La deuxième édition du Forum Social Limousin s'est déroulée le 25 octobre 2003 au Villard de Royère-de-Vassivière pour la seconde année consécutive. 400 personnes, des trois départements, étaient venues participer aux sept ateliers du matin et à la plénière de l'après-midi. Beaucoup de militants déjà croisés ici ou là dans la région à l'occasion d'une manif, d'une soirée débat ou d'un colloque. Mais pas que ! A côté des "vieilles barbes" du militantisme limougeaud (amical clin d'œil aux vétérans du cercle Gramsci !) on découvrait aussi quelques nouveaux visages : ces lycéens par exemple qui, après le mouvement du printemps, ont décidé de se constituer en coordination et de poursuivre ensemble la réflexion et l'action. Ou ces étudiants de la fac de Limoges qui projettent la création d'un "ATTAC Campus".
Un melting-pot des résistances
Le vin de ce forum limousin conjuguait ainsi vénérables cuvées et vin nouveau, dans un mélange qui caractérise également la composition hétéroclite de la manifestation - à l'image de ses homologues européens ou mondiaux, comme j'ai pu le constater il y a deux ans à Porto Alegre ou cette année à St Denis.
L'opposition unanime à la "mondialisation néo-libérale" ne recouvre pas une nouvelle "pensée unique" de la contestation, mais bien plutôt une diversité de points de vue et d'opinions.
L'atelier sur les nouveaux rapports dans le travail le montrait bien. S'y côtoyaient militants d'AC (Agir contre le chômage) aux harangues quasiment anarchistes contre le travail, tenants plus sages de l'économie solidaire et expérimentateurs associatifs ou économiques d'autres manières de produire ou d'échanger. Sur le terrain du Villard, qu'un soleil inespéré inondait - deux jours plus tôt la première neige était tombée sur le plateau, et les organisateurs durent en pleine nuit abattre les chapiteaux montés dans la journée pour ne pas les voir s'écraser sous le poids de la neige ! - se croisaient des militants de la Confédération Paysanne et de nombreux acteurs associatifs locaux, les jeunes socialistes et la LCR, des syndicalistes d'EDF et des anti-nucléaires, et même quelques candidats aux prochaines Régionales. Jean Paul Denanot, tête de liste du PS et maire de Feytiat, est ainsi passé faire un petit tour, le temps de se montrer et d'écouter les compte-rendu des ateliers. Mais il s'était déjà envolé lorsque Philippe Babaudou de la Confédération Paysanne l'interpellait sur le méga projet d'hypermarché en projet sur sa commune ... Les plus sévères y virent une concession démagogique à la société civile de la part du candidat, les plus optimistes se réjouirent que le FSL soit ainsi devenu un lieu incontournable1.
Cette diversité est bien sûr la grande richesse de ce lieu de rencontre et de débat. Mais, pour qu'il y ait vraiment rencontre et débat, une journée c'est un peu court. Dans certains ateliers, une fois les présentations faites et les interventions programmées écoutées, il ne restait bien souvent que peu de temps pour le débat et certains le regrettèrent. L'idée a donc été lancée de poursuivre les ateliers tout au long de l'année de façon à faire du forum social Limousin une véritable "université populaire" permanente.
Clivages et questions
Contrairement à l'image un peu réductrice que proposent souvent les médias, les forums sociaux, à l'image de la société, sont traversés de clivages et de questions. Qu'ils puissent être capables de les affronter est le grand défi auxquels ils sont confrontés.
Il en est ainsi de la question qui oppose, pour faire vite, les écologistes et les tenants des forces traditionnelles de la gauche, autour de la question de la croissance. Le mot, tout neuf, mais conquérant dans ce genre d'assemblée, de "décroissance" est sorti plusieurs fois aux cours des débats. On ne coupera pas à repenser nos modes de vie et de consommation si on ne veut pas aller à la catastrophe disait en substance Freddy Le Saux de l'ALDER (Association Limousine pour le développement des énergies renouvelables), appelant nos sociétés occidentales à la décroissance. On lui rétorquait sur l'air de : "On n'est pas si privilégiés que ça, et un peu de (bonne) croissance ne ferait quand même pas de mal" ... Ce qu'un intervenant africain relativisait grandement lorsqu'il condamnait les subventions agricoles dont bénéficient nos agriculteurs et dont les producteurs de son continent sont les premières victimes. D'où la réaction immédiate d'un agriculteur qui demandait qu'on n'amalgame pas sous la même cri tique toutes les aides, dont certaines sont indispensables au maintien d'une activité agricole dans une région comme la nôtre. On le voit, de vraies questions ont été abordées qui méritent d'être reprises pour que chacun puisse affiner sa vision des choses.
Autre débat : comment toucher plus de monde et dynamiser davantage une prise de conscience citoyenne ? "Nous sommes entre convaincus" regrettait une jeune femme. "Convaincus de quoi ?" nuançait aussitôt une autre personne qui rappelait que tous les participants ne partageaient pas forcément les mêmes points de vue. N'empêche que la question de l'élargissement du mouvement en turlupine plus d'un. Un intervenant insistait : "On ne peut couper à la question des actions que nous devons développer si nous ne voulons pas que nos forums s'essoufflent au bout de quelques années".
Et d'appeler à prendre la parole en tous lieux et en tous temps, par exemple au sein d'une presse régionale bien silencieuse pour montrer la richesse des actions concrètes qui existent en Limousin. Problème de visibilité ? Problème de communication ? Ou, plus profondément, problème d'une société en grande majorité passive et docile ? Là encore les acteurs du FSL ont un sujet de réflexion fondamental.
Un lieu unique
Reste cependant, à l'issue de cette journée bien pleine, la réconfortante impression qu'un énorme potentiel existe. Alors que, globalement, les choses ne vont pas forcément de mieux en mieux, du forum du 25 octobre ressortait un optimisme mesuré, mâtiné d'une forte volonté de résistance. Dans son genre, le FSL est un lieu unique où peuvent être débattus avec une large palette de militants, des sujets d'une très grande variété puisqu'ils recouvrent la quasi totalité du spectre social. Loin de baisser les bras et de céder aux sirènes de la démobilisation, le FSL s'engageait davantage dans un combat qu'il sait ne pas mener seul : à l'heure où les débats allaient céder la place au méchoui et à la musique, circulaient les informations pour organiser le départ en bloc des limousins qui iraient participer au prochain forum européen. Quant à celui de Bombay (4ème forum mondial), on devrait y voir partir quatre régionaux.
Michel Lulek
1 Incontournable, n'exagérons rien : les élus du plateau qui, pour une fois, n'étaient pas obligés d'aller jusqu'à Limoges, brillaient par leur absence.