Nous nous sommes efforcés, depuis 2021, de parcourir l’ensemble du Plateau afin de produire un maximum de photographies qui rentrent dans nos critères. Mais quels sont nos critères ?
Le premier vocable qui nous vient à l’esprit est l’adjectif vernaculaire dont la définition est la suivante : « Propre à un pays, à ses habitants. » Notre démarche intellectuelle face à la réalité du terrain est, à partir d'un regard naïf, de déconstruire le beau avec sa notion connotée concernant l’esthétique.
Pour cela nous nous sommes appuyés sur l'exemple du photographe Eugène Atget (1857-1927) le pionnier en la matière. Sa conception de l’image vernaculaire fut elle-même reprise par un groupe de photographes de diverses nationalités. Depuis plus de 50 ans ils sont connus sous la dénomination de « New Topographics ». Qu’est-ce qui se cache réellement derrière ce vocable « Nouvelle Topographie » ? Ces précurseurs ont commencé à nous sensibiliser en exposant en 1975, à Rochester (USA), à la George Eastman House (musée de la photographie) des photographies du paysage modifié par l’homme. C’est donc une évolution primordiale de la représentation des paysages contemporains, urbains comme ruraux.
Après 1975, ce courant américain est revenu en France par l’intermédiaire de Jean-François Chevrier en 1984, soit 10 ans après une commande publique ayant pour objectif « de représenter le paysage français des années 1980 ». Ce projet, véritable évènement dans la sphère culturelle française, fut initié par des décisions prises le 18 avril 1983 par le comité interministériel d’aménagement du territoire (Cita). Pour le grand public ce projet est plus connu sous la dénomination de « mission photographique de la délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale (Datar). » S’il y avait un nom à retenir ce serait celui de Lewis Baltz car il a eu un pied dans chaque projet : « New Topographics » et « Datar ». Il est le seul photographe à avoir eu cette reconnaissance plurielle sur les deux continents. Parmi les 28 autres photographes de la mission photographique de la Datar se trouvait Bernard Birsinger.
Aujourd’hui, cette écriture spécifique en photographie est perpétuée par des photographes contemporains tels Thomas Struth de « l’École des Becher » à Düsseldorf. Qu’y a-t-il de plus vernaculaire dans le paysage qu’un château d’eau ? C’est cet édifice qui aura été la « marque de fabrique » de Bernd et Hilla Becher qui en ont photographié des centaines. Cet édifice du XIXe siècle trouva un successeur dans le corpus photographique d’Edward Ruscha avec « Twenty six gasoline stations » (1962) ou « Thirty our parking lots » (1967). Par l’intermédiaire des Becher et de Ruscha nous comprenons ainsi l’évolution sociologique d’un pays quel qu’il soit nous conduisant étape après étape sur le chemin de l’individualisme.
Étant imprégnés par ces illustres prédécesseurs et contemporains, notre écriture perpétue cette vision qu’on pourrait qualifier d’iconoclaste puisque ne répondant pas aux critères primaires du beau. Nous essayons de compléter ce premier élément de notre corpus avec d’autres images glanées au quotidien, des portraits d’habitants, matérialisant leur raison de vivre sur ce territoire. Cette reproduction serait la représentation spontanée ou non de la place qu’ils veulent tenir sur le Plateau. Nous nous efforçons de représenter tous les types de populations. De ce fait, entre « Plateau, réveille-toi » et « Plateau réveillé », nous espérons présenter ainsi une vision différente de ce territoire vers lequel penche toute notre affection.
Claude Garel et Bernard Birsinger