers du maire, ni aux rapports du CAUE et du Conservatoire qui lui sont envoyés. Personne ne vient visiter le site. Les mois passent, et... le propriétaire décide de mettre en vente le domaine. Mise à prix : 1 million d'euros (finalement descendu à 800 000 euros). Les premiers candidats à l'achat sont des promoteurs de chasses privées ou des opérateurs touristiques qui voudraient y implanter des gîtes pour les vacanciers. Les craintes de la municipalité se trouvent confirmées au moment même où La Cour fédère diverses initiatives qui pourraient transformer l'endroit en un lieu unique où se conjugueraient, dans l'esprit de résistance du plateau, création, invention, réflexion et action. Une université, un refuge, un théâtre, un carrefour... Les mots ont du mal à résumer le projet protéiforme qui pourrait s'incarner à La Cour. Mais les tergiversations du Parc et l'absence de moyens immédiatement mobilisables de la part de la municipalité ne permettront pas de faire de ce domaine exceptionnel ce qu'il aurait pu être : il vient d'être acheté par un privé décidé à y développer une activité d'élevage équin et d'accueil touristique.
Hélène Chatelain qui porte avec Gatti le projet de Refuge, explique : "Ce lieu préservé, à l’écart des tumultes, pouvait devenir à l’échelle européenne un foyer de création, de partage et d’échanges de pensée, fondamental parce que enraciné. Enraciné dans une terre, une communauté d’esprit, une réflexion sur les apprentissages et les savoirs. Sur un processus de création et de partage et une volonté d’ouverture sur d’autres questions, sur d’autres langues, sur d’autres langages. Une Université ? Un pôle ? Un phare ? Un centre ? Un catalyseur ? (Les mots sont si rapidement colonisés par la voracité langagière actuelle, qu’il faut les manier avec précaution de peur qu’ils ne se dessèchent ou se muent en leur contraire…).
Ce qui est clair, c'est que le futur du domaine était un choix. Profond, radical. Ou il était cédé à des entreprises de rapport fondées sur le tourisme (et chacun sait aujourd’hui qu’elles peuvent devenir l’équivalent moderne des détrousseurs de voyageurs – comptant sur ceux qui passent et non sur ceux qui restent). Ou s'y incarnait la volonté puissante, concrète de renverser la fatalité historique de cette terre. Depuis la nuit des temps, les hommes partent du plateau. Aujourd’hui, ils veulent rester. Non au prix d’un enrichissement fallacieux, mais à celui de la dignité et du respect d’eux-mêmes et de cette terre, autonome, responsable. Des gîtes pour accueillir les passants, des granges où l’on pourra louer des carrioles à la semaine - il y en aura et c’est tant mieux - car la beauté du plateau le mérite.
Le Limousin a été naguère le centre d’un monde.
Le Plateau des mille sources fut le centre d’une résistance.
La Cour pouvait devenir le centre d’une réflexion - multiple - sur le monde qui s’annonce, face à la destruction programmée des langues, des langages et des espèces.
Il y avait là aussi une fatalité á refuser. Et une opportunité - rare - à saisir.
L'occasion perdue ne détruit cependant pas les envies qui s'étaient exprimées. D'autres lieux sur le Plateau, sur la commune même de Peyrelevade, pourraient accueillir le projet de Refuge des résistances ou quelque chose qui n'a pas encore de nom, quelque chose qui n'a pas encore de "programmes" ou de "cahiers des charges", mais qui émane du désir et des rêves de quelques-uns. Quelque chose qui n'a pas encore d'identité, mais déjà une âme.
Autour d'Armand Gatti, de Pierre Coutaud, de leurs amis limousins du plateau, de Limoges (Cercle Gramsci) ou de Tulle (Peuple et Culture), le projet émerge, se construit, se fédère. Il n'est ni limité, ni arrêté. Encore en devenir. Ses promoteurs veulent le partager, l'élargir et appellent tous ceux qui se sentent concernés ou attirés par cette expérience à venir les rejoindre. Déjà des actes concrets sont posés. Un autre lieu est recherché. Une résidence de création au cours de l'été 2008 est prévue sur le Plateau autour de Gatti et de personnes venues de toute l'Europe – résidence à laquelle sont également conviés les gens du Plateau ou du Limousin qui voudraient s'associer à une telle expérience. Un blog existe sur Internet qui donne toutes les informations actuellement disponibles sur le projet de Refuge. Une association sera peut-être créée prochainement. Une réunion enfin est programmée pour présenter le projet en ses limbes et l'accompagner avec tous ceux qui sont motivés par cette idée urgente et nécessaire : il faut résister.
