Les agricultrices de la FDGEDA (fédération départementale des groupes d'études et de développement agricoles) de la Haute Vienne sont toujours en veine de créativité. IPNS dans son numéro n° 6 avait conté l'exceptionnelle aventure de leur atelier d'écriture sous la férule de Claire Sénamaud de l'association Princesse Camion. En 2003 elles ont tracé en mots les tourments et les espérances qu'elles ont éprouvés pendant et après la crise de la vache folle.
Elles publiaient un bel ouvrage, riche d'émotion et de vérité : "De l'encre dans la prairie". Et, toujours avec l'ardent souci d'aller à la rencontre des populations urbaines, elles sont parvenues à séduire les talents de deux artistes volubiles dans l'art de la mise en mots. Ainsi en 2003 Eugène Durif, avec Catherine Beau et sa compagnie l'envers du décor ont mis en scène et en musique le voyage d'un citadin à la campagne dans "le plancher des vaches". La pièce a trouvé un large écho auprès du public limousin et même parisien puisqu'elle a été jouée au théâtre du Rond point des Champs Elysées. En 2004, elles ont confié leurs récits de vie à Pierre Laurent le conteur de la Compagnie de la Grande Ourse. Sous le double signe de la drôlerie et de la tristesse il les a comparés aux personnages des contes et légendes populaires. La "Vie sur terre" c'est grave et grand, mais comme la vie c'est plein d'espoir.
Ce message d'espérance les agricultrices souhaitaient aussi le transmettre aux habitants de Limoges. Elles ont sollicité l'artiste Arnaud Ruiz pour qu'en fresque, il laisse cette trace indélébile sur les murs de la ville. C'est quand même mieux que l'éphémère des placards publicitaires qui encombrent les frontons des carrefours et des places de la cité. Malheureusement la ville de Limoges n'a pas su capter le message des agricultrices. Elle leur a prêté les murs d'un local technique de la compagnie des TCL situé à l'angle de deux artères (Adolphe Mandonaud et Ferdinand Buisson) où le flux de la circulation automobile obstrue quelque peu la lisibilité. De plus, le site a contraint le fresquiste à modifier ses esquisses pour s'adapter à une surface angulaire et par surcroît à raz de terre. Ce choix de l'emplacement a brisé tout le sens de l'allégorie. Pourtant elle nous offre une image forte de la symbolique du don et du contre don dans le rapport que l'humanité entretient avec le vivant. A travers le lent découpage du geste de l'enfant cueillant un épi pour l'offrir à sa mère, l'artiste a traduit toute la vitalité que les agricultrices engagent d'elles mêmes et dans leur métier au service de la gestion du vivant. Pour achever de détruire cette harmonie, dans le dernier geste où l'enfant cueille l'épi, son visage se heurte à un panneau danger de mort. Il est inscrit sur une porte de sécurité de ce poste de transformation électrique. Et comble d'ironie, cette porte métallique s'insère juste en dessous du titre de la fresque : "Agriculture, tu dessines nos paysages, tu nourris les hommes, je crois en ton avenir".
Alors on s'interroge sur l'intention qui a guidé le choix des édiles limougeauds. Il y avait mieux à offrir que ce local technique inapproprié et par surcroît éphémère. C'est d'autant plus étonnant que les limougeauds entretiennent des relations conviviales avec la campagne. Et dans une région où l'agriculture exerce une attraction culturelle non négligeable il est pour le moins surprenant que les élus de la métropole régionale manifestent une telle indifférence à l'initiative des agricultrices.
Alain Carof