Le temps des forums
Les forums sociaux sont apparus avec le siècle comme une nouvelle modalité d'intervention dans le débat politique. A Porto Alegre en 2001 le premier forum social mondial inaugurait la série. Sa quatrième édition quitte le Brésil pour l'Inde, début 2004. Dans la foulée se déclinait toute une série de forums continentaux ou régionaux. Le premier Forum social européen se déroulait à Florence l'an passé, le deuxième a eu lieu à Paris en novembre. En Limousin le mouvement n'était pas en reste. Le premier Forum social Limousin se réunissait dès novembre 2002 sur le plateau, s'érigeait en forum permanent et s'est retrouvé, toujours au Villard (Royère de Vassivière) pour sa deuxième édition le 25 octobre 2003.
Par ailleurs. en septembre. la "rentrée des artistes" s'est faite, elle aussi, sous le signe de la contestation et de la prise de parole. A Aubusson, les intermittents du spectacle, en parfaite harmonie avec la direction du théâtre Jean Lurçat, ont transformé la scène nationale en "scène ouverte" où, tous les soirs. du 1 5 au 19 septembre, la "rue" était invitée à venir prendre la parole. Sollicités par un "gouvernement imaginaire" à proposer les lignes d'une autre politique en matière de commerce international, de médias, de santé, d'éducation et de culture, tous les citoyens qui le désiraient ont pu participer à ce forum où de (faux) ministres à grandes oreilles étaient tout ouïs aux revendications de la société civile.
IPNS, qui n'est finalement rien d'autre qu'un forum social de papier, se devait de rendre compte de toutes ces rencontres. C'est pourquoi nous publions ici le discours que le président' du gouvernement imaginaire d'Aubusson a lu à la sous préfecture le 20 septembre 2003, à l'adresse du premier ministre réel, Jean Pierre Raffarin. Nous publions également page suivante un compte-rendu (subjectif) du second FSL.
Discours du Président du gouvernement imaginaire qui a siégé à Aubusson, en Creuse, en l'an de grâce 2003, du 15 au 20 septembre.
"Le premier ministre du gouvernement réel de la France déclarait récemment face à la montée en puissance des conflits sociaux : "ce n'est pas la rue qui gouverne". Longtemps, ces derniers mots sont restés en suspens dans la conscience des membres de notre gouvernement imaginaire.
Longtemps ils ont résonné, non pas comme un slogan, non pas comme un appel au désordre et au chaos, mais bien comme une hypothèse lancée.
" ... La rue qui gouverne", ces quelques mots ont retenti chez nous comme un écho, jusqu'à s'afficher en suspension sur les murs de notre ville sous une forme - Messieurs les censeurs - plus poétique que politique comme parole jetée que le vent brûlant d'aujourd'hui accroche aux ruines du passé.
Bien sûr dans une démocratie ce n'est pas la rue qui gouverne mais bien le gouvernement. Voilà un propos de bon sens. Cependant, si la rue ne gouverne pas, elle est souveraine et il appartient au gouvernement de travailler à accomplir la volonté, non de quelques puissances industrielles et financières, non pas d'instances régulatrices autoproclamées sous l'alibi mondialiste, mais bien de la volonté du peuple souverain !
En affirmant que "ce n'est pas la rue qui gouverne" il signifie qu'à ses yeux, la rue n'est pas le peuple. Il ne reconnaît pas à la rue où défilent les acteurs du mouvement social le droit d'incarner la souveraineté populaire ; il ne lui reconnaît pas la légitimité politique. Tel est son postulat.
C'est pourquoi, notre gouvernement imaginaire s'est mis immédiatement au travail pbur questionner ce postulat. Nous nous sommes portés à l'écoute de cette "rue" qui prétend gouverner, et l'avons interrogée sur cinq thèmes : l'OMC, les médias, l'éducation, la santé, la culture. Tout au long de cette semaine, l'objectif a été, pour le gouvernement imaginaire d'entendre le discours de la rue, d'examiner, au scalpel de nos grandes oreilles, l'argumentaire du dit "mouvement social" afin d'établir si oui ou non il est en droit de t utoyer le gouvernement, de chercher, comme il le fait, à forcer les portes de l'autorité publique.