La revue A Littérature Action, éditée en Limousin, a consacré son quatrième numéro au “moments limousins“d'Armand Gatti. Christophe Soulié et Francis Juchereau racontent le retour d'Armand Gatti, à la fin de sa vie, sur le plateau de Millevaches, en particulier à Tarnac où il rejoignit un groupe de résistants en 1943.
Un retour qui commence le 29 octobre 2005 à Gentioux, par une “veillée“ qui en annoncera bien d'autres et qui se déroule 2 jours après la mort de Georges Guingouin. Aussitôt Gatti consacre un (très) long poème au résistant, un poème qu'analyse dans ce numéro Jean Rochard.
Par ailleurs, Laurent Doucet y raconte l'expérience qu'il a menée avec Gatti et ses élèves du lycée professionnel Antoine de Saint-Exupéry de Limoges. Le cinquième numéro de A Litterature Action qui vient de sortir est consacré à une autre figure d'écrivain engagé, Frantz Fanon.
« Une mystification totale », « une grande imposture », « résistant de la 23e heure ». Si sa charge contre Malraux est violente, la faiblesse de l'argumentation de Michel Patinaud, dans le dernier IPNS, suscite le malaise. De quoi s'agit-il ? Que reproche-t-on au juste à Malraux ?
L'article multiplie les questions chronologiques : « Que fit-il jusqu'en 1944 ? », « De mars à juillet 1944 qu'avait-il bien pu faire ? » et, sur la base du témoignage de Roger Lescure, affirme que Malraux « ignora la résistance avant le 6 juin 44. » Selon lui l'écrivain entretient la confusion en utilisant le pseudo de « Berger » qui serait en réalité celui de son frère Roland, arrêté le 25 février 1944. Enfin il indique que Malraux « coulait des jours paisibles au Château de Saint-Chamant » où « il côtoyait la fine fleur des pétainistes, voire des collaborateurs locaux, dont le notaire Desclaux. Dans le même temps, Jean Moulin mourait sous la torture. »Le procédé rhétorique associant artificiellement le martyre de Jean Moulin est d'un goût très douteux, l'information est au minimum approximative (s'agit-il de Maître Delclaux, et non Desclaux, pourtant généralement décrit comme proche de la résistance ?) et surtout ne démontre rien dans une époque où lutte clandestine et brouillage des pistes vont de pair. Mieux, sans s'en étonner une seconde, l'article nous dit que « des résistants sont chargés d'inviter Malraux à déguerpir ». Mais « ce dernier a fait de lui-même place vide en prenant la direction de Toulouse ». A-t-il fui pour éviter une confrontation avec la résistance ? Est-ce à cette occasion qu'il est « blessé et capturé près de Toulouse » ? Rien n'est clair puisque l'article procède par insinuations.C'est en fait à Gramat, au sud de Brive et à 160 km de Toulouse, en revenant d'une mission dans le Tarn avec George Hiller, agent du SOE (service secret britannique) que Malraux tombe sur un barrage allemand le 22 juillet 1944. Il est capturé. Hiller est grièvement blessé.
Pour tenter de répondre aux questions posées par l'article je me suis reporté aux souvenirs de Jacques Poirier, alias Jack Peters, agent français du SOE, chef du réseau Digger opérant en Corrèze, Dordogne et Lot. Dans La girafe a un long cou... (titre qui reprend un message de Radio Londres) il évoque longuement André Malraux, mais aussi son frère Roland, Georges Hiller bien sûr ou encore Harry/Henri Peulevé qui sera arrêté en même temps que Roland Malraux.
Allons à l'essentiel. Peulevé date de début septembre 1943 sa rencontre avec André Malraux désireux de s'impliquer dans la résistance. Il le présente en janvier 1944 à Jacques Poirier qui parle d’ « une étroite association ». Malraux sera « pendant les mois qui suivront, un compagnon de tous les jours pour notre bénéfice commun ». La suite du livre le décrit d'ailleurs en détail. Le témoignage de Poirier est-il insignifiant ?
