Traversez le bourg de Faux-la-Montagne
Face à la pharmacie, arrêtez-vous un instant et regardez bien cette maison abandonnée depuis des années à l'angle de la route de Jallagnat. Ses portes aveugles et ses fenêtres aux vitres cassées arborent depuis cet été une avalanche de mots, de phrases ou de formules qui vont de l'envolée poétique au jeu de mots, de la sentence au cri. Il y a des mots qui ne sont là que pour leur sonorité, d'autres pour leur sens, de toutes les couleurs et de toutes les formes. En cherchant bien on trouve même quelques mots écrits dans d'étranges alphabets, un dazibao du maire ou un clin d'œil à Molière...
C'est ce qui reste et restera tout au long de l'année aux yeux de tous, habitants et passants, des trois jours que Faux la Montagne a consacrés fin juillet aux mots. La manifestation, intitulée Folie ! les mots, initiée par le comédien et metteur en scène Serge Ternisien (voir IPNS n°8), relayée sans hésitation par quelques habitants, le maire et son adjointe, et finalement portée par une trentaine de bénévoles, a offert aux amoureux des mots de multiples occasions de rencontres et de découvertes. C'était du reste l'enjeu de ce modeste festival dont le succès a tôt fait de le rendre indispensable à ses créateurs et aux personnes qui l'ont découvert. Les feux de la fête n'étaient pas encore éteints que l'on parlait déjà dans les rues du village creusois de la prochaine édition. Une semaine plus tard, tout était fait pour que ce coup d'essai ne soit qu'un début: l'association Folie ! les mots était née et préparait déjà le rendez-vous de juillet 2005.
Mais quelle est l'alchimie qui a fait si vite prendre cette étonnante mayonnaise littéraire ? La recette ne serait-t-elle pas dans le mélange harmonieux de spectacles de qualité, de rencontres riches et d'une mobilisation villageoise efficace et complice ?
La compagnie des Arts ménagers de Boulogne sur mer présentait une création : Roman. Deux comédiens du Théâtre du Rivage interprétaient un spectacle écrit par eux : Tu me fais souvenir que j'ai tout oublié. Des lectures spectacles nous entraînaient dans l'univers grinçant d'Emile Guillaumin (!'écrivain paysan du Bourbonnais dont on fête cette année le centenaire de son grand œuvre La vie d'un simple), dans les vers que les poètes surent dédier à l'amour (avec un spectacle intitulé Les mots font l'amour - derrière l'église, rajoutait, polisson, le programme, en signalant où se déroulait le spectacle !) ou dans les labyrinthes du temps avec une lecture du texte de Robert Pinget Théo ou le temps neuf.
Il y eut aussi les rencontres avec des auteurs africains en résidence à la maison des auteurs du festival des Francophonies de Limoges : la sénégalaise Fama Diagne Sène, lauréate du grand prix de littérature du Sénégal, et le dramaturge tchadien Dorsouma Vangdar. La voix fut également à l'honneur : le Chœur d'hommes départemental et la Chorale de St Julien le Petit firent déborder l'église et le dernier soir Hélène Feildel animait en chansons une soirée grillades-cabaret ... Il y eut également place pour la prestation d'une troupe amateur du coin.
Les mots étaient donc partout durant ces journées. Sur le marché de producteurs locaux où chacun était invité à venir écrire ou faire écrire ses mots sur des petites tablettes de bois qui s'éparpillèrent bien vite aux quatre coins du village : on vit s'orner des vitrines, des grilles et des fenêtres, des mots aujourd'hui rassemblés sur la vieille maison du centre bourg. Ils étaient encore sous le préau de l'école où une fresque de mots se construisait chaque matin. Encore des mots à l'atelier poésie ouvert aux enfants et aux adolescents avec la Bibliothèque Centrale de Prêt de la Creuse. Toujours des mots avec des apéros-lectures où chacun était invité à venir faire partager les textes qu'il aimait. Des mots il y en avait partout : on pouvait même en fabriquer avec les lettres en vermicelle du potage du soir !
Mais l'originalité de ce festival est aussi dans le parti pris de mettre le théâtre, la lecture et le texte là où ils ne vont jamais. Les spectacles avaient lieu pour la plupart en plein air, là dans le jardin de Véra, ici dans celui de Monique, ou encore dans celui de l'ancien presbytère. Les habitants ouvraient ainsi de nouveaux espaces aux comédiens et à leurs voisins ! D'autres apportaient des denrées pour nourrir les artistes, d'autres encore s'affairaient à la préparation des repas, une coursière qui avait entendu parler du festival à la radio venait spontanément prendre des programmes qu'elle distribuait partout où elle allait, l'auberge et le salon de thé ouvraient leurs portes pour des rendez-vous littéraires, quelques techniciens venaient installer lumières et micros, chacun mettant la main à la pâte selon ses moyens et ses compétences. Et à la fin des trois jours, de nouveaux jardins étaient candidats pour accueillir l'an prochain de nouveaux spectacles. Cette mobilisation 100% bénévole - y compris des artistes pour cette première édition - permettait d'offrir des spectacles 100% gratuits. Il y avait de la folie dans ce projet, parce qu'il y avait surtout du plaisir, de la gratuité, du désir et de la liberté. C'est à dire ce qui précisément manque peut-être le plus dans notre société.
Les mots colorés aujourd'hui rassemblés sur la maison en ruines sont tout un symbole. Ils font renaître et voir autrement la triste façade morte d'hier. Pouvoir des mots, qui en trois belles journées d'été à Faux la Montagne, se sont incarnés en moments de fête, de vérité et de convivialité : Folie des mots et des hommes, des vies et des êtres !
Michel Hulek
Contact Folie ! les mots - 23340 Faux la Montagne
- Les mots
Juste un mot en passant !
C'est un mot de passe. Il passe.
Avec les mots on cerne les maux et le mal.
On fait mal aux mots.
Alors, convulsés, ce sont des mots croisés.
Maudire, c'est mal dire,
Et sans mot dire, silence.
Les gros mots font parler gras.
Il est des mots gentils : tout miel,
Des mots piquants, comme hérisson.
On voit le maître mot, c'est le chef.
Le mot d'ordre, c'est un militaire
(répétez jugulaire)
Mot tordu tel torticolis.
Le mot d'esprit, espèce rare...
Les mots d'amour, à la saison.
Les étrangers ont basta.
Vous prendre au mot, c'est un lasso
Les mots grossiers, à la poubelle.
Qui ne dit mot consent.
Qu'on sent : quel flair !
Les mots d'auteur, à la hauteur !
Les mots crus après une cuite.
C'est Sainte Catherine, tout prend racine.
Grecque ou latine ?
C'est votre dernier mot ?
Le mot de la faim, c'est la famine.
Le mot de la fin. Enfin.
LO
- Les touristes
Comme un vol de gerfauts hors du charnier natal,
Les touristes arrivaient et c'était très banal.
Ils débarquent joyeux dans leurs grosses voitures
Et sitôt installés font refaire la toiture.
Leurs gamins et leurs chiens courent dans nos ruelles
Et nous les poursuivons du balai, de la pelle.
La pluie va les chasser, ils repartent chez eux
Raconter aux voisins dans leurs vastes banlieues
Du côté de Bondy et de Villetaneuse :
On était chez "les ploucs" tout au fond de la Creuse.
LO
Elle a 85 ans, habite dans un village du plateau, et laisse parfois courir sa plume. En nous offrant ces deux petits textes, elle nous donne l'occasion de faire souffler jusque dans nos pages le vent de folie qui s'est emparé des mots, cet été, à Faux-la-Montagne.