« Une mystification totale », « une grande imposture », « résistant de la 23e heure ». Si sa charge contre Malraux est violente, la faiblesse de l'argumentation de Michel Patinaud, dans le dernier IPNS, suscite le malaise. De quoi s'agit-il ? Que reproche-t-on au juste à Malraux ?
L'article multiplie les questions chronologiques : « Que fit-il jusqu'en 1944 ? », « De mars à juillet 1944 qu'avait-il bien pu faire ? » et, sur la base du témoignage de Roger Lescure, affirme que Malraux « ignora la résistance avant le 6 juin 44. » Selon lui l'écrivain entretient la confusion en utilisant le pseudo de « Berger » qui serait en réalité celui de son frère Roland, arrêté le 25 février 1944. Enfin il indique que Malraux « coulait des jours paisibles au Château de Saint-Chamant » où « il côtoyait la fine fleur des pétainistes, voire des collaborateurs locaux, dont le notaire Desclaux. Dans le même temps, Jean Moulin mourait sous la torture. »
Le procédé rhétorique associant artificiellement le martyre de Jean Moulin est d'un goût très douteux, l'information est au minimum approximative (s'agit-il de Maître Delclaux, et non Desclaux, pourtant généralement décrit comme proche de la résistance ?) et surtout ne démontre rien dans une époque où lutte clandestine et brouillage des pistes vont de pair. Mieux, sans s'en étonner une seconde, l'article nous dit que « des résistants sont chargés d'inviter Malraux à déguerpir ». Mais « ce dernier a fait de lui-même place vide en prenant la direction de Toulouse ». A-t-il fui pour éviter une confrontation avec la résistance ? Est-ce à cette occasion qu'il est « blessé et capturé près de Toulouse » ? Rien n'est clair puisque l'article procède par insinuations.
C'est en fait à Gramat, au sud de Brive et à 160 km de Toulouse, en revenant d'une mission dans le Tarn avec George Hiller, agent du SOE (service secret britannique) que Malraux tombe sur un barrage allemand le 22 juillet 1944. Il est capturé. Hiller est grièvement blessé.
Pour tenter de répondre aux questions posées par l'article je me suis reporté aux souvenirs de Jacques Poirier, alias Jack Peters, agent français du SOE, chef du réseau Digger opérant en Corrèze, Dordogne et Lot. Dans La girafe a un long cou... (titre qui reprend un message de Radio Londres) il évoque longuement André Malraux, mais aussi son frère Roland, Georges Hiller bien sûr ou encore Harry/Henri Peulevé qui sera arrêté en même temps que Roland Malraux.
Allons à l'essentiel. Peulevé date de début septembre 1943 sa rencontre avec André Malraux désireux de s'impliquer dans la résistance. Il le présente en janvier 1944 à Jacques Poirier qui parle d’ « une étroite association ». Malraux sera « pendant les mois qui suivront, un compagnon de tous les jours pour notre bénéfice commun ». La suite du livre le décrit d'ailleurs en détail. Le témoignage de Poirier est-il insignifiant ?
Des tensions ont existé au sein de la résistance, c'est une évidence. Malraux ne fait pas l'unanimité en Corrèze, c'est probable. Sa personnalité peut dérouter et ses propos sont à interpréter avec prudence, soit. Enfin que le rôle et la mémoire de ses frères soient rappelés est une excellente chose. L'article de notre ami Michel Patinaud aurait pu s'en tenir là. Ce ne fut malheureusement pas le cas et un rectificatif s'imposait. Il a néanmoins un mérite : nous inciter à approfondir notre connaissance de cette période mais aussi à lire ou relire Malraux. Son dernier roman, Les Noyers d'Altenburg, a été publié en Suisse en 1943 sous le titre La Lutte avec l'Ange. Le personnage principal s'y appelle « Berger ».
Michel Lebailly