Des tensions ont existé au sein de la résistance, c'est une évidence. Malraux ne fait pas l'unanimité en Corrèze, c'est probable. Sa personnalité peut dérouter et ses propos sont à interpréter avec prudence, soit. Enfin que le rôle et la mémoire de ses frères soient rappelés est une excellente chose. L'article de notre ami Michel Patinaud aurait pu s'en tenir là. Ce ne fut malheureusement pas le cas et un rectificatif s'imposait. Il a néanmoins un mérite : nous inciter à approfondir notre connaissance de cette période mais aussi à lire ou relire Malraux. Son dernier roman, Les Noyers d'Altenburg, a été publié en Suisse en 1943 sous le titre La Lutte avec l'Ange. Le personnage principal s'y appelle « Berger ».
C’est le Dictionnaire amoureux de la Résistance, de Gilles Perrault, qui sert de point de départ à cette rencontre.
L’esprit de la Résistance peut-il encore nous être utile aujourd’hui ?
Peut-on le voir à l’œuvre dans les mouvements des peuples actuels ?
Cette question qui leur est proposée les écrivains Alain Damasio, David Dufresne et Frédéric Lordon la débordent bien vite.
Peut-on échapper à la société de contrôle ou doit-on la renverser ?
Est-il possible de construire un archipel de dissidences qui résiste à la répression ?
Le Grand soir n’est-il qu’un fossile d’une pensée politique ensevelie ?
Cette rencontre proposée par Serge Quadruppani et enregistrée le 19 août 2019 dans le cadre du festival Les écrits d'août et de l'Université populaire d'Eymoutiers est à voir (ou revoir) sur le site de Télé Millevaches.
Dans sa biographie quasi officielle, nous apprenons que Malraux rejoignit la Résistance-maquis en mars 1944 aux confins du Lot, de la Dordogne et de la Corrèze. Engagé volontaire en 1940, il fut blessé, puis s'évada d'un camp de prisonniers près de Sens. On sait qu'ensuite il se réfugia « dans le midi ». Mais que fit-il jusqu'en 1944 ? Probablement des séjours en Corrèze chez Colette de Jouvenel, fille de l'écrivain Colette et d'Henry de Jouvenel. Colette de Jouvenel entretenait en effet des liens amicaux avec Josette De Clotis, femme de Malraux. Depuis Curemonte et Beaulieu-sur-Dordogne, en Corrèze, cette Colette n° 2 fut une authentique résistante, accueillant notamment des enfants et réfugiés juifs, comme des résistants pourchassés.
Chez André Malraux, rien de tout ça. Mais ami d'une grande et authentique résistante, voilà bien une belle breloque, une sorte de gage dont Malraux usera largement pour sa légende personnelle. Dans le même temps, œuvre en Corrèze un certain « Berger », dont le rôle consiste à assurer les contacts avec les alliés à travers le S.O.E, les services secrets britanniques, chargé entre autres des parachutages. Ce « Berger » était en fait Roland Malraux, demi-frère d'André, qui est arrêté par la Gestapo le 25 février 1944 à Brive, déporté en Allemagne, au camp de concentration de Neuengamme où il mourra le 3 mai 1945 dans le bombardement par les alliés d'un navire prison, près de Lubeck. Un autre demi-frère Malraux, Claude, joua alors un rôle assez comparable en Normandie. Arrêté lui aussi en février 1944, il aura le même destin que Roland : déporté au camp de Rossen où il meurt en septembre 1944.Est-ce le sort tragique de ses frères qui poussa André à rejoindre la Résistance juste après leur arrestation ? Il est très difficile de le savoir puisque le récit fait par André Malraux dans le tome I de ses Anti-mémoires commence le 22 juillet 1944 quand il fut blessé et capturé près de Toulouse, où il voulait rejoindre le chef régional FFI, Serge Ravanel. Mais de mars à juillet 1944 qu'avait-il bien pu faire ? On peut lire le témoignage d'un des chefs FFI de Corrèze, Roger Lescure, dans l'ouvrage Maquis de Corrèze (1971). Le résistant évoque André Malraux en ces termes : « Contrairement à son frère, Malraux, depuis une longue période, coulait des jours paisibles au Château de Saint-Chamant, près d'Argentat ». Là il côtoyait la fine fleur des pétainistes voire des collaborateurs locaux, dont le notaire Desclaux. Dans le même temps, Jean Moulin mourait sous la torture. Ce qui fait dire à Lescure que la Résistance a ignoré André Malraux « comme celui-ci ignora la Résistance avant le 6 juin 44 » (jour du débarquement allié).
