A chaque problème, sa technosolution : pour lutter contre les déserts médicaux, la SNCF a annoncé le 17 novembre 2023 vouloir installer d’ici 2028 des centres de télémédecine dans environ 300 gares, situées dans des zones « caractérisées par une offre de soins insuffisante et une difficulté d’accès aux soins ». Ce centre de télémédecine sera en fait un box de chantier de 15m² dans lequel le (ou la) patient(e) sera accueilli(e) par un(e) infirmier(e) diplômé(e) d’État, qui l’accompagnera tout au long de la consultation effectuée à distance « par un médecin exerçant sur le territoire français ».
Mais quel est le rapport entre la SNCF et la médecine me direz-vous ? Eh bien, rappelez-vous cette « fameuse » année 2020 : des boxes de chantier inutilisés avaient été déposés sur le parvis de nombreuses gares, transformés en éphémères centres de dépistage de la COVID-19. Cette opération avait été menée par Loxamed, joint-venture entre le loueur de matériel de chantier Loxam et la société Capitello Med, spécialiste en « nouvelles solutions médicales ultra-connectées ». La SNCF et Loxamed, ravis de ce « succès », ont dès lors décidé de continuer leur petit bout de chemin ensemble, au service du bien-être de la population. D’ailleurs, « ce projet est ardu mais c'est une nécessité pour la communauté » proclamait fièrement sur BFM Business le président de Loxamed Arnaud Molinié, par ailleurs proche d’Arnaud Lagardère et de Thierry Bolloré.
Peu de temps après cette annonce, on a assisté à une levée de boucliers du côté de l’Ordre des Médecins qui a exprimé dans un communiqué « sa très profonde inquiétude quant au développement d’une telle activité commerciale et économique de la Santé, élément de sa financiarisation déjà à l’œuvre. Cette évolution de l’offre prend par ailleurs la tournure d’une véritable dérégulation de notre système de santé. Elle consacre de fortes inégalités territoriales d’accès aux soins, avec certains territoires qui seront encore un peu plus considérés comme de second rang, sans compter ceux éloignés de toute gare ». Même son de cloche du côté du syndicat de médecins libéraux UFML qui dénonce « la mainmise de la financiarisation sur le soin qui ne vise qu’à développer une médecine low-cost très lucrative pour ces entreprises (...) Il ne peut y avoir de bonne médecine faite de consommation presse-bouton à distance d'un médecin qui ne connaît pas le patient ». Entreprises qui espèrent bien évidemment bénéficier du soutien et de l’argent publics, via les Agences Régionales de Santé (ARS) et les collectivités locales, pour mettre en place ce nouveau projet...
Et pendant ce temps, l’hôpital public continue de crever à petit feu… Dans une tribune publiée dans le Monde juste avant cette affaire, 1200 soignants (aides-soignants, infirmiers, sages-femmes, médecins hospitaliers) dénonçaient les « dilemmes éthiques intenables » auxquels ils sont confrontés faute de lits et de personnel. Ils rappelaient que 80000 lits d’hôpitaux ont été supprimés entre 2003 et 2019 et que l’été dernier les services d’urgence de 163 villes de France ont fermé leurs portes ponctuellement, faute de personnel. Plus précisément, près d’un service d’urgence sur deux a fermé au moins une fois cet été, selon une enquête du syndicat Samu-Urgences de France.
La crise de l’hôpital public est devenue permanente et sciemment entretenue par le pouvoir en place. La privatisation de la santé, ainsi que la réforme des retraites, celle de l’assurance-chômage, la loi plein emploi et le récent vote du Sénat supprimant l’aide médicale d’État aux sans-papiers dans le cadre du projet de loi immigration, visent un seul et même objectif : racketter et exploiter les pauvres jusqu’à la moelle, puis, lorsqu’ils deviennent malades / vieux / improductifs, les laisser crever.
Ygor