IPNS : Les Cévennes sont une région qui attire beaucoup. Pourtant s'y installer n'est pas toujours évident. Comme disent les vieux chez vous : "Qui veut Cévennes, veut ses peines". Quelles sont les principales difficultés de l'installation ?
Jean Luc Mathieu : La problématique est double : accéder à un revenu et se loger dignement. Si on parle revenu, il faut savoir que les Cévennes sont désertées par l'emploi. Le pays n'a pas su développer des activités de production basées sur ses ressources propres. Seuls quelques agriculteurs peuvent s'en sortir grâce aux aides publiques tant que les réglementations permettront encore une agriculture différente. Après il reste le travail au noir, source de revenus pour une bonne partie des sans-emploi mais qui accentue une forme de précarité durable… Si on parle logement, il est indéniable que des habitations existent, il suffit de voir les ruines et les maisons inoccupées qui parsèment les montagnes. Mais les limites à son accession sont multiples :
Bref, le constat est surprenant, mais il est là : les conditions d'accès à la propriété sur ce territoire ne correspondent plus aux possibilités économiques, d'activités et de revenus de ce même territoire.
IPNS : Dans ce contexte qui rappelle celui du plateau où la pression foncière devient de plus en plus forte depuis quelques années, un certain nombre d'habitants, dont vous êtes, a décidé de réagir. Comment cela s'est-il passé ?
J-L. M. : A quelques-uns de notre vallée, on s'est posé la question : comment s'en sortir ? Une première évidence, c'est la solidarité nécessaire entre tous afin que chacun puisse avoir sa chance. Seul et avec peu, voire sans moyen, il est illusoire de pouvoir s'en sortir. Ainsi sont nées les "journées chinoises", traditionnellement le samedi, des journées consacrées à l'entraide chez l'un ou chez l'autre en fonction des besoins, celui qui reçoit offrant la nourriture. En cinq ans, ces journées ont fait leurs preuves : temps de rencontres et de convivialité, de sérieux et de rigueur dans les travaux accomplis, de partage d'expériences et de compétences… Aussi elles attirent de plus en plus de personnes des trois communes environnantes, en majorité des jeunes adultes, d'origines et de parcours totalement différents et qui ont pour seuls liens le territoire et leur volonté d'y exister. A force de travail commun, les réflexes, l'organisation, les capacités s'affinent. Tous se souviennent encore, de cette journée passée à sortir une châtaigneraie de la ronce et de la broussaille et qui, en fin de journée, tirait les larmes du vieux cévenol venu observer tous ces jeunes qui s'affairaient.
IPNS : Ces chantiers de solidarité ne peuvent néanmoins pas suffire à résoudre tous les problèmes…
J-L. M. : Effectivement. La solidarité arrondit les angles, mais les problématiques - vivre et se loger - restent entières. Des nombreuses discussions qui animent les "chinois" sort une révélation : l'importance dans le pays de la reconnaissance par le travail. C'est dans l'esprit cévenol, laborieux et infatigable : "On ne choisit pas les Cévennes, ce sont elles qui vous choisissent". Oui mais, quel travail ? Le plus évident semble être l'agriculture. Mais qui veut d'une agriculture réalisée en moyenne montagne sur des terres pauvres, escarpées et au climat rigoureux ? A quel prix réaliser une agriculture qui entre dans les cadres communs ? De fait, l'accueil touristique est devenu la source de revenus indispensable à l'agriculteur cévenol. La reconnaissance de la pluriactivité traditionnelle, nécessaire sur ce territoire, est désespérément inconnue de l'administration. Et qui dit agriculture, dit terre, d'où le problème foncier…
Le problème est global, il demande une réponse globale. On voulait trouver ensemble les conditions de nos existences localement. On était alors courant 2001. Notre nombre et nos volontés de dégager un revenu nous ont fait étudier, d'entrée, le statut coopératif. Jusqu'à ce qu'on entende parler d'un nouveau statut, alors en gestation, la société coopérative d'intérêt collectif (SCIC). Le législateur balbutiait sa définition, mais pour nous c'était clairement le statut qui correspondait à nos attentes. L'intérêt collectif, tout est là. C'est le fondement de ce que l'on voulait créer dans la continuité de la solidarité plus ou moins informelle des "journées chinoises". Ce que nous voulions :
La SCIC permet sous le même statut cet ensemble de choses. L'activité économique se déclare au registre du commerce et l'intérêt collectif est agréé par la préfecture pour une durée de 5 ans.