Commencent alors à circuler des rumeurs concernant l'existence d'un personnage se faisant appeler « colonel Berger », se disant chef régional FFI. Rappelons que ce pseudo avait été celui de Roland Malraux, ce qui a de quoi intriguer. Un autre chef de la Résistance corrézienne, André Odru, raconta ainsi que « Berger » entretenait la confusion en réclamant auprès de plusieurs maquis corréziens qu'ils se mettent directement sous ses ordres. Après enquête, le « vrai » chef des FFI, le colonel Rivier (Maurice Rousselier), déclara à son état-major : « Vous n'avez d'ordre à recevoir que de vos chefs respectifs » et pas de « Berger », qui n'a aucun fonction, aucun commandement. Dès lors, des résistants sont chargés d'inviter André Malraux à déguerpir. Quand ils arrivent au château de Saint-Chamant, ce dernier a fait de lui-même place vide en prenant la direction de Toulouse.La suite est intéressante, car André Malraux fut bien un des créateurs en septembre 1944 de la Brigade Alsace-Lorraine de la nouvelle armée nationale. S'il ne fut donc pas un résistant de « la 25ème heure » , il le fut peut-être bien de la 23ème.Quand Malraux écrira que, dans la Résistance, il « avait épousé la France », on peut se demander s'il s'agissait d'un mariage de cœur, de raison, d'argent ou d'opportunité. Toujours est-il qu'il n'a jamais évoqué ses frères déportés, et qu'encore aujourd'hui beaucoup de monde, y compris dans le milieu de la mémoire résistante, ignore qu'il y eut en Corrèze deux Malraux. Et comme André n'a jamais rien fait pour dissiper la confusion, au contraire, il n'est pas exagéré de parler d'imposture.
Face aux murs et aux frontières, notre navigation collective. Face au grand capital, un champ en commun. Face à la destruction de la planète, une montagne naviguant au petit matin. Nous sommes zapatistes, porteur.E.s du virus de la résistance et de la rébellion. ».
C’est ainsi qu’en octobre 2020, l’EZLN annonçait un voyage à la rencontre des peuples du monde. Les complications et intimidations des bureaucraties mexicaines comme européennes n’auront pas eu raison de la volonté zapatiste : une délégation de l’EZLN a parcouru l’Europe d’en bas à gauche pendant 3 mois. La Montagne limousine était sur son chemin.
Un choc tout d’abord à la rencontre d’une organisation aussi forte et structurée que l’EZLN. EZLN pour Ejercito Nacional de Liberación Nacional, Armée Zapatiste de Libération Nationale.
C’est bel et bien le détachement d’une organisation politico-militaire qui a traversé la Montagne limousine. Avec ses uniformes (T-shirts sérigraphiés de l’organisation), ses écussons, sa hiérarchie, sa discipline, son récit historique officiel, le vocabulaire employé depuis l’automne 2020 (« invasion », « escadron », etc). Une armée oui, mais une armée révolutionnaire, au sein de laquelle toutes et tous sont compañeras et compañeros, toutes et tous sont animés par une même volonté et un même idéal, celui d’une transformation radicale du monde qui requiert un combat en tous lieux et en tous temps.
Une structuration impressionnante et fascinante. Effrayante pour certains qui, au nom d’une certaine liberté, se méfient de toute formalisation ou structuration des groupes politiques, rejettent l’institution toujours forcément « centralisatrice », et choisissent de se retrouver sur la base d’affinités et de singularités.
Des positions et des critiques à mettre en rapport avec nos réalités (et peut-être avec nos perspectives ?) : l’EZLN assume l’organisation et la sécurité matérielles d’un territoire grand comme la Belgique avec des exigences démocratiques fortes et doit se défendre contre les attaques meurtrières incessantes de l’État mexicain et des compagnies capitalistes, des tâches difficilement tenables en groupes affinitaires…
Nos réalités en effet sont très éloignées : au Chiapas, l’État mexicain n’inspire aucune confiance puisqu’on n’en connaît que bureaucratie, corruption et arbitraire, la notion même de « services publics » y est tout à fait absente et les communautés zapatistes ne perçoivent pas le moindre peso de l’État, elles pourvoient par elles mêmes aux nécessités de soin, d’éducation et de justice et sont également largement autonomes en nourriture. En France, c’est l’État Providence qui règne et prétend subvenir à tous les besoins des citoyens : assurance santé, chômage, retraite, éducation… Une Sécurité sociale héritée des luttes ouvrières au sein desquelles se sont affrontés pendant un siècle deux grands courants : les réformistes estimant que les gains de droits (syndicaux, salariaux…) renforçaient le mouvement ouvrier, et les révolutionnaires qui pensaient que ces droits permettaient aux capitalistes de s’adapter et affaiblissaient la puissance insurrectionnelle des masses populaires. Les échanges avec les compas ont amèrement souligné le bilan politique des victoires réformistes : là où les protections sociales de l’État sont fortes, l’auto-organisation populaire s’avère bien difficile… À l’heure où ces protections tendent à disparaître, à nous de transformer cette perte en opportunité : quand l’État social s’en va, ne lui demandons pas systématiquement de rester, profitons en plutôt pour tenter l’autonomie !
