j’aurais souhaité entamer ma contribution à IPNS par un article décrivant ma vision du plateau, son charme sauvage, le plaisir quotidien à contempler ses paysages, la satisfaction d’y vivre. malheureusement, l’urgence me dicte aujourd’hui un autre propos, beaucoup moins plaisant.
La cueillette des champignons paraît, au premier abord, l’activité la plus pacifique qui soit ; pourtant, sur le plateau, elle déchaîne depuis longtemps déjà des passions plutôt guerrières. A Chavanac, cette guerre renaît de ses cendres à travers une association dont je voudrais ici démontrer l’inanité et le caractère dangereux. D’autres communes avaient monté des associations similaires mais il semble que seule, Chavanac persiste.
De quoi s’agit-il ?
On sait que la cueillette des champignons a longtemps constitué un apport financier non négligeable à la population du plateau confrontée souvent à des conditions de vie difficiles. Or, le nombre croissant de personnes en situation de précarité, les facilités d’accès aux plantations de résineux par les pistes forestières, la généralisation des véhicules 4x4, tout cela joint à une publicité concernant l’énormité des gains réalisés par la vente des cèpes a accru dans de fortes proportions le nombre de chercheurs, réduit autrefois à la population locale. Celle-ci s’en est trouvée frustrée et a réagi par des mesures que l’on pourrait qualifier de protectionnistes à travers les associations dont il est question.
Il faut préciser que ces champignons appartiennent, nous dit la loi, aux propriétaires des parcelles sur lesquelles ils poussent. Remarquons que les propriétaires de grandes surfaces boisées ne s’intéressent que modérément à la production mycologique de leur plantations, soit qu’il s’agisse de sociétés, soit du fait de l’éloignement géographique de leur résidence : ils cautionnent donc volontiers la création de telles associations, soucieux de maintenir de bonnes relations avec la population locale et lui donnant carte blanche en ce qui concerne la cueillette de champignons.
L’association de Chavanac, par exemple, déclare que "toutes les personnes "étrangères" à la commune ou non propriétaires de bois et qui ne seront pas en possession de leurs "cartes de champignons" apposées sur leurs véhicules seront automatiquement contrôlées par les gendarmes qui relèveront les numéros de véhicules et les convoqueront à la gendarmerie" (je cite le journal La Montagne du 12 septembre 2002).
A l’heure de l’Europe, des communications planétaires, du caractère mondial de la plupart des problèmes, le terme “étrangères à la commune” sonne comme une régression digne du Moyen Age mais les guillemets qui encadrent le terme “étrangères” révèlent une gêne qui en dit encore plus long sur les sous-entendus de l’affaire. En effet, les personnes visées en premier lieu par ces associations appartiennent à la communauté turque qui est accusée de ratisser les bois, de prendre d’assaut les plantations de résineux en bandes organisées, propos qui fait l’essentiel des “réunions de champignons”.
Rappelons que ces immigrés sont arrivés dans la région à la suite d’offres d’emploi concernant le bûcheronnage dans les années soixante-dix. Ces travailleurs ont donc contribué par leur peine à l’entretien de la forêt du plateau : comment peut-on prétendre leur interdire désormais la cueillette des champignons ?
Le caractère xénophobe de cette réglementation constitue le premier point et mériterait à lui seul de la dénoncer. Mais ce n’est pas tout.
Voyons comment, pratiquement, est appliquée cette réglementation : le matin, des personnes de la commune relèvent les numéros des plaques d’immatriculation des véhicules stationnés dans les pistes forestières et communiquent à la gendarmerie les numéros des véhicules inconnus ou dépourvus de la fameuse carte sur leur pare-brise. Les gendarmes viennent inspecter les véhicules en question et contrôler leurs occupants. Souvent, il s’agit de personnes défavorisées, en quête de quelques revenus. Qui donc, en effet, passerait ses journées à courir les bois pour vendre quelques kilos de cèpes qui se négocient entre quatre et huit euros le kilo (contre cent francs il y a une dizaine d’années) ? S’ils ne sont que rarement, semble-t-il, verbalisés pour les champignons, leurs véhicules n’échappent pas à un sévère contrôle qui se solde, la plupart du temps par une amende pour pneus lisses, défaut d’assurance ou même stationnement gênant.
On croise aussi souvent dans les bois des personnes venues des villes avoisinantes (Limoges, Brive) pour passer une bonne journée et rapporter chez eux de quoi faire quelques conserves. Eux aussi s’exposent, quoique dans une moindre mesure (véhicules plus conformes) aux mêmes ennuis.
Mêmes risques pour les quelques jeunes des bourgs voisins montés sur le plateau avec leurs engins pétaradants, espérant gagner quelques sous pour leur argent de poche.
La question est la suivante : tous ces gens méritent-ils d’être pénalisés pour une activité aussi paisible ?
Les jeunes ne tirent-ils pas plus profit de la cueillette des cèpes que de l’oisiveté dans un abribus qui tourne si souvent au désœuvrement et aux petits délits ?
L’image de marque du plateau ne sort-elle pas ternie de ces tracasseries infligées aux personnes des villes venues prendre un bol d’air et de nature ?
Enfin, en faisant débourser des amendes à des personnes en difficulté, ne s’expose-t-on pas à des représailles : vols, dégradations, actes de vandalismes qui risquent de compromettre la sécurité et le calme qui règnent encore ici ?
A tous ces arguments démontrant la nocivité de telles associations, je n’en trouve pas un seul à opposer en leur faveur.
Les habitants d’une commune ne s’enrichiront pas davantage par ces mesures, étant donné le prix actuel des cèpes. Si l’année est bonne, chacun trouvera aisément de quoi se régaler et faire quelques bocaux, dans le cas contraire, il n’y en aura pour personne.
A cause de tout cela et surtout de l’encouragement à la xénophobie, à la haine et des menaces à la sécurité, je demande la dissolution de ces associations et je demande aux personnes que j’aie pu convaincre de rendre leur carte. Le débat reste ouvert et je n’ai, dans cet article, voulu faire de procès à personne, mon propos étant simplement de dénoncer des paroles inacceptables dans un Etat qui respecte les droits de l’homme, et de concourir à ce que notre plateau reste un havre de paix et de sécurité.
Didier Garreau