Malgré les polémiques qui ont précédé leur déroulement, les premières assises du Limousin qui se sont tenues à l'Ecole nationale supérieure d'ingénieurs de Limoges les 9 et 10 février derniers, ont été un beau succès avec des interventions de qualité, une assistance nombreuse et une organisation sans fausse note.
Les deux principales associations organisatrices, Intelligence Verte et l'ALDER (Association limousine pour le développement des énergies renouvelables) avaient défini le double thème des assises : "Agriculture écorégionale et souveraineté alimentaire.
Face aux risques climatiques et énergétiques, quels enjeux pour demain ?".
L'étude d'Emmanuel Bailly (voir IPNS n°14) servait de support au premier thème alors que le second était plutôt le reflet des préoccupations de l'ALDER.
Bien sûr, parmi les sept tables rondes présentées, avec pour chacune de deux à quatre intervenants, toutes ne présentaient pas le même intérêt ; certaines interventions étaient à mon goût trop techniques (sur le risque alimentaire ou la réglementation européenne sur le développement rural), d'autres à l'inverse restaient trop générales, mais dans l'ensemble les apports ont été très enrichissants et les interventions du public pertinentes et de qualité.
Sur la crise énergétique, le coup d'envoi avait été donné la veille des Assises par Yves Cochet qui avait présenté lors d'une conférence les thèmes de son dernier ouvrage, Pétrole apocalypse (Editions Fayard). C'est cette même problématique qu'il a présentée aux Assises, en mettant l'accent sur le nécessaire changement de société qu'impliquent la raréfaction et le renchérissement inéluctables du pétrole. Pour lui, le passage démocratique d'une société de croissance à une société de sobriété, avec une relocalisation de l'économie, et notamment de la production alimentaire, ne peut se concevoir que dans le cadre d'une mobilisation sociale très forte, pour éviter que le choc n'entraîne le totalitarisme et l'aggravation des inégalités.
D'autres points de vue furent développés sur ce thème. Sans entrer dans le détail, ni les citer tous, en voici quelques exemples.
Christian Brodhag a défini quatre enjeux : la question énergétique, le climat, la dégradation des écosystèmes et celle des sols. Il en a montré les implications.
Corinne Lepage constatant que la finance l'emporte sur l'économie, et a fortiori sur l'écologie, a demandé l'inversion des rapports entre économie et écologie.
François Plassard, par une brillante intervention, générale et radicale, a souhaité replacer l'économie au service de la société et soumettre cette dernière à la priorité de la sauvegarde du milieu naturel.
Patrick Viveret a fait une remarquable critique de la conception de la richesse qui domine dans nos sociétés (absurdité du PNB) ; il a constaté que l'humanité était principalement menacée par elle-même et a appelé à construire une société qui se donnerait d'autres objectifs que le développement de la production industrielle marchande.
Albert Jacquard a présenté une critique de la finalité des sociétés humaines en stigmatisant notamment la compétition généralisée, la course à la puissance, la croissance devenue un dogme. Nous vivons dans un monde fini dont nous avons atteint les limites, il faut en tirer les conséquences.
Sur l'écorégion et la souveraineté alimentaire, les interventions remarquables ont été nombreuses.
Silvia Perez-Vitoria a montré que, dans le contexte énergétique et climatique, la crise est d'abord agricole et paysanne, et a affirmé que le XXIème siècle sera paysan ou ne sera pas.
Emmanuel Bailly a présenté sa réflexion sur l'écorégion et la souveraineté alimentaire.
Plusieurs interventions sur l'agriculture biologique ou autonome, ont montré à la fois la nécessité et les difficultés à mettre en place des pratiques agricoles allant à l'encontre du système productiviste dominant. André
Pochon, Jacques Maret, Marie-Hélène Aubert, Henri Thépaud sont allés dans ce sens. Pour sa part, Robert Savy, ancien président du Conseil régional du Limousin, a soutenu à partir de son passée, qu'il y a toujours "un possible et des outils du possible".
Un des intérêts principaux d'une réunion de ce type réside dans les rencontres qu'elle peut susciter. Sur ce plan, les Assises ont été fécondes, puisqu'elles ont réuni un large public, avec des professionnels de l'agriculture et de l'alimentation, de nombreux membres du monde associatif (écologie, environnement, consommation), des fonctionnaires ou institutionnels divers (Région, ADEME, CNASEA, collectivités locales, agents de développement…) et beaucoup de jeunes, étudiants ou non, du Limousin ou d'autres régions, souvent en recherche ou déjà porteurs de projets d'installation en milieu rural. Les repas pris en commun sur place, les rencontres dans les couloirs ou autour des tables de publications ont été l'occasion de prolonger les débats.
La diversité du public, que la présence d'intervenants connus a favorisée, laisse espérer que ces Assises auront donné une impulsion à des prises de conscience, des réflexions et des actions concernant la crise écologique et les nécessaires et radicales remises en question qu'elle implique. Il faut qu'il y ait une suite ou/et des prolongements à ces Assises (peut-être sous des formes différentes), mais il en restera forcément une trace.
Jean-François Pressicaud