Car, « Si podemos ». « Oui, nous pouvons ». C’est l’un des mots d’ordre des zapatistes, ils l’affirment et le démontrent, faisons leur confiance ! Oui, nous pouvons décider par nous mêmes de nos besoins et y subvenir, nous former, nous soigner, pratiquer les arts et les sciences, défendre la « Tierra Madre », travailler collectivement cette terre nourricière puisque l’autonomie alimentaire est primordiale à toute construction d’autonomie politique territoriale. Oui, nous pouvons nous rebeller, nous organiser, écouter, discuter, et choisir des formes politiques qui nous semblent justes.
« Si podemos », ce fut aussi la parole portée par les compañeras, en tant que zapatistes et en tant que femmes. Lors d’une journée en non-mixité, une cinquantaine de femmes de la région ont pu échanger avec elles, et surtout écouter leur récit, le récit de la lutte zapatiste depuis ses origines spécifiquement du point de vue des femmes. Au delà de nos différences culturelles et historiques nous avons réalisé que nous rencontrons des difficultés similaires : difficultés pour les hommes de laisser les femmes participer aux responsabilités politiques, difficultés pour les femmes de prendre confiance en elles, d’assumer ces tâches et de s’engager hors des domaines qui leur sont traditionnellement dévolus (santé, éducation). « Si podemos » : nous, femmes, pouvons participer à la lutte politique, personne ne le fera à notre place. Afin de favoriser une évolution vertueuse, les zapatistes ont choisi d’instaurer la parité à tous les niveaux de l’organisation (local, municipal, zonal) et dans tous les domaines d’activités. Les réalités qui semblaient naturelles et immuables ont déjà commencé à changer.
D’autres moments des rencontres ont mis en lumière nos différences, comme celui qui a réuni les compas et des membres du groupe psy-psy qui accompagne et soutient des personnes en souffrance psychique. Les situations de détresse - perte du sens de l’existence, sentiment de solitude et d’isolement, incapacité douloureuse à répondre aux injonctions d’épanouissement et de bien-être - , sont ici bien souvent vécues individuellement et leurs causes recherchées dans les histoires personnelles et familiales. En découvrant ces situations, c’est l’incompréhension qui dominait chez les compas : si la souffrance existe aussi là-bas (et de manière bien plus ardente avec les enlèvements et assassinats), elle n’est pas tant psychologisée et les traumatismes sont portés par l’ensemble de la communauté, du mouvement, ils sont une part du commun. La souffrance n’est ni tue ni honteuse : conséquence de l’injustice, elle est considérée comme le fondement de la révolte et de l’insurrection. Si la lutte révolutionnaire n’efface pas les souffrances personnelles, il semble qu’elle sache les transcender et les sublimer…
En commençant le récit de l’histoire zapatiste, avec son premier chapitre intitulé « le temps des fincas », (ces grands domaines agricoles de type colonial), l’une des compañeras s’est avancée pour annoncer qu’elle allait parler de leurs aïeules, et raconter « comment elles ont vécu, c’est-à-dire comment elles ont souffert ». C’est peut-être en cela, la souffrance, que réside l’universalité de la condition humaine dans le monde capitaliste. Peut-être gagnerions nous à la reconnaître comme une base commune, un terreau nourricier pour la résistance et la rébellion.
