Un outil collectif de transformation des viandes locales.
À Bourganeuf, le Pôle viandes locales, imaginé depuis plus de 10 ans a commencé son activité depuis le mois d’avril de cette année. En 2007, c’est la fermeture des abattoirs de proximité (Guéret, Eymoutiers, Giat…) qui a mis en route ce projet de Pôle viandes locales porté, à l’époque, par une trentaine d’éleveurs limousins orientés vers la vente directe.
Le Pôle viandes compte à ce jour plus de 70 actionnaires, majoritairement producteurs, ainsi que trois actionnaires particuliers dont le lycée agricole d’Ahun. Cela représente une centaine de producteurs répartis sur les départements de la Creuse, de la Haute-Vienne et de la Corrèze. Ce pôle s’inscrit pleinement dans l’idée de la relocalisation de l’économie. Il est d’ailleurs écrit dans les statuts de la SAS que le pôle a une capacité limitée et n’a pas été conçu pour s’agrandir mais pour être reproductible sur d’autres territoires.
Ce projet emblématique du territoire s’apparente à une « grosse CUMA » (coopérative d’utilisation de matériel agricole). Plateforme de services de 1 000 m2, il comprend un abattoir multi-espèces, un atelier de découpe, des salles de maturation courte et longue durée, une saucisserie, une légumerie, un fumoir-saloir-séchoir, la possibilité de faire des viandes hachées, des pâtés et plats cuisinés, et de stocker en hibernation.
Un projet innovant pour le bien-être animal
La question de l’abattage a depuis le départ été la plus sensible et les porteurs du projet se sont donnés le temps de poser un nouveau jalon en termes de bientraitance animale. La réflexion de ces paysans limousins respectueux de leurs bêtes a bien sûr été percutée par les campagnes animalistes, notamment celles des activistes de L214, qui ont interpellé les consciences des consommateurs et poussé à une réponse politique. La bientraitance animale (à ne pas confondre avec le bien-être animal) est un élément premier de cet outil multi-espèces avec une bouverie innovante en termes de conditions d’accueil et d’attente des animaux et un prototype de box d’étourdissement multi-espèces.
Un conseil scientifique accompagnant le projet a mobilisé les recherches les plus poussées en éthologie (étude du comportement animal) en s’appuyant sur les écrits de l’américaine Temple Grandin d’une part, de chercheurs de l’Inra comme Claudia Terlouw ou même de militants de l’Afaad (Association en faveur de l’abattage des animaux dans la dignité). Les membres de ce conseil scientifique ont validé les étapes de la conception. Des PME ont relevé le défi de cet abattoir destiné à accueillir l’équivalent de 10 vaches par semaine et non 80 à l’heure.
Le parcours, à partir de la sortie de la bétaillère, est conçu dans le moindre détail : pente de la rampe d’accès, lumières bleues, champ de vision restreint, bruits d’eau relaxants, corrals sans angles droits. Les capacités sensorielles des animaux sont différentes des nôtres et entre espèces, il faut en tenir compte à chaque étape de la conception.
Des caméras suivent l’animal pas à pas. Évacuer le stress, laisser le bovin, l’ovin ou le porcin progresser à son rythme (l’aiguillon électrique est banni), cela fait partie des « avancées ». Lorsqu’il arrive dans le box de contention qui précède l’étourdissement, celui-ci a été nettoyé en profondeur, les animaux étant très sensibles aux phéromones laissées par leurs congénères. L’innovation ultime concerne le processus de mise à mort proprement dit. De façon traditionnelle, c’est un « matador », qui frappe en un point précis du crâne et créé un choc qui plonge l’animal dans le coma. Pas d’approximation humaine possible car la tâche est robotisée. La précision est permise par l’intelligence artificielle nourrie de données fournies par les éleveurs eux-mêmes. Ce box d’étourdissement multi-espèces (bovins, ovins, porcins) est une réalisation de la société Lamartine (Allier), une entreprise qui équipe les parcs zoologiques. L’innovation a coûté 400 000 € et a été soutenue à hauteur de 200 000 € par la région Nouvelle-Aquitaine. Ce « micro-abattoir », voué à être la clef de voûte du pôle viandes locales, sera le dernier outil à entrer en fonctionnement sur le site de Langladure.
