Depuis la nuit des temps, les humains ont construit à partir de matériaux biosourcés (immédiatement disponibles localement) et de réemploi : en récupérant les pierres des maisons écroulées, les charpentes des bâtiments démolis et même les enduits. RéMaBat ne fait que renouer avec une pratique de bon sens, devenue marginale au fil du temps, du fait de la mécanisation des chantiers, de la hausse du coût de la main d’œuvre et de l’industrialisation des process.
Il ne s’agit donc pas tant d’inventer le réemploi que de le redécouvrir, et de le mettre au goût du jour en tant que technique professionnelle à part entière, en tenant compte des contraintes et des exigences actuelles. L’émergence des matériauthèques et autres plateformes de réemploi s’intègre aujourd’hui dans un mouvement plus large. Les assureurs, les bureaux de contrôle et les architectes travaillent actuellement à établir des référentiels pour intégrer le réemploi aux techniques courantes de la construction, et pouvant être couvert par les assurances.
Le réemploi fait appel à des savoir-faire et des compétences qui restent à déployer : diagnostic ressource, dépose soignée, conditionnement sur chantier, transport, valorisation, stockage, commercialisation, et tout au long de cette chaîne : assurer la traçabilité des flux en vue de la mise en œuvre future des produits. Il s’agit véritablement d’un métier en devenir dans un secteur qui tend à être de moins en moins celui de la construction et de plus en plus celui de la rénovation.
La loi AGEC de 2020 (loi anti-gaspillage pour une économie circulaire) fixe des objectifs ambitieux en matière de recyclage et de réemploi pour les déchets du secteur du BTP. Le but est de tendre au maximum vers une économie circulaire, afin d’économiser les ressources et de réduire les transports et la consommation d’énergie.
C’est pour répondre à ces nouvelles obligations réglementaires que l’association EC³ a vu le jour en Creuse. Ce projet porté par la Fabrique à initiatives de France active Limousin réunit les organisations professionnelles et consulaires, les collectivités et RéMaBat, pour mettre en place une solution creusoise et travailler à un maillage du département par des déchetteries professionnelles. Deux plateformes sont déjà créées à Sainte-Feyre et Bourganeuf, d’autres sont en projet, dont une à Felletin. RéMaBat apporte la solution pour la partie réemploi, c’est à dire pour tout ce qui peut trouver une seconde vie. L’objectif de réemploi sur les déchets du bâtiment est d’atteindre 5 % en 2028. Cela représente 2000 tonnes pour la Creuse, soit l’équivalent de 3000 palettes de tuiles, 50 000 blocs portes ou 200 000 m² de parquet.
Contrairement aux idées reçues, la plupart des artisans et des entreprises du BTP sont sensibles au gaspillage et jettent souvent à contre-cœur faute de solution. Nombreux sont les artisans qui stockent des chutes de chantier et des produits déposés dans leurs dépôts pour un futur client ou un voisin, ou les cèdent aux employés, mais tous le concèdent : cela demande du temps, de l’organisation, des capacités de stockage, du travail pour la revente… Bref c’est un métier !
Si la dépose soignée fait l’unanimité sur le principe, le passage à la pratique se heurte encore à des freins. En premier lieu celui des habitudes : le réemploi apparaît comme une contrainte supplémentaire dans des chantiers déjà contraints. C’est une nouvelle donne à intégrer : faire appel à RéMaBat en amont du chantier, au moment du devis ou de la réponse au marché, et non pas quand les matériaux sont déjà déposés, prêts à être jetés le jour même.
Un autre frein est celui des marchés publics. Ils ne sont absolument pas adaptés au réemploi aujourd’hui, alors même que les opérations en maîtrise d’ouvrage publique représentent des volumes conséquents – en plus d’engager l’exemplarité des collectivités et des bailleurs sociaux. Chacun est convaincu de l’intérêt du réemploi mais frileux à le prendre en charge : le maître d’œuvre estime que c’est au maître d’ouvrage d’organiser la dépose soignée en amont du marché, le maître d’ouvrage renvoie vers l’entreprise de démolition et gros œuvre, tandis que pour l’entrepreneur cela doit être inscrit dans le marché…
Des opérations tests pourraient permettre d’expérimenter des procédures adaptées et duplicables.
En attendant d’intégrer les marchés publics, nous travaillons avec les entreprises et les particuliers réceptifs au projet de RéMaBat :
L’implantation à Felletin coule de source avec la présence de la ressourcerie sœur Court-circuit, soutien précieux à tous points de vue (siège social et boîte à lettres pour le démarrage, prêt de trésorerie et prêt de véhicules) et la proximité avec le Lycée des métiers du bâtiment (LMB), désormais siège du Campus régional du patrimoine. Le virage du LMB vers l’écoconstruction est amorcé et on assiste à l’émergence d’un écosystème orienté vers la rénovation du bâti ancien avec les projets de la Scic l’Arban et l’Association française du poêle de masse qui organise des modules de formation au LMB où elle a son siège.
On estime que le réemploi des matériaux crée 50 fois plus d’emploi que leur mise en décharge. C’est bien ce dont il s’agit avec le projet de RéMaBat : créer de l’emploi plutôt que du déchet, générer de la valeur sur le territoire plutôt qu’un coût environnemental.
Olivier Cagnon