Au commencement de ce projet, il y a un tag apparu au printemps dernier sur le campus des Vanteaux de l’université de Limoges. Alors que la campagne électorale pour les présidentielles battait son plein, quelqu’un écrivit un slogan pour un “candidat“ dont les bulletins ne seraient pas présents dans les bureaux de vote : “Guingouin 2017“. Ce tag semblait faire écho à celui de la gare d’Eymoutiers de mars 2009 proclamant : “C’est pas Julien, c’est l’esprit de Guingouin qui arrête les trains.“
La mémoire, ça ne va pas de soi. Pour passer de faits de Résistance en 1940-1944 à des tags à Eymoutiers en 2009 ou à Limoges en 2017, ou encore à la mention des Juifs pourchassés dans un communiqué sur les réfugiés, il y a plus de soixante-dix années de construction de mémoires collectives qui entrent en jeu, consciemment ou non. Chaque structure sociale – nation, communauté, commune, famille, association, entreprise ou groupe politique – dans la ou les unités de temps et de lieu considérées, puise dans son passé ce qu’elle pense correspondre à ses besoins du moment. La mémoire n’est jamais un acquis inerte, gravé dans le marbre, mais plutôt un nerf sensible.
La mémoire, c’est une part importante du récit de soi par lequel on se présente au monde. Pour reprendre les mots du professeur Corcos, psychiatre, elle est “le terreau des créations futures“. Elle peut aussi devenir un “carcan“. Frein ou moteur, le passé influe toujours sur le présent mais les enjeux du présent aussi influencent la mémoire du passé. La mémoire d’un groupe humain est à l’image de la société que ce groupe constitue. Elle est très rarement monolithique et invariable. Pour un individu comme pour un groupe social, regarder son passé, c’est souvent se regarder soi. Ce regard est souvent conflictuel. La mémoire n’est pour cela pas monobloc. Difficile de se reconnaître héritier de certaines parts de notre passé. Pour parler de la Résistance, elle ne constitue pas un roman manichéen. Elle comporte ses personnages en nuances de gris, ses transfuges et ses opportunistes, comme elle comporte aussi ses authentiques héros. Les choix ou les non-choix devant lesquels se sont trouvés hommes et femmes en capacité d’agir à ce moment-là ont dû être cornéliens. Renoncer au pacifisme, par exemple. Mettre, par son action, des proches en danger. La justice de la cause ne garantit pas la gloire.
Une anecdote que m’a racontée Christian Pataud, maquisard à Eybouleuf, près de Saint-Léonard, peut illustrer cette idée. En 1943-1944, une masse de jeunes hommes sans formation militaire se sont retrouvés avec dans les mains les fameuses mitraillettes Sten. Armes rustiques, simples d’usage mais instables. Des accidents eurent lieu. C’est ainsi par exemple qu’a trouvé la mort un des enfants du commandant Pinte de l’Armée Secrète lors d’un parachutage d’armes à Aixe-sur-Vienne. “On a dit aux familles que les gars étaient morts au combat, et ça valait mieux comme ça“ m’a dit Christian Pataud. Il est bien normal d’avoir quelques égards pour les proches des disparus. Il faut toutefois que ces égards soient conscients pour ne pas nous donner une fausse idée du réel. Il y a autant d’écueils à vouloir voir la Résistance trop belle qu’à vouloir la voir trop prosaïque.
La mémoire est aussi le reflet de réalités géographiques. Hormis De Gaulle, Jean Moulin et peut-être Pierre Brossolette, peu de figures de la Résistance émergent dans la mémoire collective hors de leur région d’action. Tous les personnages de la Résistance sont portés par des mémoires de groupe. À Limoges, plusieurs artères principales de la ville portent des noms de résistants : Georges Dumas, François Perrin, Armand Dutreix... Pourtant, peu de limougeauds savent qui ils étaient. Guingouin a plus retenu l’attention et a été plus célébré dans les communes du sud-est de la Haute-Vienne. Ces particularités locales dénotent aussi des disparités de traitement selon les familles politiques. Le PC a toujours honoré ses morts de la Résistance – les 75 000 fusillés (en exagérant leur nombre au passage). Les vivants, en revanche, ont eu droit à un traitement plus ambigu. Les socialistes (SFIO), emmenés en Haute-Vienne par un Jean Le Bail qui n’y a pas participé, auront une attitude mémorielle plus réservée sur la Résistance. Tous, dans nos choix politiques, dans nos choix professionnels, sommes orientés par notre origine sociale et familiale, même quand on se construit en opposition.