IPNS : Quelles sont donc les missions d'intérêt collectif de votre SCIC, en particulier en ce qui concerne le logement ?
J-L. M. : En terme de logement, nous émettions deux perspectives :
Nous en étions à l'état des concepts, des perspectives, des enjeux. Par exemple, le terme "cité de transit", repris de la période de reconstruction de l'après-guerre, ne va pas sans choquer nos interlocuteurs. Nous l'avons délibérément choisi afin d'interpeller sur une situation urgente et qui doit rester inacceptable.
Une fois la SCIC constituée, il nous fallait préciser nos actions à mener. Aussi, nous avons créé un groupe, au sein de BOIS 2 MAINS, qui rassemble sans exclusive les associés et toutes les personnes désirant s'impliquer dans la démarche : le groupe INSTAL'ACTION. Le problème du logement est sensible, chacun cherche sa solution, souvent isolément, les informations ne sont pas partagées, la concurrence règne. Face à cette situation, INSTAL'ACTION se proposa de considérer différemment les choses : affirmer collectivement les soucis et les besoins de logement, associer et sensibiliser les acteurs du territoire à ces problématiques afin d'élaborer, tout aussi collectivement, des solutions. Bref, il faut mettre tout le monde autour de la table et discuter.
Aussi, il est décidé d'organiser, le 29 août 2003, une journée de sensibilisation et de discussions autour du thème : "Se loger en Cévennes".
La matinée était consacrée au débat. Nous avions choisi de nous réunir sur l'emplacement d'un ancien chalet auto-construit notamment lors des "journées chinoises". Il abritait en son temps, trois jeunes et était destiné à l'accueil d'autres personnes en difficulté. Le propriétaire nous laissait gracieusement mener cette expérience. Suite à une plainte, le propriétaire fut assigné en justice et mis en demeure de démonter l'installation. Le démontage fut réalisé en "journée chinoise", mais nous avons toutefois pris soin de conserver l'ossature de la structure comme un squelette sur la montagne pour montrer que rien n'était réglé.
La centaine de participants se trouve rapidement un peu surpris par cet événement : c'est bien la première fois que se retrouvent autour de cet enjeu, des politiques, des administratifs et des personnes en recherche de logement. Sans agressivité ni altercation, chacun se concentre sur l'élaboration de pistes de solutions.
En soirée, nous organisons un concert et des animations pour donner un aspect festif à l'événement. Les personnes en recherche de logement sont invitées à revêtir un T-shirt avec le logo d'INSTAL'ACTION (en fond sur cette page) afin de marquer encore plus l'importance de notre problème. Finalement, ce sont 300 personnes qui participèrent à cette soirée sur le terrain municipal de Saint-Frézal de Ventalon qui n'avait plus connu ça depuis fort longtemps ! Cet événement nous a permis de nous faire connaître et reconnaître comme acteurs de cette situation, de créer un réseau de partenaires sensibilisés par notre démarche, d'amorcer une méthode de concertation devant mener à la réalisation et à l'action.
IPNS : Votre histoire, qui n'en est qu'à ses débuts, prouve l'importance de l'initiative plus ou moins spontanée qui émerge du terrain. Quel enseignement principal en tirez-vous ?
J.L. M. : Ce qu'a déjà permis le collectif nous assure de l'importance de "rester groupés", fédérés et solidaires. La réponse au problème du logement en Cévennes doit être collective pour être durable, la recherche de solutions individuelles ne le résoudra pas. Se sentir acteur et responsable de son territoire, investi dans une démarche d'intérêt collectif, est déjà le signe de la réussite du groupe et de son initiative. Et ça, ce n'est déjà pas si mal...
Contact : bois2mains - groupe logement,