Dans les années 1970-1980, l’évolution de l’agriculture a impacté énormément la population de petit gibier (remembrement, utilisation de la chimie, arrachage des haies…). Qui dit perte de gibiers dit perte du nombre de chasseurs. Le monde de la chasse a cherché une parade à cela. Comment garder une population conséquente de chasseurs au vu du poids politique qu’elle peut avoir ? Là est le point de départ de la volonté de développer la chasse aux grands gibiers (cerf, chevreuil et sanglier) par la réintroduction des lâchers et des plans de chasse permettant à ces espèces de se développer.
Ceci est la base du cocktail. Vous y ajoutez l’exode rural (ensauvagement, plantation), le changement climatique (hivers plus doux, moins de mortalité naturelle, plus de nourriture), pas de prédateurs (hormis le chasseur), les zones de non-chasse (où les populations se réfugient), les zones péri-urbaines (zones difficilement chassables), avec une espèce, le sanglier, capable de s’adapter dans beaucoup de milieux et qui, désormais, n’a plus de période de reproduction bien définie (présence de marcassins tout au long de l’année) et des femelles gestantes de plus en plus jeunes.
Voilà, le cocktail est prêt : une population de sangliers hors de contrôle à tel point que dorénavant la chasse est considérée comme une mission de service public… Mais le problème majeur ce sont les dégâts. Pour la saison de chasse 2019-2020, les indemnisations aux agriculteurs de dégâts de gibiers s’élevaient à 46 millions d’euros sur le territoire national, imputables à 80% aux sangliers. Pour la Creuse sur cette même saison, il y a eu 353 000 euros d’indemnisation1. Ce sont les fédérations de chasse qui paient les dégâts, et les ACCA (Associations communales de chasse agréées) de chaque commune paient à la fédération une taxe. Cette taxe est calculée en fonction de la superficie de la commune et du pourcentage de superficie endommagé.
La Fédération des Chasseurs de la Creuse (FDC 23) a mis en place cette taxe pour inciter les chasseurs à prélever plus de sangliers et donc à faire qu’il y ait moins de dégâts. L’idée semble encourageante surtout quand on sait que les comptabilités des ACCA sont souvent à la limite de l’équilibre. En début de saison, les ACCA doivent payer les bracelets de grand gibier (chevreuil : 12 euros ; sanglier de plus de 50 kilos : 55 euros ; et pour les cervidés cela va de 40 à 60 euros). Ces bracelets sont obligatoires et doivent être posés sur chaque animal prélevé lors de l’action de chasse.
Cela représente un peu de trésorerie à sortir en début de saison… mais les ACCA ont trouvé la parade. Depuis quelques années s’est développée la vente de bracelets de chevreuil pour le tir d’été. C’est une chasse à l’approche ou à l’affût qui se pratique à partir de juin jusqu’en août et souvent par des personnes extérieures à la commune, qui parfois viennent de très loin pour faire un trophée de brocart (mâle du chevreuil). Alors que l’ACCA a payé 12 euros le bracelet à la FDC 23, il est revendu 200 euros… Quelques bracelets vendus et la taxe liée aux dégâts est payée...
Le problème n’est pas le sanglier en soi, c’est comment on le gère et les dégâts qu’il occasionne. Le code de l’Environnement parle d’« équilibre agro-sylvo-cynégétique »… Une petite explication s’impose : cet équilibre consiste à rendre compatibles, d’une part la présence durable d’une faune sauvage riche et variée, d’autre part la rentabilité et la pérennité économique des activités agricoles et sylvicoles (et oui, il y a aussi un gros souci pour la forêt avec la population de chevreuils et de cerfs). Peut-on parler d’équilibre agro-sylvo-cynégétique sur une commune comme Saint-Martin-Château (Creuse) quand on voit les surfaces détruites tous les ans ?
Chaque agriculteur choisit de faire ou non des déclarations de dégâts (si vous n’avez pas de statut agricole, vous n’avez pas la possibilité de vous faire indemniser les dégâts sur votre pelouse ou votre potager, vous pouvez uniquement voir avec l’ACCA s’ils peuvent faire quelque chose). Donc, à Saint Martin-Château tous les agriculteurs ne font pas de déclarations de dégâts.
Comment se passe une telle déclaration ? Il faut faire une demande à la Fédération, qui vous envoie un papier à remplir (lieu, estimation de la superficie, type de terrain). Une fois ce papier rempli, vous le renvoyez à la Fédération, puis un expert prend rendez-vous, et vient faire le tour des parcelles pour estimer la superficie endommagée. Pour les céréales et le maïs, c’est simple, on prend la superficie et le rendement multiplié par le barème de la céréale ou du maïs et le tour est joué. Pour les dégâts sur prairie ce n’est pas aussi simple, car les indemnisations de dégâts sur prairie sont conditionnées à la remise en état que fait l’agriculteur ! Donc l’expert laisse un nouveau papier que l’on doit renvoyer à la Fédération une fois que le travail de remise en état de la prairie est fait. L’expert revient ensuite sur l'exploitation vérifier que le travail a bien été fait. Si l’agriculteur ne l’a pas fait, il ne sera alors pas indemnisé. Et là, se pose la question des dégâts sur des parcelles de pâture qui ne sont pas mécanisables… Le calcul de l’indemnisation se fait en fonction de la surface et de l’outil utilisé pour la remise en état (herse, broyeur, à la main, etc.). Un barème est fixé tous les ans par le Conseil National d’Indemnisation.
Mais bon, l’État est là… et une subvention de 60 millions sur trois ans pour la Fédération Nationale de Chasse au titre de l’aide à la réforme structurelle.... L’ambition de cet accord est de réduire de 20 à 30 %, d’ici trois ans, les surfaces de dégâts de sanglier au niveau national (avec un record pour la saison 2018-2019 de 4 600 hectares). Et encore 20 millions d’euros sortis du Plan Résilience Ukraine pour pallier l’augmentation des indemnisations dues à la crise actuelle.
Le nombre faramineux de sangliers abattus chaque année est la conséquence mal maîtrisée d’une volonté politique et historique de disposer d’une abondance de « gibier » à « réguler » par la chasse de loisir. Dans l’inconscient collectif, le cas du sanglier permet au lobby cynégétique de justifier son rôle plus que discutable de « régulateur de la faune sauvage ».
Pourtant, les sangliers représentent à peine 1 à 2% de la totalité des animaux tués à la chasse en France. Une majorité de ces animaux est issue, soit d’élevages de « petits gibiers », soit de populations sauvages en déclin ou ne nécessitant aucunement d’être « régulées ».
Stéphane Monboisse