Le rôle de l’historien, par sa démarche et sa méthode, est d’aider ses contemporains à comprendre ce qu’ils exhument. Il se doit d’apporter, par la méthode scientifique, rationnelle, les outils nous aidant à maîtriser la part d’irrationnel dont il est difficile de se départir dans cet aspect de notre regard sur le monde. Une erreur à ne pas commettre, serait de croire que l’histoire détient la vérité. En réalité, l’historien, par son travail, définit la vérité la plus probable.
Guingouin est une figure paradoxale. C’est une figure locale. La promotion de son image qui aurait pu être portée par son parti, eu égard à l’exemplarité de son action, a été stoppée par son exclusion de 1952. Et bien que Compagnon de la Libération et “l’une des plus belles figures de la Résistance“, il n’est pas une figure pour les gaullistes, puisque communiste. Son image fut donc portée par des courants politiquement minoritaires ou marginaux. Et de fait, il n’est pas une figure connue du public en dehors des frontières limousines. Et pourtant...
Pourtant, il n’est pas inconnu dans les milieux se réclamant du communisme anti-autoritaire, dans les milieux libertaires et autonomes. Et sur les flancs de la Montagne limousine, donc, où le parallèle entre Petite Russie hier et résistances au capitalisme aujourd’hui, maquis hier et ZAD aujourd’hui, est tentant.
Pourtant aussi, il est une figure qui a rencontré, inspiré les artistes. Et là, c’est un peu la question de l’œuf ou la poule. Est-ce que le personnage a inspiré les artistes ou sont-ce les artistes qui ont mythifié un personnage ? Les aléas de la guerre et de l’occupation ont amené à proximité des maquis de Guingouin deux hommes qui allaient devenir des artistes importants : Dante Gatti, venu prendre le maquis à Tarnac, et Izrael Bidermanas, réfugié à Ambazac. L’un deviendra le journaliste et dramaturge Armand Gatti, l’autre, sous le nom de Izis, un des photographes les plus renommés de la deuxième moitié du XXe siècle. Le second tire le portrait des libérateurs de Limoges en 1944. Le premier écrit un poème qui ressemble à une chanson de geste à la mort de Guingouin. Le titre de la série de portraits d’Izis, “Ceux de Grammont“, fait référence à un maquis qui n’était pas sous l’autorité de Guingouin. Izis, d’Ambazac, avait sans doute entendu parler de ce maquis de Saint-Sylvestre dont plusieurs hommes tombent début août 1944 dans un accrochage. Mais de ceux de Grammont, qui garde aujourd’hui la mémoire ? Ou celle des lycéens du 17e barreau, des réseaux Noyautage de l’Administration Publique, des réseaux des cheminots ? Sans que ce soit complètement de son fait, Guingouin aura mis dans son ombre bien d’autres acteurs de la Résistance. Leur expérience mérite pourtant autant d’intérêt.
Gatti, dans sa maison de l’arbre de Montreuil, avait mis le portrait de Guingouin dans son panthéon, aux côtés de Mao et Makhno. Plus tard, d’autres artistes se sont saisis du personnage. Rebeyrolle à Eymoutiers, bien sûr. Mais aussi d’autres, ces dernières années. C’est le cas notamment d’un romancier, Jean-Pierre Le Dantec ou de l’illustrateur jeunesse Yann Fastier, qui recherchait un personnage de bandit d’honneur : “Dans un premier temps, j’avais pensé à Zapata“ Il faut dire que l’histoire de Guingouin aura contribué à le faire entrer dans la peau d’un personnage romanesque. Il y a son parcours de résistant de la première heure et ses coups d’éclats. Mais, surtout, les avanies qu’il vit après guerre ont un double effet. D’abord de souligner l’injustice du sort qui lui a été fait, et d’autre part, se retrouvant en marge, il a pu rester fixé dans l’image du résistant. Lui n’est devenu ni un professionnel de la politique, ni un apparatchik cautionnant les dérives du régime soviétique, ni un tortionnaire des guerres coloniales. En somme, il est la figure idéale de la Résistance.
Que faire d’une figure idéale ? C’est peut-être le questionnement fondamental de ce projet. Si l’histoire doit nous permettre de tirer un enseignement, d’enrichir notre approche du monde, alors il faut la soumettre à un questionnement jamais arrêté. Le devoir de mémoire n’existe pas. Notre devoir, vis-à-vis de nos prédécesseurs, de nos successeurs et de nous-mêmes, est d’avoir sur notre héritage le regard le plus lucide. La même lucidité que nous devons avoir sur notre présent.