La croix du mouton de Peyrelevade reliftée
On sait depuis 20 ans que nos croix de chemin, nos lavoirs, nos vieux murs et nos fontaines ont été érigés au titre glorieux de "petit patrimoine rural". On s'est mis à en prendre soin, à le valoriser et à s'en servir pour attirer le touriste et redorer les fiertés locales. A Peyrelevade, la croix du mouton, emblématique de ce patrimoine, a bénéficié depuis 1988 de cette sollicitude. A l'époque, on le voit bien sur la photo, elle gisait là depuis des siècles, bancale et de travers sur un talus herbeux peu entretenu qui enterrait en partie la pierre levée qui se trouve sur la gauche. Un poteau téléphonique y était accolé et les bas-côtés de la route semblaient laissés à l'abandon.
Si peu d'éléments nouveaux sont intervenus en 2005 (seuls les feuillus ont poussé encerclant le grand résineux qui ne semble pas avoir grandi), ce qui ressort de la photo, c'est le soin qu'on prend désormais du cadre où se trouve la croix. Celle-ci a été nettoyée (la mousse présente en 88 sur les flancs du bélier a disparu) et surtout redressée. La pierre levée a été dégagée du talus, celuici a disparu, on a éloigné l'incongru poteau téléphonique et le pré qui est derrière la croix est à nouveau entretenu : on y met des chevaux comme en témoigne le ruban électrique. Entre le décor laissé à lui-même et un peu abandonné de 1988 et celui nettoyé, lissé et amélioré de 2005, c'est l'effort de mise en scène désormais inscrit dans le paysage qui nous frappe.
La naissance d'un étang et le grignotage de la forêt
Il faut être attentif pour repérer que ces deux photos prises sur la départementale 109 entre Tarnac et Saint-Merd-les-Oussines, l'ont bien été au même endroit. On peut prendre comme points de repère sur la photo de 1988 le gros bosquet d'arbre à l'extrême gauche et les deux petits arbres isolés au centre de la photo, qu'on retrouve sur celle de 2005. Le paysage dès lors se recale sous nos yeux et l'on retrouve la rangée sombre de la plantation résineuse en arrière plan et le relief de l'horizon. Par contre tout le premier plan est profondément bouleversé. L'arbre et l'eau ont ici radicalement transformé ce qui en 1988 n'était qu'une vaste lande humide au fond sans doute tourbeux. Désormais ce fond mouillé (sur la photo de 1988 on remarque la couleur plus foncée du couvert herbeux à droite du gros bosquet) est devenu un véritable étang qui a noyé toute une partie de la zone. On aperçoit même sur la gauche une petite île sur laquelle des arbres ont poussé. Derrière cette étendue d'eau la végétation forestière a gagné du terrain en recouvrant tout l'espace entre nos arbres repères. De la même manière devant les sapins noirs qui sont sur la droite et qui ont grandi entre 1988 et 2005, une petite rangée de conifères et des touffes de feuillus se sont avancées sur la lande. Ces deux photos montrent avec quelle rapidité le paysage peut évoluer et comment l'eau et la forêt, deux éléments caractéristiques du plateau, peuvent conquérir de nouveaux espaces.
Le lac Chammet fidèle à lui-même ?
Les deux photos du lac Chammet à Peyrelevade vu depuis le barrage, apparaissent quasiment identiques. Bien sûr quelques arbres ont poussé : sur la berge à droite, le long de la route qui coupe la colline et surtout sur la crête où une plantation toute jeune en 1988 barre le sommet en 2005. Pour le reste tout semble figé. Les bouées sur le lac n'indiquent pas une activité nouvelle puisque le centre de loisirs d'EDF était déjà là il y a 20 ans. Peut-être disent-elles seulement un renforcement de la réglementation qui veut désormais que les espaces de navigation soient matérialisés ? Pourtant entre 1988 et 2005 la colline de Chammet que nous voyons sur ces photos a totalement changé de destination et d'activité. A l'époque de la première photo c'était une pâture à moutons. Depuis (cela date du début des années 90) c'est devenu un golf et ce que nous croyons n'avoir pas changé est passé du statut de pâturage à celui de parcours de golf. L'élevage a cédé ici sa place au loisir. La surprise est de constater que cela n'a en rien modifié l'aspect paysager du site. Confirmation que lorsque l'espace est entretenu par la main de l'homme (et il n'y a peut-être pas d'entretien plus minutieux que celui d'un green) le paysage change beaucoup moins que lorsqu'il est laissé à lui-même.
La source de la Vienne a changé d'écrin.
La vieille borne de granite qui marque la source de la Vienne au pied du Signal d'Audouze est le seul témoin permanent de ce petit coin du plateau qu'on ne reconnaîtrait plus si elle n'était pas là. En 1988 les plantations résineuses qui encerclaient la source venaient d'être coupées (une coupe rase manifestement). On voit les troncs abattus, les andains regroupés en tas et seuls deux ou trois perches maigres indiquent sur l'horizon la hauteur que devaient atteindre les sapins. C'est le vide qui domine cette photo, un vide qui n'est pas sans rappeler les paysages dévastés par la guerre que Roger Vulliez a photographiés au Sri Lanka. Au dessus du chaos du chantier forestier, un grand ciel vide permet au soleil d'inonder tout le paysage. En 2005, on a changé de décor et d'impression. La végétation a repris possession de l'espace dénudé de 1988. Des essences colonisatrices ont poussé (sans doute des sorbiers ou des alisiers) et la végétation pionnière caractéristique du "tiers paysage" de Gilles Clément (voir IPNS n° 9) s'est imposée : on voit essentiellement les fougères dont certaines atteignent largement la hauteur d'un homme. Autour de la borne, l'herbe piétinée et l'absence de végétation anarchique laisse penser que la source de la Vienne reçoit régulièrement quelques promeneurs qui descendent jusqu'au creux du vallon où la rivière prend sa source. Pour cela on s'enfonce dans un fouillis de feuillus intime et secret qui empêche désormais toute vue un peu générale sur le paysage alentour : "C'est un trou de verdure où chante une rivière".