Tour à tour les mots de chaque personne se sont assemblés pour former les phrases citoyennes dont le pouvoir a réellement besoin ; oui, personne n'était roi mais personne n'était muet. L'heure est venue pour nous, au terme de cette série d'ateliers de reconstruction sociale - qui se sont déroulés dans un esprit constructif de courtoisie et de respect de l'autre - de vous livrer les conclusions de notre gouvernement imaginaire.
Non la rue qui parle en ce moment par la bouche des professionnels du spectacle, des enseignants, du personnel de santé, des participants aux divers forums sociaux, n'est pas un ramassis de corporations défendant égoïstement leurs avantages particuliers. Oui, la rue possède la légitimité politique qui lui confère le droit de proposer sa vision du monde comme une alternative à ceux qui la gouvernent.
Oui les propositions de la rue doivent valoir comme propositions faites au nom du peuple.
Car, chaque soir de cette semaine et sur chacun des thèmes, n'ont cessé d'émaner de la rue le sens de l'éthique et de la responsabilité à l'égard du monde, ainsi qu'un souci urgent et immédiat de justice ; autant dire les objets même de l'activité politique au sens le plus noble de ce terme.
A l'heure où les puissances publiques s'enferrent dans la soumission aux mécanismes économiques et financiers mondiaux, c'est elle, c'est la rue qui prend le relais d'une conscience politique hélas défaillante, rappelant à ces mêmes puissances publiques que la politique c'est le choix de l'action contre l'inertie des mécanismes, le choix de la justice contre l'aveuglement des processus, l'affirmation de la liberté de l'homme contre le cours inexorable des choses.
En démocratie, la volonté du peuple exprime une volonté universelle, or mon gouvernement imaginaire et moi-même pouvons témoigner aujourd'hui que le discours de la rue dépasse de beaucoup les préoccupations sectorielles des corps de métier qui la composent.
A l'issue des journées que nous venons de vivre, il est avéré que si la rue ne gouverne pas, sa parole est une parole politique qu'il faut entendre en tant que telle car elle rappelle l'homme politique à ses responsabilités, à ses missions et à ses fins.
Il serait moralement injuste que l'on continue à diaboliser le mouvement social comme un ferment d'anarchie, mettant en péril les institutions républicaines.
Nous affirmons, tout au contraire, que le peuple est la rue, préconisons qu'il s'écoute et nous Bernard Langlois de Politis était sur la sellette lors du débat sur les médias où les journalistes n'avaient pas ... très bonne presse. l'encourageons à prendre part au mouvement social. Car il y puisera, nous le savons maintenant, non le goût du désordre et de la fainéantise, mais l'humanisme et la maturité politique qui renforceront sa souveraineté vis à vis du politique.
Un autre monde est possible, nous a dit la rue tout au long de cette semaine.
Nous en sommes désormais convaincus et, de ce monde possible, la rue nous en a donné l'esquisse il s'agira d'un monde où tous les citoyens accèderont enfin à la décision politique et légifèreront en faveur de la justice et de la liberté, un monde où les services publics ne seront pas bradés aux plus offrants, un monde où nous aurons cessé d'avoir peur des banquiers, un monde que nous pourrons changer en commençant, bien sûr, par nous-mêmes.
Les mutations nécessaires devront êtres profondes et s'opérer à l'échelle mondiale. C'est la volonté de changement qu'il nous faut aujourd'hui mondialiser.
Mes chers compatriotes, vous dont la patrie, désormais, est moins la France que l'humanité, croyez que le gouvernement imaginaire que je représente travaillera sans relâche à rendre possibles ces mutations.
Le monde de demain ne résultera ainsi, plus seulement des processus historiques, ni du jeu des rapports de force, mais bien de l'imagination et de la volonté créatrice des citoyens.
Que vive la république des citoyens ! Que vive le gouvernement imaginaire !"
Forum : n. m., mot latin : "place publique". Antiquité romaine : Place où se tenaient les assemblées du peuple et où se discutaient les affaires publiques (comme en Grèce l'agora).