La valorisation passe par la maturation et l’affinage des morceaux nobles
L’une des stratégies affichées par le pôle viandes locales est celle de la « maturation et de l’affinage », notamment des morceaux nobles des bovins limousins ou charolais. Les plus belles côtes de bœuf maturées sont exposées dans des vitrines réfrigérées de la salle d’accueil du pôle. C’est le principe en somme du « vieillissement » du vin ou du fromage appliqué à la viande.
À la mode, notamment dans certains restaurants, la viande maturée n’est pas un snobisme, c’est un processus lent de transformation qui permet de transcender le goût des viandes de grande qualité en concentrant les saveurs. Et cela prend le contre-pied de la standardisation du produit recherchée par les industriels. Nous partons sur une maturation et un affinage de 21 jours, mais cela peut aller au-delà en fonction des choix de l’éleveur.
À partir d’une viande grasse et persillée, la maturation permet de libérer toute la puissance du goût en conservant à la viande toute sa tendresse. Et puis n’est-il pas plus pertinent de manger moins de viande mais de manger une très bonne viande tant en goût qu’en matière de nutrition ? Autre outil déterminant (et très onéreux) : la cellule d’hibernation qui permet une congélation éclair (à -170 °C), sans altération des fibres et du goût. Au moment de parfaite maturation de nos viandes, nous figeons nos viandes grâce à la cellule d’hibernation. Un vent glacial flashe la viande. L’eau contenue dans les fibres n’a pas eu le temps de se cristalliser évitant ainsi de briser les fibres musculaires. Cela évite de déstructurer la viande et un effet bouilli à la cuisson qui gâche tout. La cellule d’hibernation a été la machine la plus coûteuse de notre atelier mais au lieu de congeler vous-mêmes la viande, nous offrons ce service pour une meilleure qualité de conservation. Plus de gaspillage non plus.
Une équipe de bouchers et charcutiers engagés dans ce projet
Il n’y a pas que la haute technologie : le pôle viandes locales a recruté quatre bouchers-charcutiers, dont Éric, un ancien artisan indépendant creusois, formé à l’ancienne école de la tripe ce qui nous permet de valoriser le cinquième quartier, c’est-à-dire les abats. Une équipe qui a mis la barre haut également côté salaisons. Du saloir et du séchoir sortent déjà des produits susceptibles de faire un tabac dans les boutiques de vente directe tels les saucissons de bœuf ou le jambon d’agneau (tranches fines de gigots séchés).
Mangez local, mangez mieux, mangez tout !
Aujourd’hui, toutes les conditions sont réunies pour consommer de la viande produite localement. Au-delà des paysannes et paysans auprès de qui vous vous approvisionnez habituellement, vous pouvez aussi, via le site internet www.lesviandespaysannes.net, commander de la viande et venir la chercher sur le site ou vous la faire livrer à domicile. Même votre famille ou vos amis éloignés peuvent être livrés où qu’ils soient en France métropolitaine. Les acteurs de ce projet permettent enfin à notre territoire de valoriser un bien patrimonial qu’est la viande.
Cet outil n’aurait pas vu le jour sans la mobilisation des producteurs certes, mais aussi d’élus tels Jean-Paul Denanot (ancien président de la région Limousin), Christian Audouin (ancien président du PNR Millevaches), Michel Ponchut (ancien conseiller départemental de la Haute-Vienne). La région Nouvelle-Aquitaine avec son président Alain Rousset, Geneviève Barat (vice-présidente en charge de la Ruralité) et Jérôme Orvain soutiennent activement ce beau projet. Enfin, la mobilisation des habitants du territoire est à saluer tant par son implication citoyenne que financière. Que tous nos soutiens, de près ou de loin, soient remerciés.
Guillaume Betton